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« Le discours actuel est vecteur de discriminations potentielles »

Enquête | publié le : 01.07.2014 | H. T.

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« Le discours actuel est vecteur de discriminations potentielles »

Crédit photo H. T.

E & C : Comment définissez-vous la séniorité, et est-elle un handicap sur le marché de l’emploi ?

S. B. : J’ai souvent tendance à rappeler qu’on ne devient pas senior du jour au lendemain. Qu’est-ce qu’un “profil senior” finalement ? C’est tout simplement quelqu’un qui se retrouve en concurrence légitime avec d’autres profils possédant une expérience significativement moindre. Certes, le mot “senior” a toujours une connotation négative sur le marché de l’emploi, mais il faut toujours le replacer dans son contexte, par rapport à une profession et à des compétences attendues. Cela peut être un « grade » qui rassure, comme dans le consulting. Ce qui est sûr, c’est que l’emploi des seniors, aujourd’hui, n’est pas considéré comme une priorité.

E & C : Ces dernières années, les entreprises ont pourtant été invitées par le gouvernement à se pencher sur le sujet.

S. B. : Oui, mais sur le plan du recrutement, depuis 2009 et l’obligation de mettre en place des accords ou plans d’action seniors (1), nous n’avons pas eu de remontée terrain quant à une discrimination positive en faveur de cette population. Les accords de branche ou d’entreprise n’ont fait montre d’aucune volonté de rééquilibrage à leur égard, comme ce peut être le cas pour les handicapés, les femmes, ou même les hommes évoluant dans un environnement très féminisé. Il est vrai que, pour prendre en compte le handicap, il a bien fallu une dizaine d’années…

E & C : Le contrat de génération ne va-t-il pas contribuer à faire évoluer les mentalités et, partant, les pratiques des employeurs ?

S. B. : Avec le contrat de génération, on cherche d’un côté à intégrer les jeunes et de l’autre à maintenir les seniors en emploi. Mais que fait-on des accidents de parcours ? En réalité, on se trompe de débat : il faut réintégrer les gens qui s’éloignent de l’emploi, non pas en fonction de leur âge, mais de leurs compétences. Le discours actuel catégorise les populations. Il est, de fait, vecteur de discriminations potentielles. Que l’on parle de jeunes ou de seniors, il n’y a pas de différence en termes de contribution économique à la nation. En ma qualité d’intermédiaire du recrutement, je ne demande pas l’âge des candidats. Et toutes ces mesures qui sont en train de borner les actions des entreprises sont finalement néfastes à l’égalité des chances.

E & C : L’association À compétence égale a récemment livré les résultats de son premier baromètre sur les perceptions de l’âge dans l’accès à l’emploi (2). Qu’en retenez-vous ?

S. B. : Dans cette enquête, nous avons confronté les points de vue de trois publics : les seniors, les recruteurs en cabinet et ceux en entreprise. J’ai surtout été frappé de voir que 91 % des seniors interrogés estimaient que l’âge était un frein à l’embauche, alors que pour près de 60 % des deux catégories de recruteurs, l’âge n’est pas un critère de sélection. S’il y a certainement une part de déni dans la perception de ces derniers, et un peu d’exagération de la part des seniors, cette divergence traduit surtout un manque d’explication sur les critères d’évaluation des candidats. On sent un besoin de transparence dans les processus de recrutement, tant internes qu’externes. Mais la transparence demande du courage. C’est d’ailleurs notre cheval de bataille : dites pourquoi vous refusez quelqu’un, il n’en sera que meilleur ! Les seniors, eux, ne doivent plus penser en termes d’âge et d’expérience, mais démontrer comment ils ont transformé leur expérience en expertise. C’est là que réside leur atout concurrentiel.

E & C : L’enquête montre tout de même des signes encourageants sur le terrain…

S. B. : 94 % des recruteurs ont indiqué avoir déjà proposé un senior à un client qui n’envisageait pas a priori ce type de profil. Et plus de la moitié des recruteurs en cabinet et en entreprise ayant pris cette initiative auprès de leurs clients ou des managers internes affirment que les candidats qu’ils ont présentés ont été recrutés. C’est un point positif, même si la réalité est sans doute plus nuancée. Dans les faits, il n’est pas facile pour un cabinet de placer des seniors, l’âge restant le premier critère de discrimination figurant dans les demandes des clients, devant le genre et l’origine.

1) La loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2009 prévoyait qu’au 1er janvier 2010, les entreprises non couvertes par un accord en faveur de l’emploi des salariés âgés seraient soumises à une pénalité correspondant à 1 % des rémunérations.

2) Étude menée entre octobre 2013 et mars 2014 auprès de 2 076 seniors, 182 recruteurs en cabinet et 153 en entreprise (avec le soutien de Regionsjob, le Centre des jeunes dirigeants et le Medef Ile-de-France).

Auteur

  • H. T.