logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’enquête

RESTRUCTURATIONS : L’ADMINISTRATION NOUVEL ARBITRE des PSE

L’enquête | publié le : 24.03.2015 | É. S.

Image

RESTRUCTURATIONS : L’ADMINISTRATION NOUVEL ARBITRE des PSE

Crédit photo É. S.

Depuis la loi de sécurisation de l’emploi, les procédures de PSE se déroulent sous le regard de l’Administration du travail, garante de leur régularité comme de la validité des mesures d’accompagnement social. Quant au contentieux, il se joue désormais au tribunal administratif.Des changements majeurs, auxquels les acteurs sociaux de l’entreprise ont appris à s’adapter.

Refusé. Sur le site de Cuzorn (47) de Tarkett Bois, le couperet est tombé le 11 février dernier. Après quatre mois de procédure, le PSE – 120 licenciements consécutifs à la fermeture du site – n’aura donc pas passé le cap de l’homologation. Depuis la loi de sécurisation de l’emploi, ce cas de figure est toutefois l’exception. En Île-de-France par exemple, moins de 10 % des plans soumis à la Direccte ont fait l’objet d’un refus. Mais l’épisode rappelle que désor mais, en cas de restructuration, l’Administration devient un « acteur incontournable, qui détient le pouvoir d’interdire ou d’autoriser les licenciements », comme le résume Dominique Paucard, responsable du pôle restructuration au cabinet Syndex.

De fait, pour pouvoir être mis en œuvre, un PSE doit désormais obtenir l’aval de l’Administration, soit par l’homologation d’un plan unilatéral, soit par la validation d’un accord collectif majoritaire. Mais avant d’en arriver là, c’est tout au long du processus que la Direccte est susceptible d’intervenir, rappelant à l’entreprise que son projet – tant dans son contenu que dans sa présentation aux IRP – est scruté de près par l’État.

Ce qui a singulièrement modifié les règles du jeu, et obligé l’ensem ble des acteurs à adapter leur stratégie. « La loi de sécurisation de l’emploi a créé un espace de dialogue entre les directions et l’Administration qui n’existait pas auparavant », relève Sylvain Niel, avocat au cabinet Fidal.

RENCONTRER SA DIRECCTE

Aux réunions des IRP et aux séances de négociations, s’ajoutent donc les rendez-vous avec la Direccte. « Nous avons rencontré la personne en charge de notre dossier une dizaine de fois, témoi gne David Sampoux, DRH de NextiraOne, dont l’accord de PSE a été validé en juillet 2014. Nous l’avions sollicitée très en amont de manière à ce qu’elle sache à quoi elle allait faire face. Ces rencontres permettent de lui donner une information complète et transparente sur le contexte économique de l’entreprise, le marché, la concurrence, etc. Il est essentiel de construire une relation suivie pour qu’elle puisse appréhender tous ces éléments. » Sylvain Niel recommande, lui, de « tester sa Direccte » en posant à son interlocuteur toute une série de questions : une étude d’employabilité sur le bassin d’emploi est-elle utile ? Comment appréciez-vous un reclassement interne au groupe ? Combien d’offres valables d’emploi dois-je proposer ? Peut-on licencier des seniors de 57 ans et plus ?…

Rencontrer très tôt son interlocuteur, c’est aussi le conseil que donnent aux représentants du personnel les experts des CE : « Il s’agit de lui donner une visibilité sur la situation de l’emploi avec un point de vue parallèle à celui de l’employeur », résume Dominique Paucard. Florence Krivine, consultante chez Sécafi, recommande, en outre, aux syndicats « d’alimenter la Direccte au fil de l’eau, notamment en lui adressant systématiquement des comptes rendus de réunions de négociation ».

Un point crucial, car l’objectif premier de l’Administration est d’inciter au dialogue social. C’est aussi l’intérêt des entreprises, puisqu’en cas d’accord majoritaire, la Direccte n’exerce qu’un contrôle restreint sur les mesures du PSE (portant uniquement sur leur légalité, et non sur leur niveau). Et comme le souligne Xavier Tedeschi, dirigeant du cabinet Latitude RH, « en cas d’échec de la négociation, et donc de demande d’homologation du plan unilatéral, il faudra que l’Administration soit convaincue que l’employeur a tout fait pour favoriser la concertation ».

Quant aux syndicats, la plupart cherchent également à aboutir à un accord, qui permet a priori d’obtenir de meilleures garanties, en particulier des indemnités supra légales – celles-ci n’entrant pas en ligne de compte pour l’appréciation d’un plan unilatéral, comme l’ont confirmé les juges administratifs. « La loi a modifié le jeu des acteurs sociaux en inscrivant d’emblée la négociation dans le processus, note Dominique Paucard. La moitié des entreprises où nous sommes intervenus ont ouvert des négociations avant même l’information-consultation des instances. »

TIERS DE CONFIANCE

L’influence de la Direccte est perceptible sur la qualité des échan ges, remarquent les partenaires sociaux. « Elle fournit un appui indirect, estime Bertrand Huchédé, délégué syndical CFE-CGC de Lilly France, où 158 suppressions d’emploi ont été annoncées début janvier. On voit que la direction fait plus attention aux délais, aux documents remis. Elle a accepté d’ajouter des réunions de négociation, et répond beaucoup plus rapidement à nos propositions. Elle est obligée de jouer le jeu ». En écho, David Sampoux, pour qui la Direccte « joue le rôle pivot de tiers de confiance », a le sentiment que, pour NextiraOne, « sa présence a contribué à pérenniser le dialogue social dans un contexte qui aurait pû être plus conflictuel. Cela a pu déminer certains blocages : des prises de position syndicales se sont parfois assouplies au fil du temps ». À la SRD, elle a même joué un rôle de médiateur (lire page 24).

« Intermédiaire de la relation sociale », selon les termes de Domi nique Paucard, l’Administration exerce aussi un contrôle détaillé sur les contours et les mesures du PSE. Lequel se matérialise généralement par l’envoi de lettres d’observations, voire d’une injonction à respecter des points de procédure. Loin d’être formelles, les questions soulevées par les Direccte sont précises et réclament de la direction qu’elle rectifie le tir, ou qu’elle apporte de solides justifications à sa position, au risque de se voir refuser le sésame final. Dans une étude réalisée en novembre dernier par Florence Krivine, Sécafi listait les recommandations que formulent la plupart des Direccte : des catégories professionnelles « larges et explicites », une « insistance » pour étendre le volontariat avec l’exigence d’un projet identifié, des congés de reclassement de douze mois, des budgets de formation pouvant aller jusqu’à 12 000 euros par personne pour des reconversions, etc. « Elles sont également très soucieuses du reclassement interne », complète la consultante.

DES EXIGENCES VARIABLES

« Les demandes sont généralement raisonnables, estime néanmoins Xavier Tedeschi, y compris en ce qui concerne la procédure. Je n’ai jamais vu une Direccte demander à l’employeur de donner aux IRP un document qu’il ne pourrait pas fournir. Au final, sa présence est plutôt sécurisante : c’est elle qui donne le la ».

Sylvain Niel est plus circonspect : « Quand un groupe a les moyens, l’Administration met la barre très haut, ce qui revient, de façon détournée, à exercer un contrôle sur le motif économique du PSE. Et les postures peuvent être différentes d’une Direccte à l’autre, par exemple, s’agissant des conditions d’éligibilité en cas de plan de départs volontaires. Certaines sont très exigeantes. Même s’il s’agit parfois de coups de bluff, pour obtenir des améliorations, cela met une pression énorme sur les entreprises. »

Du côté des représentants des salariés non plus, les décisions prises par la Direccte ne sont pas toujours lisibles : « Quand l’Admi nistration homologue un plan unilatéral, elle rappelle systématiquement que le PSE est proportionnel aux moyens du groupe, mais le plus souvent sans davantage de précision, pointe Florence Krivine, dans l’étude Sécafi. Nous nous interrogeons sur les outils mis en œuvre par les Direccte pour analyser ce principe. Dans certains cas, on peut considérer que cette proportionnalité faisait défaut. »

Le délégué CFE-CGC de Lilly France souligne l’importance du contexte : « Nous avons le sentiment que dans les Hauts-de-Seine, où le PSE est suivi, il ne s’agit que d’un PSE parmi d’autres. Les choses auraient sans doute été différentes sur un site industriel en région. » De fait, en Lot-et-Garonne, la fermeture du site de Tarkett a mobilisé les élus locaux, se souvient Serge Luis, délégué syndical CFDT, pour qui les enjeux politiques ont pu peser sur la décision de non-homologation. D’autant que, rapporte-t-il, le plan présenté par l’établissement comportait un éventail large de mesures. Mais dans ce cas précis, l’état du territoire semble avoir été décisif : « La Direccte a notamment considéré que les mesu res d’âge n’étaient pas suffisantes, au regard des caractéristiques des salariés, précise-t-il. Chez nous, la moyenne d’âge est de 47 ans, l’ancienneté moyenne dépasse les 20 ans, et le bassin d’emploi est sinistré. » À moins de dix kilomètres de là, à Fumel, 106 emplois sont sur le point d’être supprimés chez MetalTemple. Si la Direccte, cette fois, valide le plan.

Auteur

  • É. S.