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PROTECTION SOCIALE LES MULTINATIONALES EN PREMIÈRE LIGNE

Enquête | publié le : 11.06.2013 | VIRGINIE LEBLANC

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PROTECTION SOCIALE LES MULTINATIONALES EN PREMIÈRE LIGNE

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Les entreprises multinationales adoptent de plus en plus des stratégies de protection sociale de l’ensemble de leurs salariés dans le monde. Un facteur certain d’attractivité et de fidélisation, notamment dans les pays émergents. Le Bureau international du travail et l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises ont récemment analysé les pratiques de ces groupes.

A la fin de l’année 2013, la grande majorité des 102000 salariés de Danone dans le monde bénéficieront du programme Dan’Cares lancé en 2010 et visant à leur apporter une couverture médicale de qualité, dans le cadre du « double projet économique et social » de l’entreprise. Un projet, qui, en outre, comporte « une dimension managériale qui implique fortement nos équipes RH et leur donne l’opportunité d’agir pour améliorer la vie de nombreux salariés », souligne Pascal Desbourdes, directeur du développement des dirigeants de Danone.

À l’instar de Danone, de plus en plus d’entreprises multinationales s’engagent dans l’élargissement de la protection sociale de leurs salariés partout dans le monde. Elles sont pour l’instant quelques pionnières que le BIT (Bureau international du travail), en collaboration avec l’Orse (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises), a interrogées pour réaliser une étude* exploratoire unique en son genre.

Un investissement dans le capital humain

Un questionnaire détaillé a été présenté à une quinzaine d’entreprises françaises. Huit d’entre elles ont accepté d’en publier la transcription (Agence française de développement, Danone, Lafarge, Orange, Sanofi, Total, Vallourec et Veolia). Ce document de travail, coécrit par Lou Tessier et Helmut Schwarzer, du département de la protection sociale du BIT, intitulé “Extension de la sécurité sociale et responsabilité sociale des entreprises multinationales”, fait suite à la conférence internationale du travail de 2011 et à l’adoption d’une recommandation en juin 2012 (n° 202) sur les socles de protection sociale (lire l’encadré p. 26).

« Nous avons analysé le reporting annuel des entreprises multinationales du Standard and Poors 100, ainsi qu’une centaine d’accords-cadres internationaux (ACI), explique Lou Tessier. Il est apparu que seules un quart des entreprises reportent sur le thème de la protection sociale tandis que 6 % des ACI comportent des dispositions relatives à la protection sociale des salariés. Il se trouve que les entreprises à l’origine de ces ACI sont françaises. » Il s’agit d’EADS, d’EDF, de PSA Peugeot Citroën, de Rhodia, de GDF Suez, de Danone et de Valeo.

« L’objectif de cette démarche exploratoire était de les interroger sur leurs motivations et d’identifier s’il existait une justification interne aux entreprises mettant en place une couverture sociale minimale pour tous leurs salariés – un business case pour l’extension de la couverture sociale au sein de l’entreprise. Cela a aussi permis de voir de quelle manière et à quel niveau étaient définies les garanties, ajoute Lou Tessier. Nous avons constaté que cette démarche rentre dans le cadre d’un modèle économique : c’est un investissement dans le capital humain, ce n’est pas seulement un coût. »

Baisse de l’absentéisme

L’analyse des outils d’engagement et de reporting des entreprises au regard de la protection sociale a mis en lumière « l’absence de reporting standardisé et la faible visibilité sur le détail de la couverture sociale mise en œuvre ». L’étude constate que « les actions menées ou non en protection sociale par les entreprises ne sont pas valorisées au niveau de la notation par les agences de notation, et ne sont donc pas prises en compte au niveau des critères d’investissement responsable. » Il ressort de l’étude du BIT et de l’Orse deux types d’élaboration d’une stratégie de couverture sociale : une décision a priori de la direction générale du groupe d’accorder une protection sociale de base pour tous les salariés ; et une démarche de « prise de connaissance puis d’harmonisation de l’existant ».

D’après les entreprises interrogées, un des premiers intérêts évidents de la mise en place d’une politique de couverture sociale est d’améliorer la productivité, de réduire l’absentéisme et le turnover. Ainsi, Vallourec a constaté des taux de rotation pouvant atteindre près de 20 % en Chine et plus de 30 % aux Émirats arabes unis. Un « paquet de rémunération globale » lui semblait un élément important de fidélisation de ses salariés (lire p. 29).

« Nous observons un retour mesurable sur les garanties que nous offrons à nos salariés : plus de motivation, une baisse de l’absentéisme et du turnover, explique aussi Pascal Desbourdes, chez Danone. La filiale Bonafont au Mexique (eau en bouteille), par exemple, a vu son turnover baisser de 45 % dans les six premiers mois de mise en place de la couverture maladie pour les ouvriers. Et, en Chine, ce programme est un facteur d’attractivité très important pour la marque employeur Danone. »

Lafarge s’est appuyé de son côté sur une relance de sa politique santé-sécurité, la couverture sociale venant en complément. Lafarge a notamment travaillé de longue date sur des actions de prévention du VIH-Sida. « En dix ans, le taux de mortalité en Afrique subsaharienne a été divisé par 4 grâce à cette politique de prévention », précise Philippe Jacquesson, directeur des politiques sociales du cimentier. En outre, le groupe travaille sur d’autres sujets de prévention. Par exemple, aux États-Unis, l’attention est portée sur l’obésité et les maladies cardiovasculaires.

Équilibre entre le mondial et le local

Pour être accompagnées dans la conception de leur offre de protection sociale, les entreprises peuvent négocier un contrat de groupe avec un assureur unique (le cas échéant un courtier) et faire appel à des mécanismes techniques permettant une réduction des coûts (de type pooling), illustre l’enquête. Ainsi, Total a opté pour le pooling et a fait le choix d’harmoniser les garanties offertes par ses filiales avec des lignes directrices élaborées au niveau central (lire p. 28), tout en proposant une couverture se situant dans la moyenne du marché de référence.

« Dans un contexte de recherche d’économies, une part de l’effort revient aux fonctions RH, qui ont besoin d’avoir une visibilité sur ce que le groupe offre au niveau mondial et de se mettre en phase avec les besoins du marché local », remarque Thibaut Duperret, consultant senior chez Mercer, présent dans 135pays dans le monde et qui intervient depuis la conception jusqu’à la gestion des contrats.

Pour réaliser leur état des lieux, les entreprises analysent les risques couverts, leur niveau de couverture, l’articulation avec le système légal de protection, l’offre de la concurrence, l’étendue de la couverture et sa qualité (lire l’interview p. 30). Ainsi, Danone a retenu trois critères d’analyse : la qualité des soins et des équipements médicaux, leur accessibilité et la part prise en charge par le collaborateur.

Les entreprises interrogées dans l’étude du BIT et de l’Orse tendent à prioriser la couverture des risques maladie, maternité, décès-invalidité et vieillesse. Dans l’échantillon des 100 entreprises du Standard & Poors, la retraite est l’élément le plus mentionné (26 % des entreprises). Ensuite, 23 % proposent une couverture maladie, 21 % affirment couvrir l’incapacité ou l’invalidité, 20 % la maternité et 9 % le décès. Seules deux entreprises proposent une garantie chômage.

« Lorsqu’elles tentent de définir un niveau de couverture pour le risque maladie au niveau mondial, les entreprises interrogées passent plutôt par la définition du contenu du panier de soins couverts et, parfois, par l’instauration d’un reste à charge maximal », souligne l’étude. Chez Danone, il a été établi que le périmètre de base couvrirait la maternité, l’hospitalisation et l’ambulatoire incluant les dépenses pharmaceutiques et que le reste à charge ne devrait pas dépasser 20 % du coût des soins.

L’enquête révèle que « la plupart des entreprises ayant édicté le contenu d’un panier de soins minimal pour leurs salariés y ont inclus l’hospitalisation, les soins ambulatoires et les médicaments essentiels ».

Vers l’autofinancement des filiales

Chez Lafarge, « la couverture santé est développée au niveau corporate, mais la mise en œuvre est décidée par chaque pays selon trois grands principes, indique Philippe Jacquesson. Nous souhaitons que le système soit robuste, c’est-à-dire conçu pour le long terme ; nous préconisons la flexibilité afin que les salariés puissent exercer leur choix dans une liste de propositions ; enfin, en matière de gouvernance, nous faisons appel à un pool d’assureurs et nous formons les personnes en charge de la gestion de ces politiques, qui ne sont pas évidentes à appréhender. »

Toutes les entreprises ont pris pour principe le financement de la couverture par les filiales elles-mêmes, afin que le coût de cette couverture soit intégré durablement dans les charges de chaque entité. « Pour inciter nos filiales à s’approprier le sujet, nous avons mis en place un fonds d’accélération au niveau du groupe, qui peut prendre en charge – pendant les deux premières années – jusqu’à 25 % du surcoût que représente le programme, détaille Pascal Desbourdes. L’objectif étant qu’ensuite les filiales soient en mesure de s’autofinancer. » Des filiales présentes au Mexique, en Indonésie, en Chine, en Afrique du Sud et en Pologne y ont eu recours.

* L’étude est disponible sur le site de l’Orse, <www.orse.org/extension_de_la_securite_sociale_et_la_responsabilite_sociale_des_entreprises_multinationales-52-255.html>

L’ESSENTIEL

1 Le BIT et l’Orse ont produit un rapport sur l’extension de la sécurité sociale pratiquée par les entreprises multinationales, dont huit ont accepté que leur dispositif soit publié.

2 Avec des modalités de mise en œuvre diverses, les entreprises se basent sur les systèmes légaux locaux de protection sociale pour les compléter.

3 Les actions menées en matière de protection sociale sont actuellement peu valorisées dans le reporting des entreprises.

Une recommandation sur les socles de protection sociale

→ La Conférence internationale du travail (CIT) a adopté, le 14 juin 2012, la recommandation n° 202 sur les socles nationaux de protection sociale.

→ Les socles de protection sociale sont un ensemble de garanties élémentaires de sécurité sociale définies au niveau national ayant pour objectif de garantir une sécurité minimale de revenu et l’accès à des soins de santé essentiels et à d’autres services sociaux pour tous. « Cette recommandation n’est pas prescriptive en termes de moyens de mise en œuvre d’un socle de protection sociale, ces moyens doivent être définis au niveau national. Ce texte donne un cadre au développement des socles de protection sociale qui se trouvent de façon croissante à l’agenda des États membres de l’OIT, appuyant plus largement l’idée que l’extension de la protection sociale est une priorité mondiale pour tous les acteurs », estime Lou Tessier, du département de la protection sociale du BIT.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC