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L’enquête

ALLEMAGNE : LE MODÈLE DU BETRIEBSRAT FACE AUX ÉVOLUTIONS DU MONDE DU TRAVAIL

L’enquête | publié le : 16.12.2014 | MARION LEO, À BERLIN

Fait rare, employeurs et syndicats partagent un même constat : sans le soutien actif des CE, les entreprises allemandes n’auraient pas surmonté la crise de 2008-2009 aussi rapidement ni « sauvé près d’un million d’emplois ». Si les CE ont pu jouer ce rôle outre-Rhin, c’est grâce à l’étendue de leurs droits, uniques en leur genre en Europe.

Ancrées dans la loi de 1952 sur la constitution interne des entreprises (Betriebsverfassungsgesetz), puis remaniées en 1972 et 2001, les compétences des CE (Betriebsräte) allemands varient selon les domaines, allant d’un simple droit d’information à un véritable droit de codécision. C’est dans le domaine social qu’elles sont les plus larges. Pour toutes les questions portant sur l’aménagement du temps de travail, les modalités de rémunération, l’organisation des congés…, l’employeur a besoin du feu vert du CE. « C’est surtout dans les situations de la vie quotidienne qu’il intervient le plus : quand il s’agit, par exemple, d’améliorer les postes de travail des seniors, de fixer les règles de fonctionnement de la cantine… », précise Rainer Jung, porte-parole de la fondation syndicale Hans-Böckler. Le comité d’entreprise est également compétent, mais à un degré moindre, pour les questions de personnel (embauche, mutation, licenciement…) et économiques (regroupement, fermeture partielle ou totale de l’établissement). « Le CE ne peut pas s’opposer à des licenciements pour motif économique, mais il peut imposer des mesures destinées à en atténuer les conséquences sociales », ajoute-t-il. Durant la crise, les CE ont joué un rôle clé en proposant notamment d’élargir les mesures de chômage partiel, de vider les comptes épargne-temps des salariés ou encore d’effectuer des « prêts de salariés » entre entreprises pour sauver des emplois. Outre des droits, le CE a des obligations : il doit agir « en toute confiance » avec l’employeur et préserver la « paix sociale ». Il ne peut donc pas lancer de grève.

« Les CE constituent des partenaires incontournables des employeurs », confirme Oliver Stettes, chercheur à l’institut de l’économie allemande IW, basé à Cologne et proche du patronat. Les élections des CE, qui ont lieu tous les quatre ans à la même époque, selon une procédure très complexe, sont suivies de près par les employeurs. Elles se déroulent dans les établissements du secteur privé, employant régulièrement cinq salariés ou plus, mais uniquement si ceux-ci en font la demande. Chaque salarié de plus de 18 ans peut y participer, à l’exception des cadres supérieurs et des dirigeants. La taille du CE varie en fonction du nombre de salariés, allant d’un représentant dans les établissements de 5 à 20 travailleurs à 35 dans les établissements de 7 001 à 9 000. Dans les grandes entreprises de plus de 2 000 salariés, ceux-ci sont également représentés au sein des conseils de surveillance, composés pour moitié par des représentants des salariés et pour moitié par des représentants des actionnaires. C’est le deuxième grand volet du système allemand de la codétermination.

DES COMPÉTENCES RENFORCÉES

Selon les syndicats, les CE sont confrontés aujourd’hui à de nouveaux défis qui les fragilisent, et leurs compétences doivent être renforcées. Premier problème : si 70,7 % des entreprises de plus de 250 salariés disposent d’un CE, seules 9,5 % des PME de moins de 50 salariés en possèdent un. « Dans les grandes entreprises, il existe une culture du CE qui jouit d’une bonne réputation. Mais, dans les PME, notamment dans le secteur des services en plein essor, il est aujourd’hui de plus en plus difficile d’élire un CE, soit parce que les employeurs sont réticents, soit parce que les salariés n’osent pas prendre l’initiative », explique Rainer Jung. Second défi : face au recours accru à l’intérim et à la sous-traitance, les CE sont largement désarmés. S’y ajoutent les problèmes liés à l’internalisation croissante des entreprises. « Les syndicats souhaitent renforcer les droits des CE en matière d’intérim et de sous-traitance, et intensifier la lutte contre les employeurs qui s’opposent à la mise en place d’un CE », souligne-t-il.

Du côté patronal, on estime au contraire que les CE sont de plus en plus influents, car l’introduction progressive de clauses d’exception dans les conventions collectives (NDLR : qui permettent aux entreprises en difficulté de s’en écarter provisoirement) a conduit à un déplacement des négociations au niveau de l’entreprise, et donc à une revalorisation du rôle des CE. Or les procédures de codécision sont, selon la fédération des employeurs allemands BDA, trop lourdes et onéreuses : « Ce que nous voulons, c’est accélérer les prises de décision et non réduire les compétences des CE », précise le BDA.

Auteur

  • MARION LEO, À BERLIN