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LES DRH SONT DANS L’EXPECTATIVE

Enquête | publié le : 27.05.2014 | HÉLÈNE TRUFFAUT

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LES DRH SONT DANS L’EXPECTATIVE

Crédit photo HÉLÈNE TRUFFAUT

Les employeurs sont suspendus à la publication des seuils de pénibilité qui détermineront le montant de leur cotisation. Une double peine, estiment ceux qui sont confrontés à une pénibilité incompressible. En outre, la mesure de l’exposition à certains facteurs s’avère délicate. Pourtant, tout doit être bouclé cet été pour une mise en œuvre au 1er janvier prochain. Autant dire demain…

De quelle façon le gouvernement arbitrera-t-il les modalités de mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) ? Le rapport final de Michel de Virville, dont nous n’avons pas connaissance à l’heure où nous bouclons ces pages, doit être rendu prochainement. Mais le conseiller-maître à la Cour des comptes, en charge de la mission de concertation pour l’établissement des “règles du jeu”, avançait en terrain miné.

L’ébauche du dispositif, présentée le 27 mars dernier aux partenaires sociaux (lire l’encadré p. 22), a attisé les craintes du patronat : « Cela va compliquer le quotidien de beaucoup de chefs d’entreprise, qui n’ont pas tous conscience de ce qui est en train d’arriver », proteste François Asselin, membre du comité exécutif de la CGPME.

Le président de la Fédération française du bâtiment (FFB), lui, en sait quelque chose. Dans le secteur, 80 % des salariés travaillent sur les chantiers et sont, de fait, concernés par la pénibilité. « Nous savons parfaitement que nos métiers sont physiques, déclare Didier Ridoret. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous sommes dotés de l’OPPBTP [Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, NDLR]. Mais, à l’intérieur d’un même métier, les tâches sont extrêmement variées et les environnements divers. Entre deux chantiers de menuiserie intérieure et extérieure, la pénibilité sera différente », illustre-t-il.

Changement perpétuel

Ce changement perpétuel de prestations des salariés rend d’ailleurs délicat l’établissement des fiches individuelles de prévention des expositions, censées servir de socle au CPPP – et instituées par le précédent gouvernement, rappelle le président de la FFB. « Tout cela va générer un choc de complexification. Nous avons tourné le sujet dans tous les sens et nous ne savons pas gérer ce problème de la mesure de l’exposition à la pénibilité. Si on forfaitise cette mesure, on risque de s’exposer à des contentieux avec les salariés », ajoute-t-il.

Le 13 mai, la Fédération de la plasturgie et des composites est montée au créneau pour demander le report de l’application du CPPP, fixée au 1er janvier 2015. Motif : « L’étude d’impact de la mesure, qui avance un coût de 500 millions d’euros en 2020, a été faite au doigt mouillé, soutient le directeur des affaires sociales, Mathieu Dufour. En ajoutant la cotisation de base, la cotisation additionnelle (lire l’encadré financement p. 23) et les coûts de mise en œuvre par les services RH, il craint de voir exploser la facture pour les entreprises de la branche, dont les salariés sont, entre autres, concernés par le travail de nuit, les équipes alternantes et les gestes répétitifs. « Comme si rien n’avait été fait jusqu’à présent ! Cela fait une trentaine d’années que nous mettons en place des mesures de prévention et de réparation, tonne-t-il. Mais nous sommes en position de contrainte subie : il n’existe pas de protection individuelle contre le travail de nuit. »

Craintes anticipées

Pour faire passer le message, les menaces fusent. Outre la crainte anticipée des recours que pourraient exercer les salariés, voire d’une dégradation du climat social, le patronat dans son ensemble laisse entendre que ces nouvelles dispositions pourraient peser sur la compétitivité des entreprises, attiser le recours aux travailleurs détachés dans certains secteurs comme le bâtiment, inciter à automatiser davantage les postes de caissières, par exemple, ou encore à réduire les enveloppes salariales. En diminuant, au passage, les investissements en matière de prévention. « Dans l’industrie, où beaucoup de chefs d’entreprise paieront la cotisation maximale, le compte pénibilité va quasiment annuler l’effet du CICE [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, NDLR]. Si on veut gagner la bataille de l’emploi, ce n’est pas le meilleur remède» , résume Mathieu Dufour.

Mais Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT en charge du dossier travail, voit dans le « discours intransigeant » du patronat un pari risqué, et il n’envisage pas une seconde « une reculade du gouvernement sur cette avancée sociale. Plus on tarde, plus on mettra les entreprises en difficulté », prévient-il. Pas question, donc, d’un moratoire, alors que « rien n’est proposé derrière ». L’urgence reste l’ajustement des modalités de mise en œuvre et, surtout, la définition des seuils de pénibilité. Lesquels permettront de déterminer le nombre de salariés concernés et, partant, le montant de la cotisation additionnelle.

Pour la CFDT, plusieurs points font débat dans le prérapport de Michel de Virville. « Les seuils proposés de 80 heures par mois excluent les salariés à mi-temps. Nous aimerions les abaisser à 60 heures, détaille-t-il. Par ailleurs, le document introduit une autre définition du travail de nuit, entre minuit et 5 heures, qui pourrait donner matière à controverse. » Hervé Garnier convient également de la difficulté de mesurer certains facteurs de pénibilité comme les gestes répétitifs ou les vibrations. « Le point essentiel est de trouver un équilibre entre la réalité de ces risques et la simplicité de gestion. Il reste beaucoup de travail à effectuer autour de ce compte. Nous devons nous mettre autour de la table pour voir comment aider les PME. La branche sera le niveau le plus pertinent pour régler un certain nombre de problèmes », considère-t-il.

Une vive opposition

Michel de Virville a écouté les contre-propositions des partenaires sociaux. Selon Mouna Elgamali, juriste auditeur chez Atequacy, l’appréciation mensuelle de la pénibilité rencontre une vive opposition : « On lui préfère une mesure annuelle. Les branches font aussi pression pour abandonner la fiche individuelle, trop formelle et compliquée à remplir, au profit du seul document unique, qui répertorie les risques par unités de travail. »

Reste que tout doit être bouclé d’ici à fin juin, les décrets d’application devant être publiés cet été. Ce qui, avec la période estivale, laissera bien peu de temps aux entreprises, déjà très occupées par la base de données unique et la réforme de la formation professionnelle. « Il y a beaucoup de bon sens dans un certain nombre de mesures, mais on ne peut que constater l’absence de souplesse et l’approche directive des textes, qui ne prennent pas en compte le quotidien et les difficultés, notamment économiques, de certaines entreprises », remarque Thibault Lamiaux, DRH de Lyreco France. Qui, pour sa part, a déjà bien balisé le terrain pour l’arrivée du CPPP, en s’équipant d’un outil de gestion ad hoc (lire ci-contre). En revanche, les délais semblent difficilement tenables aux yeux du DRH de Polylogis (lire p. 25). Didier Poussou s’attend d’ailleurs à une grande explication de texte avec salariés et partenaires sociaux. Tout comme Pierre Maisonneuve, DRH France de Vallourec, qui dispose déjà d’un dispositif pénibilité maison (lire p. 25).

Beaucoup ont du pain sur la planche. Selon le dernier baromètre du cabinet Atequacy (lire Entreprise & Carrières n° 1187), 20 % des entreprises interrogées n’ont toujours pas de document unique – pourtant obligatoire depuis 2001. Et 33 % n’ont pas encore établi les fiches de pénibilité individuelles, qui visent, depuis janvier 2012, tous les travailleurs exposés à un ou plusieurs facteurs de risques. Mais qui, à compter du 1er janvier 2015, ne concerneront plus que les salariés exposés au-delà des seuils fixés par le gouvernement, après application des mesures de protection collective. Difficile de suivre…

Le flou ambiant entretient l’attentisme. À tort, car il ne faut surtout pas sous-estimer le travail d’analyse des risques, soulignent plusieurs cabinets de conseil et éditeurs spécialisés. D’où l’initiative d’Actal (Action pour les conditions de travail en Alsace), qui ouvre deux clubs afin d’aider les entreprises alsaciennes à plancher sur la pénibilité et sa prévention (lire p. 26). Du côté des éditeurs de logiciels, la demande d’outils de gestion dédiés (document unique, fiches individuelles et compte pénibilité) frémit à peine. Mais plusieurs solutions sont d’ores et déjà opérationnelles (lire ci-dessous), les éditeurs n’attendant plus, eux aussi, que la publication des décrets pour les mettre d’équerre.

L’ESSENTIEL

1 Alors que s’achève la seconde phase de concertation sur les modalités pratiques de mise en œuvre du compte pénibilité, le patronat monte au créneau pour réclamer un moratoire.

2 Si l’on n’imagine guère une reculade sur cette mesure qui a permis de faire passer la dernière réforme des retraites, beaucoup reste à faire pour monter un dispositif opérationnel.

3 Les délais seront cependant difficiles à tenir. Surtout pour les entreprises qui ne répondent pas aux obligations actuelles. Les éditeurs de logiciels, eux, sont déjà prêts à déployer leur solution.

Une première ébauche

« La maquette de ce que pourrait être le dispositif », selon Michel de Virville, conseiller-maître à la Cour des comptes, propose une traduction opérationnelle des dix facteurs de pénibilité* retenus par la loi. « Les seuils associeraient systématiquement l’intensité de l’exposition et sa temporalité », avec une mesure forfaitaire en moyenne mensuelle. L’idée étant de mettre sur pied un référentiel interprofessionnel « relativement simple », utilisable par tous, en confiant aux branches l’élaboration d’un mode d’emploi adapté. « Ce dispositif doit avoir un effet d’accélérateur des mesures de prévention, espère-t-il. Il s’agit de créer de la cohérence entre le document unique et le compte pénibilité. »

* Manutention manuelle de charges, postures pénibles, travail répétitif, travail de nuit, équipes alternantes, températures extrêmes, bruit, vibrations, risque hyperbare, risque chimique ACD, CMR et poussière.

Le financement du CPPP

→ Le fonds chargé du financement des droits liés au compte pénibilité sera alimenté par une première cotisation des employeurs égale à un pourcentage, fixé par décret, dans la limite de 0,2 % des rémunérations perçues par les salariés entrant dans le champ d’application du CPPP.

→ Une cotisation additionnelle sera due par les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité. Elle sera égale à un pourcentage, fixé par décret, compris entre 0,3 % et 0,8 % des rémunérations des salariés exposés. Un taux spécifique, compris entre 0,6 % et 1,6 %, sera appliqué pour les salariés polyexposés.

Auteur

  • HÉLÈNE TRUFFAUT