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LA MOBILITÉ INTERNE INVESTIT LE CHAMP DU DIALOGUE SOCIAL

Enquête | publié le : 19.11.2013 | ÉLODIE SARFATI

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LA MOBILITÉ INTERNE INVESTIT LE CHAMP DU DIALOGUE SOCIAL

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Négocier des mesures de mobilité interne ? Pour gérer leurs transformations, certaines entreprises s’y sont déjà essayées. Mais la loi Sapin donne un coup d’accélérateur à ces accords en prévoyant que la mobilité puisse s’imposer aux salariés dans certaines circonstances. Zones géographiques, accompagnement financier, garanties de reclassement, traitement des refus… que négocient les partenaires sociaux ?

Une disposition de l’accord GPEC de MMA (lire p. 27) et du nouveau contrat social de PSA (lire p. 25), un volet de l’accord “d’accompagnement social des transformations” au Crédit Agricole CIB (lire p. 25)… cinq mois après l’adoption de la loi de sécurisation de l’emploi, son article 15 a vite trouvé à s’appliquer. Ce qu’il prévoit ? La possibilité de négocier des accords de mobilité interne applicables en cas de « mesures collectives d’organisation courante sans réduction d’effectifs ».

Un cadre qui correspond bien aussi aux « problématiques d’adéquation des emplois » que rencontre régulièrement Cofely Ineo, relève Philippe Stanic, le directeur du développement social. Dans cette filiale de GDF Suez, trois accords ont été signés depuis fin septembre dans trois entités différentes de l’UES : « Nous avons sans cesse des contraintes et des opportunités de marché. Cet été, une de nos filiales a perdu un marché de raccordement d’abonnés téléphoniques et Internet. Mais elle dispose aussi, par ailleurs, de postes à pourvoir. Ces accords nous permettent d’anticiper pour gérer les ajustements et de définir ensemble le package d’accompagnement. »

Un besoin vital de réactivité

L’accord signé chez Bigard pose clairement les enjeux : « […] La réactivité de l’entreprise est vitale. Cette réactivité dépend, entre autres, de la flexibilité de nos organisations et de notre capacité à changer de modèle de production », peut-on lire dans l’article sur la mobilité interne « sollicitée par l’entreprise ». « La situation dans l’agroalimentaire est catastrophique ; l’accord est pour nous une façon d’essayer de maintenir les emplois, sans attendre le couperet du PSE », estime Dominique Douin, délégué syndical central FO, signataire de l’accord.

Pour Claude Bodeau, associé en charge des practices RH management chez Kurt Salmon, la loi a d’abord pour vertu « d’amorcer la réflexion et le dialogue sur la mobilité et la façon dont on accompagne les changements. Jusqu’à présent, la GPEC n’avait rien produit de réellement dynamique en la matière. La loi fait bouger les lignes, mais crée aussi, c’est vrai, un cadre insécurisant pour les salariés ».

De fait, en cas d’accord collectif, les refus de mobilité peuvent se solder, in fine, par un licenciement économique. Avec, pour l’entreprise, l’assurance d’échapper à la mise en œuvre d’un PSE, quel que soit le nombre de salariés concernés. « En desserrant la contrainte du côté des employeurs, la loi inscrit dans le paysage de la négociation sociale l’idée que la mobilité fait partie du fonctionnement des entreprises et qu’il faut trouver le moyen de s’en accommoder », résume Patrick Gilbert, professeur à l’IAE de Paris.

Des précurseurs

À Eiffage Énergie, une annexe à l’accord GPEC sur l’accompagnement à la mobilité interne pour les sites déclarés en “tension” a été négociée en 2012. Avant la loi, donc, mais « dans le même esprit », relève Valérie Moulinier, directrice du développement métiers formation. Parcours de formation, aides financières… font partie des dispositions prévues, ainsi qu’un accompagnement à la mobilité externe : « Notre démarche a permis d’échanger en toute transparence avec les re­présentants du personnel sur les réalités des bassins d’emploi et de mettre les organisations en mouvement. »

Seul bémol, note-t-elle, « notre dispositif prévoit que les personnes qui ne sont pas mobiles géographiquement puissent être accompagnées jusqu’à ce qu’elles retrouvent une activité en externe. Sans limite de temps, ce qui peut parfois bloquer le processus, puisque le contrat de travail n’est pas rompu avant qu’une solution professionnelle n’ait été trouvée ». Elle souhaiterait donc renégocier ce dispositif, qui arrive à échéance mi-2014, dans le cadre de la loi de sécurisation de l’emploi.

Sauf que cette flexibilité nouvelle ne passe pas toujours auprès des organisations syndicales. À Natixis, la négociation de l’accord sur l’emploi, signé le 13 septembre, a achoppé sur ce chapitre, les syndicats rejetant en bloc ce qu’ils analysaient comme des mobilités forcées. « Le fait de prévoir des licenciements économiques en cas de refus contrevenait à la notion de volontariat négociée par ailleurs », justifie Francis Vergnaud, délégué syndical national SNB CFE-CGC.

Du côté des DRH, on ne souhaite pas non plus forcément s’engouffrer dans cette brèche. Chez ÉlectroDépôt, Stéphane Wilmotte a bien prévu une négociation sur la mobilité dans les prochains mois : « La loi nous y a fait penser, et ce sera l’occasion de mieux communiquer sur ce que l’on a mis en place en termes d’accompagnement. » Mais pas question de parler de rupture du contrat de travail. « L’effet boomerang est trop risqué, juge-t-il. Si nous inscrivons dans l’accord que les salariés qui refusent seront licenciés, ceux à qui l’on proposera une mobilité se demanderont toujours si l’on veut les faire évoluer ou les voir partir. Si nous devons gérer des refus, nous le ferons individuellement. »

À CMA-CGM (lire p. 28), ce sont des accords conclus hors du cadre de la loi de sécurisation qui accompagnent le transfert de 140 postes du Havre vers Marseille. Avec un engagement à ne pas procéder à des licenciements économiques contraints.

Un climat de confiance

Selon les besoins, les activités et les cultures, les modalités d’incitation à la mobilité seront donc différentes. « Il aurait été difficile de négocier ces accords si nous n’avions pas déjà lancé des démarches de GPEC et de partage d’information sur la stratégie dans les différentes entités, ajoute Stéphane Randretsa, le DRH de Cofely Ineo. Il faut un minimum de confiance. » Mais, quelles que soient les mesures retenues, l’une des gageures restera bien de réussir à convaincre les salariés de s’inscrire dans la démarche. Perte de compétences, désorganisation, effet médiatique… les risques existent de voir trop de salariés refuser d’adhérer au projet mis en œuvre.

Sans compter, souligne Marion Ayadi, avocate au cabinet Raphaël, que la loi parle d’accompagner par la mobilité des projets « sans réduction d’effectifs. Ce qui veut dire, selon moi, que les salariés qui refusent doivent être remplacés ». Et de rappeler que les employeurs doivent prendre en compte les contraintes personnelles et familiales des salariés concernés : « Cette phase de concertation est essentielle. Si l’on détecte un problème – garde des enfants, parents à charge… –, il faut prévoir des adaptations, par exemple des aménagements d’horaires. Autrement, cela peut avoir un impact sur le caractère réel et sérieux du licenciement prononcé en cas de refus du salarié. »

Pour Xavier Tedeschi, fondateur du cabinet Latitude RH, « ces accords sont un bon levier pour amener les salariés à avoir une vision plus ouverte et positive de la mobilité. À condition que leur mise en œuvre ne se fasse pas dans la précipitation ni dans l’excès. Attention à rester dans les limites de l’acceptable, pour que la mobilité soit l’occasion d’évolution, et non de rupture ». La frontière est souvent ténue entre les mobilités acceptées et les mobilités forcées.

Yves Barou, président du cercle des DRH européens, veut croire que le dialogue social évitera les dérives, par la vigilance des syndicats d’une part et l’intelligence collective d’autre part : « La mobilité ne doit pas se limiter à la seule dimension géographique, qui ne va pas de soi quand il s’agit de faire déménager toute la cellule familiale. En se focalisant uniquement sur elle, on risque en effet de mettre les salariés dans un corner. La mobilité professionnelle, à laquelle la loi fait aussi référence, permet d’imaginer d’autres réponses. Formation, montée en compétences des équipes, modification de l’organisation du travail… la palette est large. Aux partenaires sociaux de faire œuvre de créativité. »

Le gouvernement, quant à lui, devra présenter un premier bilan de ces accords avant la fin de l’année 2015.

L’ESSENTIEL

1 La loi de sécurisation donne aux employeurs plus de flexibilité pour mettre en œuvre des mobilités internes collectives selon des modalités d’accompagnement négociées.

2 Plusieurs accords ont déjà été signés dans ce cadre, qui visent à s’adapter plus vite aux aléas de l’activité.

3 Les syndicats cherchent à préserver le volontariat et à garantir des mesures de reclassement efficaces pour éviter les mobilités contraintes.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI