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COMMENT DONNER ENVIE DE BOUGER

Enquête | publié le : 08.10.2013 | NICOLAS LAGRANGE

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COMMENT DONNER ENVIE DE BOUGER

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

Pour favoriser les évolutions de carrière, salariés et DRH privilégient aujourd’hui la mobilité interne, plus adaptée à la conjoncture difficile. Mais les marges de manœuvre sont souvent restreintes et les freins persistants. Focus sur les outils mis en œuvre pour inciter les collaborateurs à bouger.

Le climat économique et les incertitudes qui l’accompagnent ne sont pas propices aux mobilités externes, très sensibles à la conjoncture. Du coup, les mobilités internes sont davantage recherchées. « Les entreprises s’emparent du sujet, assure Virginie Loye, responsable des offres de formation RH et compétences de Cegos. Le nombre de formations suivies par les RH, comme “gérer et développer la mobilité interne” ou “repérer les potentiels et les talents”, est en hausse de près de 30 % depuis deux ans. » « La mobilité interne s’inscrit aujourd’hui davantage dans une démarche au long cours, analyse Sébastien Fromm, responsable ingénierie et solutions RH à l’Apec. Les entreprises nous sollicitent pour déceler les motivations des cadres, les mettre en mouvement, aider les RH à accompagner les projets d’évolution interne et parfois lever les freins des managers. » Cette tendance, combinée à l’expansion du gel des recrutements externes, impacte aussi l’organisation, puisqu’elle conduit un certain nombre de conseillers RH plutôt orientés recrutement à se repositionner vers l’accompagnement de carrière. « Il s’agit d’aider les salariés à se poser les bonnes questions sur leur projet, pas de leur apporter des solutions toutes faites, ajoute l’expert de l’Apec. Les gestionnaires de carrière se transforment en quelque sorte en consultants internes. »

Une approche transverse

Mais, pour être efficace, « il est essentiel d’élargir la vision des acteurs RH à tous les métiers de l’entreprise, sinon chacun reste cloisonné à sa ligne métiers ou à son entité, estime Julien Ochonisky, directeur du campus métiers mobilité à la Société générale. Cette structure nouvellement créée, qui repose sur une équipe d’une vingtaine de conseillers référents, vise à développer une approche plus transverse ». Le groupe Crédit agricole a lui aussi créé un pôle de mobilité au niveau corporate pour développer la mobilité interentités (lire p. 27). « Tous les deux mois, les représentants de chaque filiale se réunissent au sein du comité mobilité groupe, afin d’échanger sur l’évolution de l’emploi et sur les possibilités de mobilités internes, indique Jean-Paul Kaouza, responsable des relations sociales au Crédit agricole CIB. Ce qui oblige à améliorer la circulation des informations. » La simplification des référentiels métiers apparaît également comme une tendance lourde, loin des usines à gaz qui avaient accompagné les premières GPEC, ce qui met les compétences transverses plus en avant et facilite les passerelles. Ainsi, Spie Batignolles est passé de 300 à 26 emplois repères pour ses 4 000 ouvriers et met à leur disposition un guide des métiers et passerelles depuis début 2013. « Un conducteur d’engin, par exemple, peut voir ses possibilités d’évolution au sein de son métier ou envisager une mobilité vers d’autres métiers, explique Gérard Charbonnier, directeur emploi et compétences. Moyennant des parcours qui peuvent aller d’“aisé” à “improbable”, formalisés par des passerelles plus ou moins longues. »

Information complète

Longtemps focalisés sur les cadres, « les dispositifs de mobilité interne et de gestion de carrières s’élargissent à l’ensemble des collaborateurs, affirme Virginie Loye. Ils tendent aussi à être plus transparents. La mobilité interne passe moins par des promotions, forcément limitées, elle devient plus horizontale, sur d’autres entités ou d’autres métiers, ce qui nécessite une meilleure communication sur les postes à pourvoir. » En la matière, les outils classiques sont encore très utilisés, tels les bourses d’emploi, les ateliers mobilité ou encore les kits dédiés.

La ville de Nantes a créé un jeu de l’oie du parcours professionnel à destination de ses fonctionnaires municipaux (lire p. 28). D’autres développent des formules découvertes, sur le principe de “vis ma vie”. Orange France vient de mettre en service un outil intranet innovant, “mon itinéraire”, pour donner une information complète sur les métiers mais aussi sur les postes à pourvoir, dans chacun de ses 85 bassins d’emplois (lire p. 26). Un exercice qui nécessite une GPEC territoriale très fine.

Autre initiative intéressante, Robert Bosch France propose depuis peu aux candidats à la mobilité de déposer leur CV et leurs souhaits sur une base de données interne, consultable par les seuls RH. « Les salariés n’ont pas à attendre qu’il y ait un poste à pourvoir, ils peuvent être proactifs en interne, comme ils savent l’être dans leurs recherches externes », explique le DRH, Dominique Olivier.

Pour inciter les salariés à réfléchir à leur carrière sans qu’ils s’exposent vis-à-vis de leur hiérarchie, certaines sociétés misent dans un premier temps sur la confidentialité et l’accompagnement individualisé.

STMicroelectronics a créé avec d’autres entreprises locales trois pôles de mobilité régionale, où un consultant externe reçoit anonymement les salariés, les aide à réfléchir à leur parcours et à construire un projet. « Plus de 1 000 salariés sont passés par ce type de structure depuis sept ans, avec des mobilités internes à la clé dans les deux tiers des cas, indique François Suquet, DRH France, Maroc et Tunisie. Côté RH, nous devons accepter de ne pas tout savoir. Mais l’entreprise en tire aussi des bénéfices avec des salariés plus satisfaits et des reconversions profondes, comme ce spécialiste du manufacturing passé au contrôle de gestion. »

Manager, développeur de compétences

Quels que soient les dispositifs d’incitation, leur succès repose sur la coopération des managers, qui veulent conserver leurs prérogatives de recruteurs. Cela passe le plus souvent par la sensibilisation et la formation, mais parfois aussi par des règles plus contraignantes. Pour obliger sa ligne managériale à privilégier l’interne, Spie Batignolles soumet depuis 2009 les recrutements externes à une dérogation auprès du comex, après recherche préalable en interne. À la Société générale, depuis février 2013, le campus métiers mobilité centralise les demandes et recherche d’abord dans le vivier des candidats internes. Plus de 1 100 mobilités, dont 35 % entre pôles d’activités, ont été réalisées en sept mois sur les 16 000 collaborateurs des services franciliens du siège. « Il est indispensable de valoriser le rôle de développeur des compétences du manager, considère Virginie Loye. Certains groupes anglo-saxons intègrent dans l’évaluation du manager des critères quantitatifs, comme le nombre de collaborateurs formés et/ou mobiles, et qualitatifs, comme la capacité à développer et fidéliser les talents. » Plus fréquemment, l’aptitude à faire progresser les collaborateurs fait l’objet de questions dans les baromètres sociaux et lors de l’entretien annuel.

Reste un autre frein majeur, celui de la mobilité géographique. « Quatre problèmes reviennent souvent dans le discours des DRH, constate Richard Duhautois, chercheur au Centre d’études de l’emploi : le coût du logement, le déracinement notamment pour les employés et les ouvriers, le travail du conjoint et la qualité de l’établissement scolaire. » Pour y faire face, les grands groupes proposent souvent une prise en charge des frais d’installation, mais prennent plus rarement en considération l’accompagnement du conjoint dans ses recherches professionnelles. Selon Sébastien Fromm, « les grandes entreprises tendent à revoir le périmètre de la mobilité géographique pour privilégier des mobilités fonctionnelles locales ou régionales, afin d’éviter un déménagement ou de limiter l’éloignement ».

L’ESSENTIEL

1 Les DRH pilotent davantage les processus voire développent l’accompagnement individuel des salariés, et pas seulement des cadres.

2 Les mobilités internes choisies sont plus fonctionnelles et plus horizontales.

3 Bourses d’emploi, référentiels métiers, ateliers mobilité, intranet… les outils se veulent plus simples et transparents.

La mobilité professionnelle en chiffres et en tendances

→ « La mobilité, tant externe qu’interne, se polarise aux deux extrêmes, constate Delphine Remillon(1), chercheure à l’Ined.

Les plus précaires sont encore plus mobiles qu’avant, et les salariés les plus stables bougent moins. Les seniors sont moins mobiles que les autres, tout comme les propriétaires par rapport aux locataires, les couples par rapport aux célibataires. Il y a un lien négatif entre le nombre d’enfants et la propension à être mobile, surtout pour les femmes. Par ailleurs, les promotions se font davantage aujourd’hui par les mobilités externes que sur le marché du travail interne. »

→ Une étude Insee de 2003, menée par Thomas Amossé, du Centre d’études de l’emploi, indiquait que 13 % des salariés changeaient d’emploi chaque année, parmi lesquels 20 % connaissaient une mobilité interne, qu’elle soit choisie ou imposée.

→ De nombreuses enquêtes montrent que ce sont les cadres qui sont les plus mobiles, surtout dans les grandes entreprises. Selon une étude de l’Apec publiée en juin 2013, 9 % des cadres ont affirmé avoir changé de poste dans leur entreprise en 2012, à leur initiative pour plus de 60 % d’entre eux.

(1) Auteure, avec Richard Duhautois et Héloïse Petit, de La Mobilité professionnelle, éd. La Découverte, mai 2012.

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE