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La bagarre entre États membres continue

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 02.07.2013 | PEGGY CORLIN

La directive de 1996 continue de susciter des débats acharnés au Parlement européen et entre blocs de pays membres. Malgré le principe du respect des minima sociaux locaux qu’elle contient, les abus se sont multipliés, conduisant à de nombreux cas de dumping social.

Le spectre du plombier polonais refait son apparition depuis quelques mois dans les couloirs du palais Bourbon et du Sénat, comme dans ceux du Parlement de Strasbourg. Au cœur des débats : l’application de la directive européenne de 1996 sur les travailleurs détachés partout en Europe pour réaliser une prestation de service. Une mobilité encouragée par l’Union européenne, si tant est que les entreprises respectent les minima sociaux du pays d’accueil – salaire minimum, temps de travail, santé, hygiène et sécurité… – comme le prévoit la législation européenne, y compris depuis la fameuse directive Bolkestein de 2005.

Stratégies de contournement

Or les abus sont légion. Dans un rapport parlementaire rendu public fin mai, plusieurs députés français s’inquiètent : « L’esprit de la directive a été dévoyé par des stratégies de contournement et de fraude, écrivent-ils. Des prestataires de services peu scrupuleux offrent à des entreprises nationales (…) des salariés à “bas coûts”, en maquillant les conditions de détachement pour répondre formellement aux conditions d’application de la directive. » Ainsi, les employeurs bénéficient des charges sociales de leur pays d’origine, offrant dans le secteur agricole, le BTP ou encore l’hôtellerie des avantages pouvant aller jusqu’à 25 % de la masse salariale. Les fraudes identifiées concernent le non-respect des minima sociaux ou encore la situation de détachement elle-même.

En faveur d’une refonte

Des entreprises fantômes, sans activité réelle, se sont multipliées dans les pays à bas coûts, en particulier à l’est. Ce type d’entreprise « emploie des travailleurs, qui peuvent venir d’un autre pays, et les détache auprès d’une entreprise dans un troisième pays de l’Union », explique le rapport. S’appuyant sur les nombreux cas de fraude à la législation en vigueur, ses auteurs espèrent faire adopter par l’Assemblée nationale une résolution en faveur d’une profonde refonte de la directive de 1996.

Il s’agit de pousser la position française à Bruxelles, alors qu’une meilleure application du texte est discutée par les 27 et le Parlement européen. Réunis en commission emploi et affaires sociales le 20 juin dernier, les députés européens ont adopté de justesse un texte pour renforcer le contrôle de ces situations de détachement. « La gauche européenne a bataillé pour avoir des contrôles exigeants au nom de la lutte contre le dumping social, alors que les députés conservateurs privilégient le principe de libre circulation sur le marché unique européen sans obstacles imposés aux entreprises », explique un collaborateur parlementaire.

Pour finir, les socialistes et la gauche radicale européenne ont voté contre le rapport, estimant les nouvelles mesures de protection des travailleurs insuffisantes. Les Verts européens l’ont soutenu, notamment en raison du principe retenu de responsabilité solidaire des donneurs d’ordre, pour lutter contre les abus permis par les chaînes de sous-traitance. Les États membres pourront aussi mieux contrôler la situation de l’entreprise et celle du travailleur détaché. Outre les bulletins de paie ou la déclaration de détachement, une inspection nationale pourra choisir ses critères de contrôles. Ce dernier point fait débat au Conseil de l’Union européenne, qui réunit les 27 membres : les plus libéraux tels les pays de l’est, le Royaume-Uni ou l’Allemagne défendent une liste limitée de contrôles, à l’inverse de la France, la Belgique ou encore le Danemark.

Reste la question de l’absence de salaire minimum légal dans certains pays. Le sujet n’est pas abordé par les travaux en cours à Bruxelles. Le rapport de l’Assemblée nationale s’alarme pourtant du dumping social dans certaines filières employant outre-Rhin des travailleurs de l’est à des salaires inférieurs à ceux des ressortissants nationaux du même secteur (les minima définis au niveau des seules branches, comme en Allemagne, ne s’appliquant pas dans ce cas, lire ci-dessous). Ce pays « est en effet en train de “prendre” tout le marché européen de l’abattage, au détriment des abattoirs belges, danois, hollandais et bretons ».

Le projet de résolution des députés français préconise un salaire minimum européen de référence. L’harmonisation sociale n’est cependant pas la priorité à Bruxelles.

HUIT ANS D’EMPOIGNADES

2005 : le débat sur la libre prestation des services en Europe s’envenime avec la directive Bolkestein. Elle vise à faciliter la mobilité des entreprises de services sur le marché unique européen. Pour les conditions de travail, la directive de 1996 reste d’application : les prestataires de service doivent respecter un noyau de droits sociaux du pays d’accueil – temps de travail, salaire minimum, hygiène et sécurité.

2007 : nouvelles tensions lors d’une série d’arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne jugeant que les garanties sociales fixées par des conventions collectives sectorielles (et non nationales), en particulier le salaire minimum, ne peuvent s’imposer à une entreprise étrangère détachant des travailleurs sur des chantiers de construction. Les pays scandinaves, dont le droit social est en grande partie fixée par des conventions collectives de branche, n’en sont toujours pas satisfaits.

2009 : Les syndicats et la gauche européenne militent dès le début du second mandat du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, pour faire réviser la directive de 1996.

21 mars 2012 : proposition de la Commission européenne. La gauche et la droite se confrontent depuis au Parlement de Strasbourg : pour des garanties sociales aux travailleurs détachés améliorées et de meilleurs contrôles d’un côté ; pour une libéralisation renforcée de l’autre.

20 juin 2013 : Réunis en commission emploi et affaires sociales, les députés européens s’accordent sur un texte en laissant de côté de nombreux amendements socialistes. Un vote en plénière est prévu avant les élections européennes.

Auteur

  • PEGGY CORLIN