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L’égalité syndicale envers et contre tous

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 19.11.2013 | EMMANUEL FRANCK

À la demande du syndicat SUD, un juge a fait annuler les élections professionnelles de Compass au motif notamment que ce syndicat ne bénéficiait pas des mêmes moyens que les autres. La direction soutient a contrario qu’un syndicat non représentatif n’a pas les mêmes prérogatives. L’affaire est en cassation.

Sept mois sans CE ni DP. C’est la mésaventure que connaissent encore aujourd’hui les 16 000 salariés de Compass, entreprise de restauration collective. Le 19 mars 2013, le tribunal d’instance de Vanves (92) a annulé leurs élections professionnelles, qui s’étaient déroulées dix mois auparavant. De nouvelles élections n’ayant toujours pas eu lieu, les salariés n’ont, depuis cette date, plus d’institutions représentatives du personnel, à l’exception des délégués syndicaux.

La faute à SUD, « un syndicat non représentatif dans l’entreprise et ne disposant d’aucun élu », qui a obtenu l’annulation de l’élection, explique Frédéric Bourdeau, DRH de Compass. La faute à la direction, « qui fait traîner l’organisation des élections en espérant un arrêt favorable de la Cour de cassation », rétorque Antoine Dumaine, délégué syndical SUD, à l’origine de la procédure judiciaire.

La Cour de cassation, saisie directement des contentieux électoraux, ne se prononcera vraisemblablement pas avant la fin de l’année voire au début de 2014 ; les salariés vont donc devoir encore prendre leur mal en patience. En attendant, le fonctionnement des œuvres sociales est maintenu : « Les chèques-vacances ont été donnés cet été, mais la question se pose maintenant pour Noël », explique Antoine Dumaine, qui admet que l’annulation du CE « n’est pas très populaire » parmi les salariés. Quant au dialogue social, il est dans un état végétatif. « Nous nous réunissons avec les délégués syndicaux afin de garder le contact », relate Frédéric Bourdeau (lire l’encadré).

Dépouillement optique

Au centre de ce bras de fer judiciaire se trouve le protocole d’accord préélectoral (PAP) signé fin 2011, quelques mois avant les élections. SUD soutient que l’accord auquel sont parvenus la direction et les syndicats signataires (tous sauf SUD, la CFTC et CAT) rompt l’égalité entre les syndicats représentatifs et non représentatifs. Le syndicat conteste en outre la régularité du dépouillement optique des votes, qui n’a fait l’objet d’aucun accord de groupe. Il demande au tribunal de Vanves, contre la direction et contre tous les autres syndicats, de déclarer nul le PAP et d’annuler les élections*.

Le 19 mars dernier, le juge donne raison à SUD sur les deux points. Il décide que le décompte optique est régi par les règles relatives au vote électronique, et qu’il aurait dû faire l’objet d’un accord collectif. Surtout, il remarque que le protocole d’accord préélectoral ne dédie aucun moyen aux syndicats, représentatifs ou non (seuls le CE et les DP sont bénéficiaires), mais que les syndicats représentatifs disposent, eux, de moyens extra-légaux issus d’un accord de 2006. À ce titre, chacun d’eux perçoit 44 860 euros, bénéficie d’heures de délégation, de moyens de communication et d’assurances individuelles, tandis que SUD reçoit 8 800 euros. « SUD ne perçoit pas autant mais ne fait pas autant », justifie le DRH. Mais le juge ne l’entend pas ainsi. Il considère qu’en ne fixant pas, au profit des syndicats non représentatifs, des moyens « de nature à pondérer » ceux que les syndicats représentatifs reçoivent de l’accord de 2006, le PAP rompt l’égalité des chances entre syndicats. Autrement dit, pour être valable, le PAP aurait donc dû n’accorder des moyens qu’à SUD, donc être discriminant.

La direction, de concert avec la CFDT, conteste maintenant les deux conclusions du tribunal de Vanves devant la Cour de cassation. S’agissant du principe d’égalité, ils font valoir, primo, que le PAP ne contient rien qui soit susceptible de rompre l’égalité des chances entre syndicats. Et secundo - quand bien même il faudrait se référer à l’accord de 2006 pour annuler le PAP - que les syndicats représentatifs ne sont pas dans la même situation que les non-représentatifs, ce qui justifie « des mesures plus favorables afin de leur permettre l’exercice de prérogatives plus étendues ». Ils s’appuient sur un arrêt du 22 septembre 2010 qui permet de réserver des avantages aux syndicats représentatifs dès lors que l’accord est plus favorable que la loi.

Juste compétition

Thierry Renard, avocat associé chez BDD, qui intervient pour SUD, ne voit pas, bien sûr, les choses ainsi : « Dès lors que la loi de 2008 modifie les conditions de représentativité, la Cour de cassation fait attention à ce que la compétition électorale ne soit pas faussée entre organisations syndicales. Le jugement de Vanves s’inscrit dans cette logique ». « Nos gouvernants veulent donner la priorité au dialogue social, mais des juges défont ce que la négociation collective a construit, déplore, de son côté, Frédéric Bourdeau. Si SUD l’emporte en cassation, il pourra faire valoir l’efficacité de la radicalité ; c’est dangereux à un moment où la vie des entreprises est compliquée. »

* La CFDT avait alors obtenu 24,9 % des suffrages, FO 20 %, la CGT 19,93 %, la CFTC 11,4 %, la CGC 10,4 %, l’Unsa 9,4 % et Sud 4,6 %.

LE TICKET DES DS EST-IL ENCORE VALABLE AU-DELÀ DU 22 AOÛT 2012 ?

Malgré l’annulation des élections professionnelles, les salariés de Compass sont représentés par des délégués syndicaux. Selon une procédure très contestable, ces derniers ont été désignés « sur la base des précédentes élections de 2007 », explique Frédéric Bourdeau. Or « la présomption irréfragable de représentativité s’est arrêtée en août 2012 », rappelle l’avocat Thierry Renard. Selon un arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2010 (n° 09-60244 FS-PB), la fin de la période transitoire de représentativité est en effet fixée au 22 août 2012. Au-delà, seule l’élection fait foi. Mais quid lorsqu’elle est annulée ?

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK