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« La négociation collective n’empêche pas les conflits »

Enjeux | publié le : 01.07.2014 | CVIOLETTE QUEUNIET

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« La négociation collective n’empêche pas les conflits »

Crédit photo CVIOLETTE QUEUNIET

La conflictualité du travail ne diminue pas dans les entreprises, alors qu’il n’y a jamais eu autant de négociations ouvertes. Mais il s’agit le plus souvent d’une discussion qui tourne à vide et non d’un véritable outil de gestion des relations sociales.

E & C : Vous avez participé à une étude collective sur les conflits du travail et la négociation dans les entreprises*. Les conflits sociaux sont-ils en baisse ?

Baptiste Giraud : On constate une stabilisation après une période d’augmentation de la conflictualité collective. Mais les formes de conflit évoluent. La tendance à la diminution des grèves longues – plus de deux jours – se confirme, tandis que les grèves courtes – moins de deux jours – augmentent légèrement. Si les chiffres montrent une baisse tendancielle du nombre de jours de grève depuis une dizaine d’années, il faut les relativiser. Aujourd’hui, la forme ultra-dominante de l’arrêt de travail des salariés du privé, ce n’est plus du tout des journées d’actions interprofessionnelles ni même professionnelles. Ce sont des grèves d’entreprise, voire d’établissement qui, de fait, produisent beaucoup moins de jours de grève, car elles sont de taille beaucoup plus réduite. Les formes de mobilisation nationale n’existent plus que dans le secteur public.

E & C : Quelles sont les causes des grèves ?

B. G. : Le motif salarial est le premier motif déclaré de conflit collectif, même s’il est en recul par rapport à la précédente enquête (2002-2004). Il concerne encore 40 % des conflits déclarés. Les motifs de conflits pour la défense de l’emploi n’augmentent pas. En revanche, celui qui augmente le plus dans ces années marquées par la crise (2010-2011) concerne les conditions de travail et le climat social. On peut donc faire l’hypothèse que ce qui fait conflit, ce sont les tensions nées des restructurations pour les salariés qui restent.

E & C : La diminution des grèves longues est-elle due à la perte du collectif ?

B. G. : Les évolutions des formes de conflits sont moins révélatrices d’une évolution des mentalités des salariés que le reflet des conditions dans lesquelles ils travaillent. La dimension de la taille des entreprises, en particulier, est un élément très structurant et est une variable très discriminante dans les conflits. En France, on a affaire en très grande majorité à des petits établissements. Or c’est dans les grands établissements que les conflits collectifs sont les plus nombreux. Logiquement, dans les établissements de plus petite taille, il y a une plus forte individualisation des modes de gestion des relations sociales et, en retour, une plus grande individualisation des formes de conflit.

E & C : Une négociation collective intense fait-elle diminuer les conflits ?

B. G. : Non. Contrairement à une idée reçue, l’organisation de la négociation collective dans les entreprises n’empêche pas le conflit. Les conflits collectifs sont les plus nombreux dans les établissements où les négociations collectives sont les plus nombreuses et les plus intenses. Cela s’explique assez facilement : la négociation est plus développée dans les grands établissements, à la fois pour des contraintes légales et parce que c’est là qu’on retrouve les directions les plus professionnalisées dans la gestion des relations sociales. C’est aussi dans les grands établissements que la présence syndicale est la plus développée. Or il existe un lien avéré entre forte présence syndicale et fréquence des mobilisations collectives.

Ce qui ne veut pas dire que chaque négociation déclenche un conflit. Certains thèmes sont nettement moins propices à mobilisation : l’égalité professionnelle, la protection sociale, la lutte contre les discriminations, la formation, etc. D’ailleurs, on constate que les directions semblent enclines à engager des négociations sur ces sujets, car elles voient là une opportunité de maintenir le lien avec les représentants syndicaux dans un contexte où elles “lâchent” peu de choses dans les négociations salariales. Car les directions d’établissement sont elles-mêmes fortement contraintes au moment des NAO, avec une enveloppe fixée par le groupe.

E & C : Cela signifie-t-il que les négociations ne servent pas à grand-chose ?

B. G. : Ce qui ressort de notre terrain d’enquête du côté des directions comme des représentants du personnel, c’est le sentiment qu’il y a beaucoup de négociations, que cela prend de plus en plus de temps, mais que cela produit peu de chose. Une petite majorité des directions affirme prendre en compte une partie des revendications exprimées par les représentants du personnel, mais ce n’est pas l’avis de ces derniers.

On est à la limite d’un modèle dans lequel les décisions stratégiques sont de plus en plus au niveau des sièges centralisés d’entreprise ou de groupe, alors que, dans le même temps, la gestion des relations sociales est de plus en plus décentralisée.

Paradoxalement, on n’a jamais autant négocié, mais avec des enjeux de négociation qui sont vidés de leur contenu, parce que les décisions importantes sont prises ailleurs. Les représentants syndicaux en ont une claire conscience. Tout le défi – et la difficulté – pour eux est de trouver le niveau d’action pertinent face à cette nouvelle forme d’organisation du pouvoir économique dans les entreprises.

E & C : Comment ce paradoxe est-il vécu par les responsables RH ?

B. G. : Ils disent clairement ne pas disposer des marges de manœuvre qu’ils souhaiteraient avoir. Ils évoquent une logique très instrumentale du dialogue social, qui consiste à se mettre en conformité avec les obligations légales, mais sans véritable volonté stratégique de considérer la négociation comme un réel outil de gestion des relations sociales. Du coup, ce mode contraint de gestion des relations sociales génère du mécontentement. Du point de vue des DRH, il peut être source de démotivation des salariés. Certains DRH préféreraient même avoir « une bonne grève » de temps en temps avec des salariés investis, représentés, qui expriment leur mécontentement, plutôt qu’une situation de démobilisation collective, tant sur le plan syndical que dans le travail.

* L’étude se fonde sur l’enquête Reponse réalisée par la Dares auprès de 4 000 établissements d’au moins 11 salariés, entre 2010 et 2011, sur les enquêtes trimestrielles sur l’activité et les conditions d’emploi de la main-d’œuvre (Acemo) menées auprès d’environ 340 00 établissements de 10 salariés et plus et sur une quinzaine d’enquêtes de terrain auprès de DRH et de délégués syndicaux.

PARCOURS

• Baptiste Giraud est docteur et maître de conférences en science politique à l’université d’Aix-Marseille et membre du Lest (Laboratoire d’économie et de sociologie du travail).

• Il vient de participer à une enquête collective réalisée pour le compte de la Dares et coordonnée par Jérôme Pélisse : “La dialectique des conflits et des négociations au prisme des stratégies d’entreprise” (disponible prochainement sur le site du laboratoire Printemps <www.printemps.uvsq.fr>).

• Il est coauteur de La Lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine (Éditions du Croquant, 2008) et auteur des Métamorphoses de la grève (La Documentation française, 2010).

LECTURES

• Retour sur la condition ouvrière, Stéphane Beaud et Michel Pialoux, La Découverte, Poche, 2012.

• Le Dimanche de Bouvines, Georges Duby, Gallimard, 1985.

• Qu’elle était verte ma vallée, Richard Llewellyn, Livre de Poche, 1960.

Auteur

  • CVIOLETTE QUEUNIET