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« Il faut interroger le fonctionnement des cellules de reclassement »

Enjeux | publié le : 26.11.2013 | ÉRIC DELON

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« Il faut interroger le fonctionnement des cellules de reclassement »

Crédit photo ÉRIC DELON

Éléments importants dans les plans de restructuration, les cellules de reclassement peinent toutefois à remplir leurs objectifs en raison, notamment, de la nature des profils qui les fréquentent, trop déconnectés du marché du travail. C’est à l’entreprise de préparer les salariés à construire leur avenir professionnel.

E & C : Depuis le début de la crise, les entreprises doivent gérer des restructurations plus ou moins drastiques selon les secteurs et les régions. En quoi cette gestion diffère-t-elle de pratiques plus anciennes, par exemple dans les années 1990 ?

Florent Noël : Les entreprises ont désormais tendance à inscrire les restructurations dans leurs processus ordinaires de gestion et à les sortir de la dramaturgie créée par les procédures collectives. Les transformations de ces organisations s’inscrivent davantage dans la durée, avec une très nette individualisation des licenciements mais aussi la mise en œuvre de démarches préventives de type GPEC. Pour les entreprises, il importe d’éviter à tout prix le plan social et les licenciements économiques qui l’accompagnent – pour cause de réputation et d’intervention des tribunaux… Depuis le début de la crise, on enregistre une forte augmentation des licenciements pour motifs personnels, des ruptures conventionnelles, des transactions, mais assez peu de licenciements économiques. Cette tendance date en fait de la fin des années 1990.

E & C : Selon des études, les cellules de reclassement instaurées par la loi Aubry en 1993 ne font guère preuve d’efficacité pour les salariés qui les rejoignent à la suite d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Comment l’expliquez– vous ?

F. N. : Selon les statistiques, seuls 30 % à 40 % des salariés passés par ces cellules retrouvent un emploi stable à l’issue d’un plan de reclassement. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’existence même de ces organismes, qui représentent un moindre mal et parfois un soutien réel pour les salariés licenciés, mais d’interroger leur fonctionnement. Nos recherches ont démontré, en revanche, que les salariés rejoignant ces cellules sont souvent les moins bien armés pour affronter le marché de l’emploi. Lorsqu’un plan social est annoncé plusieurs mois – voire plusieurs années – à l’avance, il est fréquent que les salariés les plus mobiles, les mieux dotés en capital scolaire et social, aient déjà quitté l’entreprise, ou aient pu bénéficier de mesures de GPEC. Pour caricaturer, on retrouve souvent dans ces cellules les cas les plus difficiles : salariés âgés, travailleurs étrangers dépourvus de réseaux, détenteurs de qualifications difficilement objectivables…

E & C : À quoi peut-on attribuer cet échec relatif ?

F. N. : Principalement au modèle traditionnel de GRH qui vend volontiers l’idée que l’entreprise serait comptable et responsable du devenir de ses collaborateurs, ces derniers ne devant guère s’inquiéter de leur futur ni de leur employabilité. Or, en réalité, rien n’est plus faux. Les faits démontrent qu’un salarié qui ne se montrerait pas acteur de sa carrière – demande de mobilité ou de formation – s’expose à de graves désillusions. Dans le modèle entrepreneurial français, les salariés ne sont guère, sinon jamais, invités à se projeter dans leur avenir professionnel. Conséquence : le travailleur « lambda » se montre fort dépourvu lorsque le conseiller de la cellule de reclassement dans laquelle il se retrouve s’étonne qu’il n’ait pas déjà élaboré un “projet” de reconversion. Comment pourrait-il se projeter alors même que jamais personne, dans son organisation, ne s’est inquiété de ses souhaits professionnels ? Soit – ce qui semble éminemment utopique – l’entreprise garantit l’emploi à vie à ses salariés, soit elle mise davantage sur la formation – trop massivement réservée aux cadres – et sur la mobilité de ces derniers. Une entreprise vertueuse devrait s’efforcer de rassurer ses collaborateurs sur leurs talents, leur montrer de la reconnaissance – y compris financière –, les informer des évolutions de l’entreprise. J’ai rencontré, il y a quelques mois, une entreprise spécialisée dans l’imprimerie dont chaque salarié possédait une compétence spécifique : technicien offset, claviste… Face à des difficultés économiques, l’entreprise a requalifié chacun de ces métiers en une unique et vague qualification de technicien d’imprimerie, et a prôné la polyvalence pour tous. Conséquence : les personnes concernées se sont senties dépossédées de leurs compétences spécifiques et se sont psychologiquement repliées sur leur sphère, incapables de se reconnaître à elles-mêmes une valeur professionnelle.

E & C : Comment les salariés gèrent-ils leur passage au sein des cellules de reclassement ?

F. N. : On retrouve dans ces cellules, de manière très fortement exprimée, des identités professionnelles théorisées par le sociologue Claude Dubar. Certains salariés ne conçoivent pas d’abandonner leur identité professionnelle ancrée autour de leur métier – informaticien, photographe… – pour se reconvertir. D’autres, mobiles intellectuellement, profitent de cet épisode pour rebondir ailleurs, en profitant des moyens souvent importants mobilisés dans ces cellules. D’autres encore, dont l’identité professionnelle s’accomplit surtout dans le hors travail, sont soudain déstabilisés car obligés de se réinventer une identité dans le monde professionnel. Et certains sont fortement déstabilisés par des changements qu’ils n’ont jamais envisagés.

E & C : Quelle est la stratégie des cabinets qui animent les cellules de reclassement ? Sont-elles responsables des mauvais chiffres enregistrés ?

F. N. : Les statistiques de reclassement sont, on l’a vu, assez médiocres. Peut-on incriminer les cabinets spécialisés alors même que l’on sait que les salariés qui se présentent dans ces cellules sont souvent les moins bien dotés sur un plan professionnel ? La concurrence entre cabinets est rude, ce qui est de nature à tirer les prix vers le bas au risque de diminuer les ressources consacrées à chaque salarié accompagné. Dans un souci classique d’industrialisation de leur offre, les cabinets n’ont souvent guère le loisir de proposer du sur mesure à leurs clients. Les conseillers qui y interviennent sont par ailleurs souvent des collaborateurs en CDD, donc précarisés, qui doivent « faire du chiffre ». Peut-être ont-ils tendance à se focaliser sur des employés dont ils savent qu’ils auront plus de chances de leur trouver une voie de reclassement, au détriment des autres ?

E & C : Quel est le rôle des syndicats dans la gestion des reclassements ?

F. N. : Leur position n’est pas toujours simple. Bien souvent, peut-être sous la pression de leur base, ils préfèrent négocier des indemnités plus importantes pour les salariés plutôt que de réclamer de prolonger de deux ou trois mois la cellule de reclassement.

PARCOURS

• Florent Noël est professeur agrégé des universités en sciences de gestion à l’Institut d’administration des entreprises de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Il mène des recherches au sein de la chaire Mutations Anticipations Innovations.

• Il est l’auteur de Les suppressions d’emplois – Entre contraintes économiques et pressions sociales (Vuibert, 2004).

LECTURES :

• Évaluez-moi ! Évaluation au travail : les ressorts d’une fascination, Bénédicte Vidaillet, Seuil, 2013.

• Les restructurations d’entreprises, Rachel Beaujolin-Bellet et Géraldine Schmidt, La Découverte, 2012.

• Encyclopédie des ressources humaines, José Allouche (dir.), Vuibert, 3e édition, 2012.

Auteur

  • ÉRIC DELON