La grande distribution a remplacé le secteur industriel en termes d’emplois non qualifiés, remettant en cause, du même coup, les modes de conflictualité élaborés collectivement à l’époque du taylorisme. Pourtant, si les employés des grandes surfaces ne se révoltent pas contre la pression qu’ils subissent, ce n’est ni parce qu’ils n’ont pas collectivement conscience de leur exploitation, ni parce que leurs conditions de travail leur paraîtraient acceptables eu égard à leur faible qualification. Ils se trouvent coincés au quotidien par un ensemble de liens interindividuels avec les membres de l’encadrement, d’une part, et les membres des organisations syndicales, de l’autre, dont il est malaisé de sortir.

Après trois ans d’enquête au sein d’une enseigne leader de la grande distribution, l’auteure, sociologue au CNRS, a successivement occupé un poste de caissière puis un autre au siège du groupe, et a été dans un syndicat majoritaire. Elle explique comment les consignes des actionnaires descendent jusqu’aux salariés chargés de les mettre en œuvre, au moyen d’un circuit interne – la hiérarchie du groupe – et d’un circuit syndical parallèle, qui vient conforter le premier en canalisant, et donc en pacifiant, les relations sociales. Les modes d’adhésion au travail sont ainsi acquis en fermant les possibilités d’actions pour les salariés qui, management compris, ne pourraient plus protester contre les exigences de performance et de profit imposées aux individus qu’en se démettant de leurs fonctions. De plus, on a retiré aux professionnels de la paix sociale des deux bords les moyens de l’acheter : la multiplication quantitative du « dialogue social » se traduit par une accumulation d’expertises communes aboutissant à un simple état des lieux, plutôt que par une négociation. Mais, dans une situation sociale à la limite de la rupture, il n’est pas dit que le statu quo puisse perdurer.

Encaisser !

Marlène Benquet, La Découverte, 330 pages, 20 euros.