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« Développer l’employabilité des salariés permet de les fidéliser »

Enjeux | publié le : 18.06.2013 | ÉRIC DELON

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« Développer l’employabilité des salariés permet de les fidéliser »

Crédit photo ÉRIC DELON

Utilisé souvent sans discernement dans le discours managérial, le concept d’employabilité est à manier avec précaution par les professionnels des ressources humaines. Ils doivent savoir le décliner en tenant compte de leur environnement organisationnel et territorial.

E & C : Quelle définition donneriez-vous de l’employabilité ?

Ève Saint-Germes : L’employabilité est la capacité dynamique et relative à l’emploi d’un individu sur les marchés internes et externes du travail. Cette définition, qui se veut large, met l’accent sur le processus – l’emploi est une dynamique et pas uniquement une situation – et sur l’interaction entre des facteurs individuels, organisationnels et territoriaux. Cette conception s’inscrit clairement dans une origine européenne, voire francophone. Les chercheurs anglo-saxons, de leur côté, adoptent des définitions plus centrées sur les capacités individuelles et psychologiques d’un individu à valoriser un portefeuille de compétences et à le faire évoluer.

E & C : Dans le débat franco-français sur l’emploi et la GRH, à quand peut-on dater la mise en avant de ce concept ?

E. S.-G. : Incontestablement vers la fin des années 1990, sous l’impulsion des premiers débats autour de la sécurisation des parcours professionnels. Si la généralisation du concept d’employabilité à l’endroit des salariés – et non plus aux seuls chômeurs – date du début des années 2000, sa reconnaissance et sa légitimité en GRH – et les travaux afférents – datent du milieu de la décennie 2000.

E & C : Des salariés plus employables seraient-ils plus efficaces ?

E. S.-G. : La théorie managériale suppose que des salariés plus employables sont censés apporter une meilleure flexibilité fonctionnelle à l’entreprise. Cependant, des travaux critiques sur le concept soulignent qu’il existe un déficit de preuves quant à cet impact. Pour utiliser un vocabulaire trivial, il existe des risques de “hold-up” et de “braconnage” pour l’entreprise à développer des compétences transférables. Autre risque : le désengagement des salariés. Car les discours managériaux autour de l’employabilité incitent les collaborateurs à se développer de manière autonome. Le message est contradictoire : investissez-vous immédiatement dans l’entreprise – et de manière substantielle – tout en vous préparant à la quitter du jour au lendemain. Nous ne sommes pas très loin de l’injonction contradictoire.

E & C : Dans ces conditions, comment faire de l’employabilité un levier positif pour l’entreprise ?

E. S.-G. : Cette dernière doit adopter une vision élargie et dynamique de la GRH afin de mutualiser et de partager les bénéfices du développement de l’employabilité, tout particulièrement dans les PME. Les démarches de GPEC territoriale et de prospective des métiers s’inscrivent dans cette logique. L’autre piste se nomme le “paradoxe de l’employabilité”, selon lequel développer l’employabilité de ses salariés permet de les fidéliser, dans la mesure où il s’agit d’un signal de sa qualité en tant qu’employeur. Autre bénéfice pour l’entreprise : le développement d’une réputation flatteuse et l’obtention d’une marque employeur attractive. Cette fidélisation suppose néanmoins une reconnaissance par l’entreprise de cette amélioration de l’employabilité, quelle qu’elle soit : symbolique, financière, opportunités de carrières…

E & C : En termes d’outils, comment la GPEC se positionne-t-elle dans la gestion de l’employabilité ?

E. S.-G. : Il existe deux points clés dans une gestion de l’employabilité que l’on pourrait qualifier d’optimale. D’une part, le développement de démarches de GPEC imbriquées aux niveaux des entreprises, des territoires, des métiers et des branches, afin de mutualiser les moyens et de mettre l’accent sur la transférabilité des compétences. D’autre part, le développement d’une culture de l’employabilité, autour des valeurs d’initiative et d’apprentissage, et de la notion de coresponsabilité – et non pas uniquement de responsabilité individuelle. Ces valeurs doivent être partagées. Elles concernent donc tout autant les entreprises que les pouvoirs publics. Une gestion de l’employabilité efficace suppose de développer un “écosystème” territorial et culturel. Favoriser les prises d’initiative et l’apprentissage implique la mise à disposition de moyens et de ressources, notamment en termes de temps et de droit à l’erreur. Les PME ont tout intérêt à s’appuyer sur les démarches de gestion territoriale des emplois et des compétences, ainsi que sur les réseaux et la mutualisation, pour développer des démarches d’anticipation en interne et pour avoir accès à des ressources et des outils. Avec l’obligation de négociation d’accords qui date de 2005, les GPEC organisationnelles ont permis de faire de l’employabilité un objectif explicite et partagé de la GRH, et un objet de négociation et de veille préventive. Ces outils permettent de créer un cadre commun et négocié afin d’articuler des dispositifs d’anticipation, d’évaluation des compétences, de mobilité et de professionnalisation. Néanmoins, la mise en œuvre concrète de ces accords demeure difficile à apprécier et à observer, dans la mesure où l’ensemble des acteurs et de très nombreuses situations de gestion sont concernés.

E & C : Que peuvent faire les DRH pour favoriser ou maintenir l’employabilité de leurs collaborateurs ?

E. S.-G. : Tout d’abord, ils doivent s’engager dans des démarches de veille et d’anticipation négociées, et partager l’information afin de donner de la visibilité aux salariés. Il faut, par ailleurs, mettre à la disposition de ces derniers des outils de gestion des compétences et des carrières afin de créer les conditions de la prise d’initiative et de l’apprentissage. Enfin, les DRH doivent proposer des transitions professionnelles régulières et les accompagner. La communication et l’écoute sont donc déterminantes, à la fois dans la diffusion de l’information et la promotion des outils disponibles, mais aussi dans la gestion de la marque employeur. Il faut éviter à tout prix un discours uniforme, démesurément optimiste, et s’appuyer sur le dialogue social afin de calibrer les outils d’évaluation et les pratiques de gestion pertinents. Au-delà du développement de l’employabilité des salariés, la préoccupation première des DRH doit être d’éviter de fabriquer de l’inemployabilité.

PARCOURS

• Ève Saint-Germes est maître de conférences en sciences de gestion à l’université Nice Sophia-Antipolis – Laboratoire Gredeg (CNRS). Elle est directrice d’études du master 2 Management spécialité conseil en organisation et audit social de l’École universitaire de management-IAE de Nice

• Ses recherches concernent la gestion et l’évaluation de l’employabilité, notamment dans le cadre des restructurations ou pour les seniors.

• Elle a participé à des ouvrages et publié des articles dans des revues académiques (Revue de GRH, @GRH, Gestion…) et professionnelles.

SES LECTURES

• La Passion de l’ordinaire. Miettes sociologiques, Michel Maffesoli, CNRS Éditions, 2011.

• La GPEC, levier d’employabilité et de compétitivité ?, Nicole Raoult et Joëlle Pelosse, Éditions Liaisons, 2011.

• Les Stratégies des ressources humaines, Bernard Gazier, La Découverte, 2010.

Auteur

  • ÉRIC DELON