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LE RENDEZ-VOUS DE LA FORMATION

« Il faut, non pas supprimer l’obligation légale, mais la centrer sur des priorités »

LE RENDEZ-VOUS DE LA FORMATION | Réforme | publié le : 09.07.2013 | L. G.

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« Il faut, non pas supprimer l’obligation légale, mais la centrer sur des priorités »

Crédit photo L. G.

E & C : Les partenaires sociaux sont-ils prêts à des réformes importantes de la formation professionnelle ?

P. F. : Ils ont aujourd’hui une claire conscience des évolutions nécessaires de notre système. D’ailleurs, s’ils n’étaient pas pris régulièrement pour cible, de façon souvent injuste et déplacée, ils seraient davantage enclins à déplacer les lignes. Le débat caricatural autour des 32 milliards d’euros de la formation, qui concernent bien d’autres acteurs que les entreprises et les partenaires sociaux, n’est sans doute pas la meilleure façon de préparer les changements.

E & C : Quel est votre point de vue aujourd’hui sur l’obligation légale fiscale ? Suppression d’une partie ? Maintien pour les TPE ?

P. F. : Je propose, non pas de supprimer l’obligation légale, mais de la centrer sur des priorités qui ne bénéficient pas aujourd’hui de moyens suffisants malgré l’existence de ce système d’obligation depuis des années.

Pour les publics fragiles ou les plus petites entreprises, il faut maintenir ces obligations. En contrepartie, on peut laisser une plus grande liberté aux entreprises pour investir dans le domaine de la formation, comme elles le font sur le plan des investissements matériels ou des nouvelles technologies.

Les exigences de compétitivité les poussent spontanément à faire certains investissements, mais ces exigences entrent parfois en contradiction avec la nécessité de préserver l’employabilité de certaines personnes : c’est là qu’il faut bien réfléchir aux mécanismes qui doivent éviter l’exclusion de ces personnes des plans de formation. Plus de liberté d’un côté, plus d’obligations ciblées de l’autre.

E & C : Outre le ciblage de certaines obligations, êtes-vous favorable à des mécanismes d’incitation fiscale ?

P. F. : Je suis favorable à des incitations fiscales accompagnant une évolution progressive du système pour ne pas déstabiliser l’édifice. Notamment : considérer la formation comme un investissement inscrit dans le bilan des entreprises au titre d’un actif immatériel est indispensable. Le principe doit être de prendre en compte l’effort réel des entreprises en le traduisant par des avantages, plutôt que de faire confiance à un système d’obligations généralisées et non ciblées qui a montré ses limites. Certains salariés, les demandeurs d’emploi, mais aussi certaines entreprises ne se retrouvent pas dans notre système de mutualisation, mais il faut le faire perdurer pour les plus petites des entreprises. Plus exactement, il faut que la mutualisation progresse sensiblement.

Par ailleurs, pour que les ressources bénéficient davantage aux plus petites d’entre elles, il faut les aider à régler quelques problèmes matériels et logistiques aussi importants que la péréquation financière.

E & C : La vertu du « former ou payer » est de créer une capacité de financement collective. Sans mutualisation de fonds via les Opca, les entreprises désireuses de former devront financer seules leur effort car, à la différence des investissements matériels lourds, elles n’auront pas de ligne de crédit de leur banque sur cette question. Espérez-vous des engagements conventionnels par branche ?

P. F. : Rien n’empêche, bien sûr, de parvenir à des engagements conventionnels par branche qui permettraient de baliser le terrain et d’accompagner cette mue profonde, afin de voir l’effort de formation progresser sensiblement au cours des prochaines années. Il faut d’ailleurs prendre l’habitude, au niveau microéconomique comme au plan macroéconomique, d’en mesurer l’efficacité. La mesure du rendement de la formation, même si elle est sujette à controverse et si la formation n’est pas un bien comme les autres, doit progresser.

Par ailleurs, ne sous-estimons pas l’effort réalisé par les Opca dans la dernière période. La future réforme doit conforter ces évolutions en leur donnant les moyens d’adapter le système, en renforçant leurs activités de conseil auprès des entreprises qui en ont le plus besoin et en contribuant à la transformation de l’offre de formation. Les Opca ont compris qu’au-delà des enjeux de mutualisation, on les attend aujourd’hui sur la qualité des services utiles aux entreprises.

E & C : Le compte personnel de formation (CPF) ne semble pas avoir votre faveur : vous considérez qu’il risque de finir comme le DIF. Pourquoi ?

P. F. : Ma crainte ne porte pas sur l’objet même du CPF. Après tout, pour faire vivre l’idée de formation tout au long de la vie, généreuse et ambitieuse, il faut bien doter les personnes, en emploi ou en recherche d’emploi, de moyens nécessaires à l’évolution régulière de leurs compétences et de leurs qualifications. Ma crainte est qu’au nom de la responsabilité et de l’autonomie des individus, au demeurant nécessaires, on ne trouve pas le bon équilibre entre la responsabilité de l’entreprise, celle de la puissance publique et celle de la personne elle-même. En clair, la mobilisation de ressources plus importantes, notamment pour les personnes les plus fragiles, doit aller de pair avec une implication forte des institutions, une responsabilisation des acteurs par le dialogue et la négociation collective renouvelée, dans l’entreprise, dans les branches et dans les territoires.

Ce n’est pas le concept et l’outil que peut être le CPF qui m’inquiète. C’est le souvenir de l’échec cinglant du DIF au cours de la décennie écoulée qui me préoccupe. Si on n’en tire pas les enseignements, on échouera pour les mêmes raisons.

E & C : C’est-à-dire ?

P. F. : Le DIF, idée également très généreuse, a failli parce que les questions posées par son financement n’ont pas été traitées sérieusement dès l’origine, parce que les priorités n’ont pas été précisées quant aux publics bénéficiaires, parce qu’il n’a pas été suffisamment encadré dans l’entreprise par un dialogue ou une négociation qui permette de ne pas livrer à lui-même l’individu face à l’employeur.

Si on évite ces écueils, le CPF peut constituer un levier intéressant pour faire évoluer notre système. À condition que la négociation collective progresse sérieusement et que le financement de l’effort de formation, de l’investissement que cela représente, soit revu de façon cohérente. À condition, enfin, que le CPF soit un levier pour simplifier l’ensemble des dispositifs, pas pour rajouter une couche supplémentaire à la complexité.

E & C : Vous espérez un renforcement de la négociation collective sur la formation professionnelle continue par branches et par entreprises et un investissement plus important des syndicats : comment créer cette dynamique alors que beaucoup de représentants des salariés n’ont pas le niveau technique ni le goût de ce sujet ?

P. F. : Je crois aux vertus de la négociation collective pour éviter les dérives. J’espère que les entreprises ne vivront pas cela comme une contrainte mais comme le meilleur moyen de trouver un équilibre entre deux enjeux complémentaires : faire face aux enjeux de compétitivité et répondre aux revendications des salariés. La meilleure façon de sécuriser les parcours professionnels des salariés est qu’ils bénéficient d’une élévation régulière et continue de leurs compétences. La prise de conscience au sein des entreprises passe par une responsabilisation accrue des acteurs, qui, il faut bien le reconnaître, a souvent fait défaut ces dernières années.

Mais les confédérations syndicales se sont bien emparées du sujet et commencent à en faire un axe fort de leurs actions. Le développement de la négociation des orientations du plan de formation – j’aurais préféré qu’on négocie le plan lui-même – pour les entreprises d’une certaine taille devrait faciliter la nécessaire dynamique. Ensuite, il faudra réaliser un gros effort de formation des représentants du personnel sur ces questions, au même titre que sur les problèmes d’hygiène et de sécurité. Il faudra que les entreprises et les branches le facilitent, et on peut imaginer que l’expertise des Opca soit mobilisée pour transférer des compétences au sein des entreprises.

Le futur accord interprofessionnel pourrait d’ailleurs envisager des dispositions particulières sur le terrain de la formation des représentants du personnel et des responsables syndicaux.

Auteur

  • L. G.