logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« Le DRH doit être associé aux décisions stratégiques »

Enjeux | publié le : 13.05.2014 | PAULINE RABILLOUX

Image

« Le DRH doit être associé aux décisions stratégiques »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Comme à peu près tous les dix ans, la direction RH des grands groupes est en pleine révolution. Gérer le facteur humain de l’entreprise à l’ère de la globalisation et favoriser le travail collaboratif sont des enjeux majeurs. Le profil des DRH comme celui de leurs équipes doit évoluer.

E & C : Selon votre dernier ouvrage*, la DRH fait sa révolution. En quoi consiste-t-elle ?

François Eyssette : La mondialisation et la financiarisation de l’économie ont, jusqu’au début des années 2000, conduit à mettre en exergue la fonction financière de l’entreprise. Depuis la crise, on se rend compte que la fonction RH est le fer de lance de la compétitivité. Assez significativement, l’écart de salaires moyens entre les directeurs financiers et les directeurs des ressources humaines est passé de 35 % en 2008 à 12 % aujourd’hui.

Dans un monde de plus en plus complexe, technologique et globalisé, l’avantage concurrentiel repose de plus en plus sur la compétence et la motivation des hommes. Tout l’enjeu pour l’entreprise étant non seulement de disposer de salariés performants, mais également meilleurs que ceux de la concurrence, c’est-à-dire à la fois plus performants et prêts à s’adapter rapidement à tous les changements technologiques et de conjoncture. Le facteur humain est devenu un avantage compétitif au même titre que les produits et les services proposés aux clients. Une conception qui reviendrait à faire du DRH un simple business partner venant en appui technique aux fonctions opérationnelles est une vision dépassée. Le DRH doit être un business leader associé aux décisions stratégiques. Non qu’il lui appartienne de prendre celles-ci, mais il n’est pas de perspective stratégique cohérente sans que le facteur humain soit pris en compte dès le départ. Révolutionner les RH, c’est arrêter d’avoir le blues en déplorant que le métier a changé, arrêter de regretter ce que l’on faisait hier pour s’intéresser à ce que l’on fera demain.

E & C : Que fera-t-on demain, quels sont les enjeux ?

F. E. : Concernant les grandes entreprises, quatre grands enjeux sont sur la table en rapport avec l’internationalisation de l’activité : l’adaptation des organisations à la révolution digitale, la gestion des talents à l’international, l’évolution de la culture d’entreprise et la professionnalisation des équipes RH.

La mondialisation contraint les entreprises à revoir de fond en comble leur organisation pour tenir compte de l’accroissement de leur périmètre d’action, voire du basculement de l’activité du marché européen vers d’autres grandes zones économiques comme l’Asie ou l’Amérique du Sud, mais aussi des évolutions techniques et sociétales. Le problème de la gestion des talents - un axe fort des missions RH depuis les années 1990 - prend aujourd’hui une tout autre dimension quand il faut intégrer dans l’entreprise des personnes évoluant dans des zones géographiques non européennes, anticiper le développement à l’international, décider des compétences nécessaires demain, et générer un minimum de fidélité dans des régions où le turnover est élevé. Dans le même temps, il faut faire évoluer la culture de l’entreprise pour intégrer dans une dimension multiculturelle des personnes jeunes, issues de la diversitéet dont les modes de vie sont très différents de ceux de leurs aînés. Enfin, la complexification structurelle et opérationnelle de l’activité oblige à monter le niveau de professionnalisation des équipes RH pour faire face à ces nouveaux enjeux.

Pour se limiter à quelques exemples, il est évident qu’un redéploiement de l’activité à l’étranger oblige à envisager de manière très professionnelle les aspects juridiques et sociaux des différents pays où l’on est présent; la gestion des rémunérations oblige à maîtriser parfaitement le système des actions et stock-options; la communication interne est entrée dans l’ère du numérique et s’est diversifiée, ne se limitant évidemment plus à la newsletter d’antan, etc.

Autant de domaines où, depuis dix ans, se sont développées des expertises externes de qualité auxquelles les DRH ne manquent pas de faire appel, mais qui viennent sérieusement concurrencer les “métiers” internes. Le DRH est un dirigeant comme les autres, qui doit faire ses choix interne-externe en fonction des coûts, efficacité et acceptation par le corps social.

E & C : Quels doivent être les profils des nouveaux dirigeants RH ?

F. E. : Les RH doivent savoir équilibrer les compétences techniques et les compétences généralistes. À côté du DRH, qui reste un généraliste capable de comprendre l’ensemble des enjeux humains de l’entreprise dans tous les pays où se déploie son activité et de savoir ce qui est ou non compatible avec la culture d’entreprise, la fonction ressources humaines a besoin d’experts suffisamment pointus pour ne pas passer à côté des enjeux techniques de rémunération, de droit social, de RSE, etc.

Le DRH lui-même se doit de plus en plus d’avoir une orientation business fondée sur une solide connaissance des activités et produits de l’entreprise, mais aussi de ses enjeux sociaux et financiers pour l’ensemble des pays concernés. On voit nettement depuis la crise un basculement des compétences des grands DRH sur le versant opérationnel. Évidemment, la compétence à gérer le multiculturel est essentielle. Cette capacité à comprendre aussi bien les problématiques globales que le détail local ou technique n’exclut pas le recours à la sous-traitance, mais permet au contraire de la gérer intelligemment. Une entreprise qui s’implante en Inde, par exemple, doit pouvoir faire appel à un cabinet d’avocats indiens ou à un spécialiste de la rémunération dans ce pays, mais elle doit disposer en interne des compétences lui permettant de contrôler et de superviser leur travail. La valeur ajoutée RH réside dans la maîtrise du plan de l’entreprise, aussi bien dans sa réalisation d’ensemble que dans sa déclinaison sur ces différents volets RH. C’est sans conteste plus difficile à mettre en évidence que des ratios financiers, mais la mise en place d’un système de reporting et de correction des écarts entre les projets et les résultats, qui montre clairement la contribution de la fonction RH, est un bon début. C’est comme cela que durera la relation de confiance avec le DG et les autres parties prenantes.

E & C : La révolution numérique vous semble une bonne occasion pour le DRH de reprendre la main. Pourquoi et comment ?

F. E. : Il s’agit là d’un enjeu stratégique, car s’y jouent à la fois l’image de l’entreprise, en interne comme à l’extérieur, et l’impact du DRH sur l’organisation du travail collaboratif, la nouvelle structure plus horizontale de l’entreprise, le nouveau rôle du manager, etc. Par ailleurs, les nouvelles technologies concernent en transversal toutes les fonctions de l’entreprise, et l’outil numérique est un moyen de maintenir entre elles une cohérence. Il appartient au DRH de faire adopter par le comité de direction les deux ou trois grands axes qui composeront l’entreprise de demain. On est là au cœur de la fonction anticipatrice de business leader du DRH.

* Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le livre coécrit avec Charles-Henri Besseyre des Horts Comment la DRH fait sa révolution (Eyrolles, 2014).

PARCOURS

• François Eyssette a exercé la fonction de directeur des ressources humaines dans plusieurs sociétés internationales : Levi Strauss, Cadbury Schweppes Europe, Econocom, Haagen-Dazs Europe et Société BIC. Il a également été maître de conférences à Sciences Po Paris.

LECTURES

• À quoi ressemblera le travail demain ?

Sandra Enlart, Dunod 2013.

• The shift,

Linda Gratton, Collins, 2011.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX