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LE BURN OUT DES médecins hospitaliers PLACÉ SOUS SURVEILLANCE

ZOOM | publié le : 24.02.2015 | Caroline Coq-Chodorge

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LE BURN OUT DES médecins hospitaliers PLACÉ SOUS SURVEILLANCE

Crédit photo Caroline Coq-Chodorge

Les professions de santé sont parmi les plus exposées à l’épuisement professionnel.Les médecins n’échappent pas à la règle, mais la prévention est balbutiante, car ils admettent difficilement leur fragilité.

Le chiffre est cru : 42,7 % des médecins hospitaliers ont un score d’épuisement professionnel élevé. C’est ce que constate l’étude « Santé et sécurité des médecins au travail » (Sesmat), la seule de cette ampleur, réalisée en 2007 et 2008 auprès de 3 196 médecins et pharmaciens salariés en milieu hospitalier.

Ce n’est pas une surprise, ni une anomalie française : cette forte exposition au burn out des médecins est corrélée au niveau international. C’est même à l’hôpital que le syndrome d’épuisement professionnel a été « observé pour la première fois dans les années 1970 par un psychanalyste exerçant en hôpital de jour, Hubert J. Freudenberger, sur lui-même et ses collègues hospitaliers, explique Valérie Langevin, experte en risques psychosociaux à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Les professionnels du soin donnent beaucoup pour accomplir une tâche – guérir des malades – en partie inatteignable. Et leur engagement est mis en défaut par les contraintes de l’organisation du travail ».

La médecin du travail et ergonome Madeleine Estryn-Behar, qui a dirigé l’enquête Sesmat, énumère quelques-unes de ces contraintes : « La faiblesse du travail en équipe, le manque de temps d’échanges avec les malades, les interruptions incessantes de tâches, la difficulté pour les médecins de concilier vie familiale et vie professionnelle. Pour 41 % des femmes médecins, leur vie professionnelle est même un obstacle pour avoir un enfant ! L’accumulation de ces contraintes peut conduire à un désinvestissement progressif, ou à un épuisement et une souffrance pouvant, lors d’un évènement difficile vécu seul, amener au passage à l’acte », c’est-à-dire le suicide.

Là encore, les médecins, y compris les médecins hospitaliers, sont particulièrement exposés. Le vice-président de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), Yves Léopold, a réalisé en 2003 une enquête auprès des conseils départementaux de l’Ordre des médecins, leur demandant de lui signaler tous les décès par suicide. Il a recueilli les chiffres sur 26 départements, représentant une population de 44 000 médecins, libéraux comme hospitaliers. « Sur une année, 492 décès ont été dénombrés, dont 69 suicides, soit 14 % des causes de décès, quand cette cause représente 5,9 % des décès dans la population générale », explique-t-il. Hélas, depuis 2003, « rien n’a été fait en termes de prévention. Pourtant, des tas de collègues m’appellent pour me dire qu’ils s’arrêtent à cause d’un burn out. Individuellement, il y a une prise de conscience ; collectivement, on manque de solutions dans un contexte budgétaire difficile. »

Un plan de prévention

À l’hôpital, la prévention en est à ses balbutiements. Ceux qui furent les « patrons » ou les « mandarins » hospitaliers ont toujours eu un statut à part. Ce ne sont pas des fonctionnaires, mais des « agents nommés à titre permanent ». Ils ne sont pas représentés dans les instances de l’hôpital, en particulier au CHSCT. Ils n’ont donc aucun espace pour discuter de leurs conditions de travail. Le CHU de Rouen tente de pallier ce manque, à travers un plan de prévention des risques psychosociaux, qui inclut les médecins : « Nous avons créé cinq groupes de travail professionnels, où chacun peut s’interroger sur la manière dont il travaille », explique Jean-François Caillard, ancien chef de service de médecine du travail du CHU, aujourd’hui consultant du CHU. L’un d’eux réunit les médecins : « Ils ont une grande responsabilité, car ils organisent le travail des soignants. Ce sont à la fois des victimes mais aussi des acteurs des risques psychosociaux. Hélas, ils ont souvent une attitude de mépris vis-à-vis de la prévention, y compris pour eux-mêmes, car ils considèrent qu’ils sont là pour soigner les autres ». Et, de fait, le médecin du travail constate que « seuls une quinzaine de médecins se mobilisent sur le sujet ». Mais il se félicite d’« une évolution générationnelle : les internes n’acceptent plus les rapports hiérarchiques autoritaires et les horaires de travail qui ne respectent pas les repos de sécurité ».

75,6 heures par semaine

À la différence de leurs aînés, les jeunes médecins du CHU sont investis dans la prévention des risques psychosociaux. En 2013, Rachid Chati, un interne en chirurgie digestive aujourd’hui devenu chef de service, a réalisé sa thèse sur les « conditions de travail des chirurgiens digestifs en formation » et leur « impact sur le syndrome d’épuisement professionnel » ; 320 médecins (42 % de femmes), âgés de 29 ans et demi en moyenne, ont répondu. Les conclusions de cette étude sont saisissantes. Le rythme de travail hebdomadaire moyen de ces jeunes chirurgiens est de 75,6 heures en moyenne, dont 5,32 gardes de 24 heures par mois. Après une garde, la moitié de ces jeunes médecins n’ont jamais de journée de repos compensateur, pourtant réglementaire ; 67 % ont des troubles du sommeil, 74 % des douleurs physiques, 12 % des idées suicidaires. Au final, 10 % présentent tous les symptômes du burn out complet, quand seulement 4,8 % n’ont aucun signe d’épuisement professionnel.

Cellule dédiée

« On ne peut pas rester sans réagir », explique Nathanaël Bayard, membre de l’Intersyndicat national des internes (Isni) du CHU de Rouen. Il a été personnellement touché « comme d’autres » par le suicide d’un ami et la tentative de suicide d’un interne de l’hôpital. Le syndicat est à l’initiative d’une campagne d’affichage qui incite les internes à consulter une cellule dédiée à la médecine du travail : « Elle est assez trash, décrit Nathanaël Bayard. C’est une photo de vrais cocktails, puis de médicaments : des psychostimulants, de la cortisone et de la chloroquine, un médicament létal à haute dose. » L’affiche interroge le jeune médecin : « Envie d’un nouveau cocktail ? Avant de tester… consulte ! »

Risques psychosociaux : une réglementation en construction

« Au même titre que les risques physiques, chimiques, biologiques…, le risque psychosocial doit être pris en compte par les établissements de la fonction publique hospitalière » : c’est ce que précise une circulaire diffusée en novembre dernier par la Direction générale de l’offre de soins. Elle met en œuvre dans la fonction publique hospitalière l’accord-cadre du 22 octobre 2013 relatif à la prévention des risques psychosociaux dans les trois fonctions publiques. La circulaire rappelle le rôle de chacun : le chef d’établissement a « une obligation de résultat »; le CHSCT doit notamment « procéder à l’analyse » de ces risques et est associé aux actions de prévention ; le service de santé au travail conduit ces actions.

En parallèle, la Haute autorité de santé a intégré des indicateurs de qualité de vie au travail dans la version 2014 de la certification, qui évalue tous les quatre ans les établissements de santé. Ces indicateurs cherchent à évaluer le niveau de satisfaction des professionnels de santé, en analysant l’absentéisme ou le turnover.

Auteur

  • Caroline Coq-Chodorge