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NÉGOCIER MIEUX POUR RÉFORMER PLUS !

Enquête | publié le : 25.06.2013 | EMMANUEL FRANCK

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NÉGOCIER MIEUX POUR RÉFORMER PLUS !

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Le législateur a fait de la négociation le principal outil de réforme des entreprises. Les négociateurs de terrain ont pratiquement abandonné les postures idéologiques, mais il leur manque parfois la technique et la culture, côté direction notamment. Certaines entreprises sont toutefois parvenues à de véritables diagnostics partagés, voire à une coconstruction.

Les négociateurs d’entreprise ont des pouvoirs de plus en plus importants mais sans mode d’emploi. Salaires, temps de travail, épargne salariale, prévoyance, égalité hommes-femmes, handicap, GPEC : la liste des négociations obligatoires en entreprise était déjà longue. Elle vient encore de s’étoffer avec les contrats de génération et la complémentaire santé obligatoire. Et la loi de sécurisation de l’emploi a fait monter les enchères de plusieurs crans en confiant aux négociateurs le pouvoir d’abaisser les salaires (accords de maintien dans l’emploi), de décider de la procédure et du contenu d’un PSE et d’imposer une mobilité. Au fil des ans, le législateur a consacré la négociation d’entreprise ; il a également légitimé les négociateurs syndicaux en réformant leur représentativité, mais il n’a pas expliqué comment parvenir à une négociation efficace.

Si, pendant longtemps, celle-ci a été assimilée à la compromission, le contexte est aujourd’hui plus favorable. Pour Jean-Paul Guillot, président de l’association Réalités du dialogue social, les obstacles idéologiques à la négociation, fondés sur le postulat que seule la lutte paie, n’existent pratiquement plus (lire p. 27). En revanche, selon lui, le problème du manque de formation des chefs d’entreprise et des managers à la négociation collective reste entier.

Des conditions préalables

Parmi les syndicats, le débat doctrinal s’est déplacé sur les conditions d’une négociation réussie. « Quand les entreprises jouent la transparence, cela incite les syndicats à s’engager », expliquait Marcel Grignard, numéro 2 de la CFDT, lors des premières Rencontres du dialogue social des secteurs public et privé, mi-mai. « Le fait que les syndicats ne soient pas unis amène le Medef à se montrer plus exigeant », lui rétorquait Michel Donnedu, ancien secrétaire confédéral de la CGT, en pensant à l’accord national sur l’emploi. Transparence et engagement d’un côté, syndicalisme rassemblé et rapport de force de l’autre : tels sont les préalables à la négociation, selon les deux principales confédérations syndicales.

Mais leurs recommandations sont peu respectées par leurs organisations en entreprise. Les syndicats CFDT signent 93 % des accords qui leur sont soumis et les syndicats CGT 84 % – ce sont respectivement la plus forte et la plus faible proportions. Il n’existe donc pas, comme au niveau confédéral, une organisation qui signe et une qui ne signe pas : tous les syndicats d’entreprise signent beaucoup de textes : 34 000 exactement en 2011, selon le ministère du Travail.

Il faut dire que les formations concoctées par les confédérations CGT et CFDT à destination de leurs mandatés les familiarisent avec la ligne politique de leur syndicat, mais aussi, et surtout, leur apprennent à connaître les attentes des salariés. La CFDT préconise les questionnaires et les tournées dans les bureaux et les ateliers, mais refuse le référendum au nom de sa préférence pour la démocratie indirecte et pour ne pas se laisser « enfermer » par le vote des salariés, explique Véronique Jazat, directrice de l’Iris, l’institut de formation confédéral. La CGT est moins réticente à la démocratie directe.

Apprendre à vivre ensemble

Pour Gérard Taponat, président de la commission dialogue social de l’ANDRH et directeur des affaires sociales de Manpower, c’est « l’expérience du vivre ensemble » entre négociateurs des deux bords qui contribue le mieux à l’efficacité de la négociation d’entreprise. Il met sa théorie en pratique dans le master négociations et relations sociales de l’université Paris Dauphine, cas unique de formation académique mixte réunissant des binômes syndicats-direction (lire p. 22). Ce master est à rapprocher d’autres formations universitaires à destination des syndicalistes, qu’on voit se développer, comme celles de Sciences Po Paris ou de Sciences Po Aix.

Dans le même état d’esprit, certaines entreprises s’essaient à la coconstruction d’un diagnostic, voire de la décision. Après soixante-dix ans de relations sociales formelles, la direction de Gaz réseau distribution France (GrDF) a réussi, en l’espace de cinq ans, à enclencher un véritable dialogue avec les syndicats, dont la CGT ultra-majoritaire (lire p. 23). Les acteurs sont restés les mêmes. Ce qui change, c’est le contexte (la privatisation) et l’état d’esprit de la direction. Dans le “dialogue social autrement” qu’elle a institué, les syndicats sont écoutés, pas assez à leur goût et sur des sujets secondaires, estiment-ils, mais davantage qu’auparavant en tout cas.

L’équipementier automobile Carbody s’est, quant à lui, appuyé sur un dispositif de l’Anact, baptisé Tempo, pour négocier sur la pénibilité (lire p. 25). La DRH et le secrétaire du CCE ont participé ensemble à cinq réunions sur le sujet et en sont ressortis avec un accord, alors que leurs positions étaient au départ très divergentes. La clé a été de restituer les résultats des réunions aux délégués syndicaux et à la direction.

Comme ils s’y étaient engagés dans l’accord de droit syndical, les partenaires sociaux de Bayer santé ont suivi une formation commune sur le Perco (lire p. 26). La directrice des relations sociales et le comp & ben, ainsi que des représentants des syndicats, étaient dans la même pièce pour entendre le formateur choisi par la direction puis celui désigné par les syndicats. Le Perco n’est pas encore négocié, mais la déléguée Unsa estime déjà avoir fait des économies d’experts et d’avocats. Quant au constructeur de bateaux militaires DCNS, il sollicite en amont les commissions de son comité d’entreprise avant l’examen des projets importants (lire p. 26).

Les pratiques de coconstruction de ces entreprises favorisent indubitablement la négociation. Le cas de GrDF démontre même que cette coconstruction peut fonctionner dans un environnement dégradé de longue date et sans confiance a priori. Elles présentent toutefois l’inconvénient d’être chronophages et de mobiliser beaucoup de personnes. Elles sont donc réservées à des entreprises dotées d’une direction des ressources humaines étoffée et de syndicats comptant suffisamment d’adhérents.

L’ESSENTIEL

1 Dans un contexte d’augmentation du nombre de sujets soumis à la négociation dans les entreprises, l’efficacité du dialogue social prend de plus en plus d’importance.

2 L’instauration d’une discussion préalable peut faciliter la conclusion d’accords, de même que des actions de formation, qu’elles visent à améliorer les conditions du dialogue ou la connaissance des sujets traités.

3 La coconstruction reste toutefois limitée aux entreprises disposant des moyens humains nécessaires à sa mise en place.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK