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L’interview

VALÉRIE NEVEU : « L’ENGAGEMENT EST LARGEMENT DÉPENDANT DE LA RELATION DU SALARIÉ AVEC SON MANAGER »

L’interview | publié le : 30.09.2014 | PAULINE RABILLOUX

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VALÉRIE NEVEU : « L’ENGAGEMENT EST LARGEMENT DÉPENDANT DE LA RELATION DU SALARIÉ AVEC SON MANAGER »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

La qualité de la relation du collaborateur avec son manager joue un rôle majeur dans l’engagement des salariés au travail. Mieux comprendre les ressorts de la confiance organisationnelle permet de faire en sorte que les encadrants soient les premiers engagés et communiquent cette confiance à leurs équipes.

E & C : L’engagement des salariés, c’est un peu la quête du Graal pour les entreprises. Où en sommes-nous sur ce plan ?

VALÉRIE NEVEU : L’engagement est une notion qui permet d’appréhender la relation à l’entreprise au-delà de la motivation au travail. On peut être motivé par son travail, par la nature de l’activité que l’on y déploie sans être engagé par rapport à l’entreprise qui nous fournit ce travail. Trois facettes de cet engagement peuvent être distinguées : l’affectif, l’engagement calculé et le normatif. L’engagement affectif est le sentiment du salarié de faire partie d’une famille, proche des membres de l’équipe avec qui il travaille, collègues et managers – je reste parce que je le veux. L’engagement calculé recouvre l’intérêt à occuper un poste : intérêt au travail, rémunération, horaires, carrière, difficulté à trouver un autre emploi, etc. – je reste parce que j’y ai intérêt. L’engagement normatif recouvre le sens du devoir, le sentiment de loyauté qui conduit à nous sentir obligés vis-à-vis de l’entreprise qui nous emploie – je reste parce que je le lui dois. L’engagement calculé est de nature plus cognitive et rationnelle que l’engagement affectif et normatif. C’est un engagement a minima, qui incite le salarié à faire ce qu’il faut pour se maintenir dans l’emploi mais pas plus. L’engagement normatif, aujourd’hui assez peu mesuré, semble proche dans son mode de fonctionnement de l’engagement affectif. Ces deux dernières formes sont tributaires des pratiques de l’entreprise en termes de rémunération, gestion de carrière, temps de travail, éthique, etc., mais sont surtout largement dépendantes de la relation du salarié avec son manager.

Quel est le rôle du manager dans l’engagement envers l’entreprise ?

Cette implication envers le manager peut être appréhendée à travers la notion de confiance. À côté du contrat de travail sous sa forme juridique existe un contrat psychologique implicite, lui-même soustendu par deux facettes de la confiance : celle à l’égard des dirigeants de l’entreprise – il s’agit d’une confiance diffuse par rapport à une instance souvent assez lointaine – et la confiance à l’égard du supérieur, plus individualisée. Plusieurs antécédents expliquent cette confiance envers le manager ; là encore, on peut séparer l’affectif du calculé. Côté affectif se situe la perception de l’intégrité du manager, sa disponibilité, son ouverture d’esprit, sa bienveillance, son sens de la justice à l’égard des collaborateurs, etc. Côté calculé, les éléments sont plus factuels, relatifs à sa compétence, au fait qu’il tienne ou non parole, à la cohérence entre ses actes et son discours. Ce double impact de la confiance affective et calculée est déterminant dans l’intention de rester dans l’entreprise ou de la quitter. A priori, la confiance est là dès lors que le salarié accepte un poste, mais elle demande à être confortée par des actes, faute de quoi elle tend à s’effriter dans la durée.

Pouvez-vous citer des exemples ?

L’évaluation, moment clé pour le salarié, pour des raisons objectives de mobilité, de carrière ou de rémunération, est aussi, subjectivement, un temps important pour la validation ou l’invalidation de ce « contrat de confiance » implicite qui lie le salarié à son entreprise via la personne de son manager. Indépendamment du résultat positif ou négatif de cette évaluation, un manager qui sait être clair sur les critères de cette évaluation et donner au salarié le sentiment qu’il est respecté justifie la confiance qu’on lui porte. L’important pour le salarié est de ressentir qu’il est traité avec équité, que ce n’est pas sa personne mais son travail qui est évalué. Il veut aussi pouvoir être écouté s’il juge que l’évaluation est injuste. Il existe à cet égard un cercle vertueux de la confiance comme un cercle vicieux de la défiance. Le manager engageant est celui capable d’incarner la politique RH de l’entreprise de manière à la fois transparente et humaine. Un manager désengageant est celui qui se révèle incapable de préserver la qualité de la collaboration par négligence, manque de disponibilité, manque d’équité, par incompétence… Les choses sont vite cumulatives.

Comment améliorer l’engagement des salariés ?

Il faut d’abord admettre que la relation d’emploi se nourrit aussi de la perception subjective des salariés. Il faut donc apprendre à faire confiance pour susciter la confiance, apprendre à respecter la personne et à reconnaître sa collaboration pour l’encourager à s’impliquer. Il y a là une logique du don contre-don différé. Le salarié s’engage, mais il attend un retour en termes de reconnaissance, de rémunération et d’équité. Mais, par ailleurs, il importe aussi pour le manager de donner du sens à la tâche de chacun, forcément parcellaire, en la resituant dans la mission commune. Il est important pour cela que l’entreprise ne laisse pas le manager assumer seul ce rôle délicat. Il doit bien sûr être formé, notamment aux entretiens d’évaluation, et se sentir lui-même en confiance avec sa hiérarchie. La confiance est quelque chose qui ruisselle depuis le top management jusqu’à la base.

Un DRH qui travaille en confiance avec son DG, qu’il peut alerter sur une éventuelle dégradation du climat social, aura tendance à nourrir la confiance des managers qui, eux-mêmes, nourriront celle de leurs équipes. Quand, pour une raison ou une autre, la confiance a été entamée, il faut beaucoup de temps pour la reconstruire. Les causes du problème sont souvent à chercher en amont, du côté de la justice organisationnelle. La confiance peut être considérée comme le résultat d’un mix subtil entre justice procédurale – l’équité des procédures –, justice distributive – attribution des salaires, congés, primes, etc. – et justice interactionnelle – transparence et respect des personnes. C’est dans cette alliance que résident la principale dynamique humaine des organisations et le principal ressort des entreprises pour s’adapter aux changements nécessités par une conjoncture économique forcément complexe.

Le manager en est peut-être le rouage essentiel, car son engagement favorise celui des équipes. A contrario, son désengagement ou son incompétence, due parfois à un manque de formation managériale ou de moyens mis à sa disposition par l’organisation, ou encore de soutien de la part de celle-ci, retentit de manière péjorative sur l’engagement de ses collaborateurs.

VALÉRIE NEVEU RESPONSABLE DU MASTER ANTICIPATION ET GESTION DE L’EMPLOI ET DES COMPÉTENCES À PARIS 1

Parcours

→ Valérie Neveu est maître de conférences à l’université Paris 1, responsable du master Agec (Anticipation et gestion de l’emploi et des compétences).

→ Elle est l’auteure de nombreux articles et chapitres d’ouvrages coécrits, dont Gestion des ressources humaines (Pearson, 2011, 2e éd.).

Lectures

→ Comportement organisationnel, 3 vol., ouvrages collectifs, De Boeck, 2005, 2006, 2009.

→ Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus, Folio Essais, 1990.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX