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LE CASSE-TÊTE POUR TOUS

Enquête | publié le : 10.06.2014 | VIRGINIE LEBLANC

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LE CASSE-TÊTE POUR TOUS

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

La généralisation des complémentaires santé à tous les salariés au 1er janvier 2016 connaît un parcours semé d’embûches. Son cadre juridique n’est toujours pas stabilisé faute de décrets d’application. Et la refonte du contrat responsable qui s’annonce avec ses plafonds de remboursement va obliger les entreprises à adapter leurs contrats.

Alors que la loi de sécurisation de l’emploi de juin 2013 avait prévu un calendrier précis de la généralisation de la complémentaire santé, sa mise en œuvre a largement dérapé. En effet, les négociations des branches sur le sujet étaient censées débuter dès le 14 juin 2013, celles des entreprises le 1er juillet 2014, pour aboutir à une généralisation de la complémentaire à tous les salariés le 1er janvier 2016.

Mais ces étapes ont été perturbées par la censure du Conseil constitutionnel, le 13 juin 2013 ; les clauses de désignation ont été remplacées par les clauses de recommandation, qui permettent aux branches de recommander un ou plusieurs organismes assureurs, sous réserve du respect d’une procédure de mise en concurrence. Pour ajouter à la confusion, le gouvernement, digérant mal la disparition des clauses de désignation, avait introduit une majoration du forfait social si les entreprises ne se conformaient pas aux recommandations de branche. Dispositif également censuré par le Conseil constitutionnel.

Incertitude réglementaire

Autant dire que l’environnement de négociation des branches a été perturbé, d’autant plus qu’un ensemble de décrets structurants pour avancer dans ces discussions ne sont toujours pas parus à l’heure où nous bouclons ce dossier (lire le sous-papier p. 26). Leur publication est toutefois imminente. « Compte tenu de l’incertitude réglementaire actuelle, la plupart des branches qui iront au bout de leurs négociations auront au mieux des projets d’accord construits pour la rentrée de septembre-octobre 2014, elles organiseront ensuite les appels d’offres en fonction de la nouvelle procédure et, fin 2014, début 2015, elles pourront procéder au choix de l’assureur », observe Pierre-Alain Boscher, directeur métier protection sociale chez Optimind Winter, société de conseil en actuariat et gestion des risques.

Certaines branches ont toutefois commencé à négocier, mais sont allées plus ou moins loin… Face aux incertitudes réglementaires, la métallurgie a décidé, en novembre 2013, de suspendre ses négociations, et la plupart des branches ont préféré attendre une stabilisation de l’environnement juridique.

« Certaines branches ont osé négocier sans connaître le contenu précis des décrets. Mais beaucoup les attendent encore, atteste Jérôme Bonizec, directeur du développement d’Adéis. C’est le cas de la majorité des branches suivies par Adéis et disposant déjà de régimes de prévoyance, mais la plupart ont d’ores et déjà choisi un expert conseil afin d’être les plus réactives possible dès la parution des textes. »

La labellisation, une troisième voie

Parmi les branches qui ont conclu un accord malgré le flou réglementaire, celle de la chimie, face aux incertitudes juridiques, a voulu venir en aide aux petites entreprises non couvertes qui vont être assaillies par les offres des assureurs dès le 1er juillet (lire l’encadré p. 26). Afin de les aider dans leur choix, elle a opté pour une labellisation des organismes assureurs. « Une sorte de troisième voie, explique Pierre-Alain Boscher. La labellisation est une décision unilatérale des fédérations d’employeurs pour inciter à rejoindre un acteur après avoir négocié avec lui des tarifs. Elle se rapproche de la recommandation en ce qu’un organisme assureur est sélectionné et qu’il s’agit d’une simple incitation à le rejoindre, mais la branche s’économise la mise en concurrence transparente et les exigences de haut degré de solidarité. De plus, les organisations syndicales sont exclues du choix de l’opérateur. » Une question demeure toutefois : quel sera le comportement des pouvoirs publics face à ce type de contournement ?

« Aujourd’hui, les branches qui ont décidé d’avancer sur des négociations sont divisées entre celles qui feront le choix de la recommandation et celles qui opteront pour la labellisation, confirme Olivier Huet, directeur grands comptes d’Harmonie mutuelle. Les grandes branches, du fait des incertitudes fiscales et des difficultés économiques, ne sont pas incitées à choisir la recommandation. Il est probable qu’elles vont préférer la labellisation, qui leur évitera de faire prendre un risque fiscal aux entreprises : le conseil constitutionnel, dans sa décision de décembre 2013, ne remettant pas en cause le principe de la majoration du forfait social mais simplement son niveau excessif. »

Pour la CFDT, « le feuilleton juridique peut se poursuivre au niveau européen. Les régimes santé des branches professionnelles sont reconnus comme services d’intérêt général par la Cour de justice européenne et l’Europe reconnaît les désignations. Nous aimerions engager avec toutes les organisations syndicales une action commune sur ce sujet », évoque Marie-Claude Lasnier, secrétaire confédérale, responsable du secteur protection sociale à la CFDT.

En attendant, la liberté de choix des entreprises s’exerce. « Elles devront analyser leur typologie de risques pour savoir si elles ont intérêt à retenir l’offre des assureurs recommandés ou une autre offre », affirme Jean-Phillipe Ferrandis, directeur groupe assurances de personnes du courtier Verspieren. Si leur profil de risques est bien meilleur que celui de la branche, elles pourront être tentées de sortir du régime de branche. À l’inverse, si elles ont une forte sinistralité, elles préféreront sans doute rester couvertes par la mutualisation de branche. Mais la question se pose surtout pour la prévoyance, pour laquelle le seuil minimal de mutualisation nécessite une base plus large. »

Dans ce nouveau contexte, les acteurs du marché des complémentaires santé aiguisent leurs armes pour conquérir branches et entreprises avec des services différenciants. « Les entreprises pourront adopter deux types de stratégie, soit la mise en conformité par rapport aux obligations légales dans les conditions de coût les plus optimisées et dans le cadre de processus de gestion simple et efficace, soit utiliser la réforme au service des politiques de santé au travail et de la rémunération globale, considérant que, quitte à ce que la réforme coûte, autant qu’elle apporte une valeur ajoutée, résume Marie-Sophie Houis-Valletoux, présidente de MX conseil, qui accompagne assureurs, courtiers et assisteurs. « Ce sera aux partenaires sociaux de mettre en place un dispositif qui rende attractif le régime de branche pour que les entreprises qui se poseraient des questions restent. Il y a un vrai travail d’identification des avantages spécifiques à offrir et des mesures de prévention adaptées à la branche, souligne Jérôme Bonizec. Adéis et ses membres travaillent au développement des solutions pour y répondre, notamment grâce à leurs directions en charge de l’action sociale et de l’offre de services, mais également par le biais d’alliances avec des experts comme Technologia, Réhalto et Mozart Consulting. »

Développement de services

« Dans les attentes des appels d’offres, il y a une demande assez forte de voir des services se développer pour diminuer les coûts des dépenses de santé, reconnaît de son côté Olivier Huet. Il y a un fort intérêt pour l’utilisation des réseaux de soins et la prévention santé. »

Depuis cinq ans, Malakoff Médéric s’est lancé dans une politique de gestion active du risque pour agir sur les déterminants de la santé : « Nous avons développé des réseaux de soins, des actions de prévention et de dépistage pour des entreprises d’une certaine taille, rapporte Christophe Scherrer, directeur du développement de Malakoff Médéric. Dans le contexte de généralisation de la complémentaire santé, il nous a semblé logique de réfléchir à la transposition à la branche de notre stratégie entreprise, territoire de santé. »

Pour ce faire, il est nécessaire de bien connaître le secteur d’activité afin d’analyser comment peser sur les coûts et définir des garanties adaptées. Malakoff Médéric a donc proposé à certaines branches clientes de créer un observatoire destiné à mener des investigations et des études spécifiques. « J’ai constitué dans ma direction une équipe dédiée à la constitution de ces observatoires de branche, détaille Christophe Scherrer, avec des consultants, des chargés d’études qui vont animer ces observatoires aux côtés des partenaires sociaux de la branche. » Cette prestation, imaginée il y a un an, se développe depuis quelques mois.

Le 21 mai dernier, Siaci Saint-Honoré, courtier en assurances, et Alixio, groupe de conseil en stratégie sociale, lançaient de leur côté une offre d’accompagnement à destination des branches afin de les aider à mettre en place leurs régimes frais de santé et prévoyance ainsi que des actions de prévention. « Nous accompagnerons les branches dans toutes les étapes de la négociation: formation-information des partenaires sociaux, élaboration du régime en fonction des spécificités du secteur, choix des prestataires, déploiement de l’accord, suivi et pilotage », énonce Thierry Vachier, directeur exécutif protection sociale, stratégie RH et rémunération de Siaci Saint-Honoré.

L’ESSENTIEL

1 Les branches professionnelles qui souhaitent négocier des accords frais de santé sont en situation de blocage faute de décrets d’application leur permettant de disposer de tous les éléments nécessaires à leurs accords.

2 Avec la fin des clauses de désignation, de plus en plus d’assureurs proposent des services à valeur ajoutée, notamment en matière de prévention.

3 Le nouveau contrat responsable va poser la question de la renégociation des garanties à la baisse et du développement des options et des surcomplémentaires.

La chimie préfère labelliser plutôt que recommander

« Avant même la signature de l’ANI sur la sécurisation de l’emploi, nous avions engagé une négociation sur les frais de santé. Notre intention était de proposer aux TPE-PME non couvertes un régime frais de santé à un prix comparable à celui que peuvent offrir de grands groupes, rappelle Laurent Selles, directeur des affaires sociales de l’UIC (Union des industries chimiques). Mais nous ne voulions pas impacter les régimes existant dans 95 % des entreprises déjà couvertes. »

Un appel d’offres a été lancé début 2013, sur la base d’un régime optionnel. Ont suivi les débats sur les clauses de désignation et surtout la disposition de majoration du forfait social, introduite fin 2013, qui a particulièrement inquiété les grands groupes comme Arkema, Solvay ou L’Oréal.

Pour éviter tout risque de majoration du forfait social si une entreprise ne recommandait pas un organisme, l’UIC a décidé de s’extraire de cette logique pour proposer « une offre labellisée ». Mutex et Malakoff Médéric, qui ont un réseau de soins commun, sont les organismes retenus.

L’accord, signé le 14 mars par deux syndicats sur cinq – la CFDT et la CFE-CGC –, s’est contenté de la définition d’un montant minimum de cotisation, fixé à 45 euros. Il prévoit aussi sa répartition : 50 % minimum à la charge de l’employeur.

« Les entreprises vont être très sollicitées par les organismes assureurs à compter du 1er juillet 2014, il était donc important de transiger sur des minimas de cotisation », relève Daniel Morel, délégué fédéral CFDT en charge du secteur chimie.

Comme le prévoit le texte, « en cas de modification législative ou réglementaire », les partenaires sociaux devraient se revoir début juillet, signale Daniel Morel.

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  • VIRGINIE LEBLANC