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« Un taux très bas d’absentéisme peut être inquiétant »

Enjeux | publié le : 24.09.2013 | ROZENN LE SAINT

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« Un taux très bas d’absentéisme peut être inquiétant »

Crédit photo ROZENN LE SAINT

Si l’absentéisme est un indicateur de risques psychosociaux, le fait de venir travailler en toutes circonstances, même malade, peut avoir des effets négatifs sur la santé des salariés et, à moyen terme, sur la productivité de l’entreprise. Les DRH et les managers doivent en prendre conscience.

E & C : Qu’est-ce que le surprésentéisme ?

Denis Monneuse : Il ne s’agit pas du présentéisme contemplatif, c’est-à-dire des salariés qui sont au travail mais qui y font autre chose, ni du présentéisme compétitif, autrement dit du personnel qui arrive très tôt le matin et repart tard le soir pour montrer sa motivation et son ambition. Le surprésentéisme, c’est le comportement des personnes qui vont travailler même quand elles sont malades, dont la présence est anormale compte tenu de leur état de santé.

E & C : Les cadres y sont-ils davantage enclins ?

D. M. : Oui, même si le surprésentéisme touche tout le monde : les patrons d’entreprise, les cadres supérieurs qui refusent de s’absenter, ils en font une affaire personnelle – beaucoup me disent que ce n’est pas une grippe qui va les arrêter ou qu’ils souhaitent “montrer l’exemple” à leurs salariés pour prouver que l’on peut venir travailler tout en étant malade –, mais aussi les salariés précaires, en intérim, en CDD ou en période d’essai. Ils espèrent se faire embaucher en CDI et craignent de ne pas y parvenir s’ils s’absentent pour maladie. Les métiers rémunérés à la commission poussent aussi davantage au surprésentéisme. Les commerciaux dans les centres d’appels, par exemple, se disent que, s’ils s’absentent, ils ne parviendront pas à obtenir la prime accordée pour tel volume d’appels dans le mois. Dans les pays d’Europe du Sud gravement touchés par la crise économique, comme en Espagne, les gens s’estiment tellement chanceux d’avoir un travail qu’ils s’y rendent, quoi qu’il arrive…

E & C : Qu’est-ce qui pousse les salariés à aller au travail, même malades ?

D. M. : Chez les employés, la pression sociale est déterminante : celle qu’ils se mettent eux-mêmes ou celle exercée par leurs collègues. Dans les banques, les salariés hésitent à deux fois avant de s’arrêter pour maladie, sachant que, par exemple, seulement deux guichets seront ouverts au lieu de trois du fait de leur absence et que, par conséquent, leur charge de travail sera reportée sur leurs collègues. Dans les petites équipes soudées où l’ambiance est plutôt bonne, le surprésentéisme est plus important. Le sentiment de culpabilité vis-à-vis des clients ou des patients y pousse également. Certains prennent davantage en compte la reconnaissance de leurs clients que celle de leurs collègues et refusent de s’arrêter pour éviter qu’ils soient livrés en retard, par exemple. Dans les métiers de la santé ou de l’éducation, les professionnels ne souhaitent pas que leur absence ait des conséquences sur leurs patients ou leurs élèves. Ceux qui ont un problème de santé important cumulent souvent l’absentéisme et le surprésentéisme, de peur d’être mal vus s’ils sont trop souvent arrêtés. Il existe des maladies totalement invisibles, et certains salariés ne souhaitent pas étaler leur état de faiblesse ou leur vie privée pour ne pas la mélanger avec leur vie professionnelle. Or leurs collègues et supérieurs ont souvent l’impression que ces personnes abusent des arrêts maladie. Je me suis entretenu avec un manager qui avait fini par contacter le médecin du travail car il ne comprenait pas pourquoi un de ses collaborateurs était souvent absent. Le professionnel de la santé lui a répondu qu’il ne pouvait pas lui révéler de quoi il souffrait, mais qu’il était régulièrement hospitalisé. Par la suite, le manager a briefé les membres de l’équipe en expliquant qu’il ne s’agissait pas d’un cas d’abus afin d’éviter toute remarque désobligeante de leur part envers ce salarié.

E & C : Les DRH sont-ils conscients du surprésentéisme ?

D. M. : Ils ressentent un certain malaise à en parler. Ils craignent que les représentants du personnel leur reprochent d’exercer une pression sur les salariés pour qu’ils viennent travailler, même malades, ou qu’ils s’en emparent pour dénoncer les conditions de travail. Les DRH ont peur que cela leur revienne comme un boomerang. L’absentéisme, en général, reste tabou. Ils préfèrent agir de manière détournée pour y remédier en étant toujours un peu en sureffectif pour être en capacité de déployer une équipe de personnes “volantes” polyvalentes, qui remplacent au pied levé les salariés absents. C’est très pratiqué par la grande distribution ou par les métiers de guichet, comme dans les banques ou les assurances. Ce sont souvent les nouveaux arrivants ou les jeunes salariés à qui l’on demande de faire du dépannage. Finalement, les seuls moments où les responsables RH abordent librement le sujet, c’est en cas d’épidémies, comme celles que l’on a connues avec le H5N1 ou le Sras. Là, ils se rendent compte des dangers de la contagion et des effets immédiats sur la productivité de l’entreprise.

E & C : Quels sont les coûts du surprésentéisme pour l’entreprise ?

D. M. : Beaucoup de DRH se félicitent du taux très bas d’absentéisme dans leur entreprise. Pourtant, cela peut être inquiétant et signifier que leurs collaborateurs préfèrent venir travailler quand ils sont malades, notamment à cause du regard des autres, des supérieurs et des collègues. À long terme, c’est un facteur de risques psychosociaux, de dépressions, ou bien cela peut déclencher des maladies plus importantes et augmenter les risques d’arrêts cardiaques, par exemple. Souvent, les personnes qui ont subi un burn-out expliquent que leur corps leur avait envoyé des signaux qu’elles n’avaient pas écoutés. Lorsqu’elles reviennent, elles en veulent à leur hiérarchie de ne pas les avoir invitées à s’arrêter et expriment un certain ressentiment. Par ailleurs, si quelqu’un vient travailler malade, il est davantage irascible, moins patient… Cela dégrade les relations interpersonnelles et augmente les risques d’erreurs. Par conséquent, les risques pesant sur la qualité du travail et la productivité à plus long terme peuvent avoir des conséquences plus importantes que quelques jours d’arrêt maladie quand le besoin s’en fait sentir.

E & C : Quel rôle les entreprises doivent-elles jouer pour éviter ces conséquences ?

D. M. : La première chose consiste à identifier les cas les plus extrêmes : ceux qui ne prennent jamais de vacances, qui sont absolument toujours présents, même quand ils sont malades… Il faut sensibiliser les managers en leur expliquant que si, à court terme, ils ont l’impression d’être gagnants, à moyen terme, ils ne le sont pas. Un salarié me racontait lors d’un entretien, qu’un jour, alors qu’il s’était rendu au bureau malade, son manager l’a renvoyé chez lui se reposer. Cela a été la reconnaissance ultime pour ce collaborateur, le signe qu’il existait en tant qu’humain et pas seulement en tant que salarié.

PARCOURS

• Denis Monneuse, sociologue, est enseignant-chercheur à l’IAE de Paris et expert associé à l’Institut de l’entreprise.

• Il vient de publier Le Surprésentéisme – Travailler malgré la maladie (De Boeck, 2013), après L’Absentéisme au travail (Afnor, 2009) et Les Jeunes expliqués aux vieux (L’Harmattan, 2012).

• Il est également consultant RH indépendant.

LECTURES

• Global burn-out, Pascal Chabot, PUF, 2013.

• The Sociology of Health and Illness, Sarah Nettleton, Polity Press, 2013.

• La Tyrannie de l’évaluation, Angélique del Rey, La Découverte, 2013.

Auteur

  • ROZENN LE SAINT