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Un diagnostic indépendant pour mesurer les inégalités

Pratiques | publié le : 07.05.2013 | MARIETTE KAMMERER

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Un diagnostic indépendant pour mesurer les inégalités

Crédit photo MARIETTE KAMMERER

Avant de négocier son accord sur l’égalité professionnelle, Liebherr-Aerospace Toulouse et ses représentants syndicaux se sont tournés vers un prestataire externe afin de mesurer les écarts de salaire. Cofinancée par la direction et les syndicats, la prestation a été confiée à l’Apec, organisme paritaire.

En 2012, la direction de Liebherr-Aerospace Toulouse SAS a accepté, à la demande de ses syndicats, de faire réaliser une analyse des rémunérations par un prestataire extérieur. Ce numéro 3 mondial dans son domaine, spécialiste dans la conception et la fabrication de systèmes de traitement de l’air pour l’aéronautique (chauffage, climatisation, pressurisation), compte une majorité d’ingénieurs et de cadres, et 18 % de femmes parmi ses 1 150 salariés : « Nous sommes un peu en deçà des autres entreprises du secteur, car nous avons davantage de métiers de production mécanique, généralement masculins, mais la part de femmes est en progression, notamment dans les recrutements », précise Jérôme Noyer, DRH.

Prestation cofinancée par le CE et la DRH

La direction a mené en 2011 une enquête interne auprès de 50 salariés sur la perception de l’égalité hommes-femmes, faisant apparaître une attente forte de garanties sur l’égalité de traitement en matière de rémunération et de promotion. Les syndicats, et notamment la CGT, ont alors exigé un diagnostic indépendant sur les rémunérations comme une condition préalable à la négociation de l’accord sur l’égalité professionnelle, qui doit être signé avant l’été : « Il a fallu insister pour l’obtenir, mais nous avons trouvé un compromis avec la DRH en acceptant que le CE cofinance la prestation à part égale », rappelle Pierre Sastourné, élu CGT. Car, le DRH a estimé que, cette expertise n’étant pas prévue par le Code du travail, les syndicats devaient participer à son financement.

Garantie de neutralité

Le choix du prestataire n’a pas été simple, car il devait satisfaire à la fois direction et syndicats. Après un appel d’offres, c’est l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) qui a été retenue. « C’était le plus cher de tous, mais aussi le seul organisme paritaire, qui apportait une garantie de neutralité », souligne Stéphane Benoît, élu CFE-CGC. « Nous sommes satisfaits de cette étude. Pour nous, cette démarche est en soi une victoire, ajoute Pierre Sastourné. C’est une base de travail pour faire progresser la situation. » L’étude, qui a coûté 30 000 euros, a donc été financée pour moitié par le budget de fonctionnement du CE.

L’analyse a commencé durant l’été 2012 et les résultats ont été rendus à la fin de l’automne. La DRH a confié à l’Apec sa base de données avec l’ensemble des rémunérations et les historiques de l’ensemble des collaborateurs. « Les résultats du diagnostic ont fait apparaître des écarts de rémunérations qui, bien qu’inférieurs à la moyenne nationale – estimée à 7 % –, exigeaient une analyse par la DRH, indique Jérôme Noyer. Ces résultats n’ont pas été communiqués aux salariés. » Stéphane Benoît estime qu’« ils ne sont pas mauvais. Mais la direction a dû admettre qu’il existait des écarts, ce qu’elle se refusait à croire auparavant ». L’écart, plus prononcé chez les cadres, serait supérieur à la moyenne nationale dans cette catégorie. Par ailleurs, les syndicats ont pu vérifier, entre autres, que le congé maternité n’avait pas d’impact sur le salaire.

Observation de chaque situation

Afin de se conformer à la méthode, la DRH a procédé à un retraitement partiel des résultats pour intégrer le poste et le métier, qui ne figuraient pas dans la base de données. Ensuite, elle a observé chaque situation individuelle présentant une anomalie, c’est-à-dire à partir de 3 % d’écart de salaire. « Certains écarts étaient justifiés, selon nous, par le métier, plus ou moins rare, ou par la contribution individuelle, plus ou moins bonne, explique Jérôme Noyer. Nous avons finalement corrigé 36 situations sur un effectif de plus de 180 femmes. » Un budget de 0,2 % de la masse salariale a été consacré en 2013 à la résorption de ces écarts. « On regrette que le budget alloué à la correction des inégalités ne soit pas assez important, souligne Pierre Sastourné. L’Apec avait préconisé le double, mais la direction n’a pas réévalué toutes les situations visées par le rapport. »

Évolution de carrière

La communication des résultats du diagnostic et des décisions qui ont suivi a été soigneusement cloisonnée. Les syndicats ont bien reçu la restitution globale de l’enquête mais pas les autres salariés. La liste des personnes dont le salaire a été réévalué est restée secrète. Toutefois, les salariées concernées ont été informées quand leur augmentation était substantielle.

Une partie du diagnostic a porté sur la promotion et l’évolution de carrière. « L’étude a confirmé un effet “plafond de verre” : il n’y a que 9 % de femmes aux postes les plus élevés, indique le DRH. Nous avons intégré dans l’accord des mesures pour analyser et corriger cela. » Notamment la recherche systématique en interne de candidates femmes à ces postes et l’instauration d’un mentoring et d’un coaching de femmes par des femmes. Les mesures de conciliation avec la vie familiale vont aussi dans ce sens. « Nous avions demandé que figurent dans l’accord sur l’égalité professionnelle des indicateurs de suivi et d’alerte sur les rémunérations et les promotions, mais la direction a refusé, estimant que c’était trop lourd à gérer », regrette Pierre Sastourné. Une nouvelle mesure des écarts doit être effectuée dans trois ans, à échéance de l’accord.

RECTIFICATIF Contrairement à ce qui était écrit dans l’article intitulé “Hôtels de luxe : pendant les travaux, la gestion du personnel varie”, paru dans le n° 1140 du 16 au 22 avril 2013, l’Unsa n’a pas signé le PSE du Ritz. Le comité d’entreprise de l’établissement où ce syndicat est majoritaire a émis un avis favorable lors de la présentation du PSE.

L’ESSENTIEL

1 La mesure des écarts de salaires entre les hommes et les femmes suppose une certaine maîtrise de la statistique, qu’en général les directions et les syndicats ne possèdent pas.

2 Pour contourner cet obstacle technique et parvenir à un diagnostic partagé avec les syndicats, des entreprises, comme Liebherr-Aerospace Toulouse, confient cette mesure à un prestataire extérieur : l’Apec dans ce cas d’espèce.

3 Une offre de prestation relative à la mesure des écarts entre les situations des hommes et des femmes commence à se développer en France.

Une méthode pour contourner l’écueil de la sous-représentation

La méthode statistique utilisée par l’Apec, celle des analyses de variances ou “Anova”, permet d’étudier les écarts de salaires “inexpliqués” entre hommes et femmes, c’est-à-dire qui ne sont pas liés à des différences d’âge, de métier, de coefficient, d’ancienneté, etc. « Il ne suffit pas de diviser la population en groupes d’hommes et de femmes ayant un profil identique, car on aboutit à des sous-groupes, parfois sans femme ou sans homme, ne permettant pas la comparaison », souligne Maïmouna Fossorier, responsable du pôle études externes à l’Apec.

La méthode Anova décompose le salaire en différents facteurs explicatifs – le sexe, l’âge, le métier, le coefficient, l’ancienneté, le congé maternité, etc. –, identifie ceux qui ont un impact significatif sur le salaire et calcule le poids de chaque variable dans la composition du salaire. « Par exemple, en observant dans quatre tranches d’âge les moyennes et la variabilité des salaires, on peut voir si l’âge a un impact sur le salaire ou pas et, si oui, quel est son poids par rapport à d’autres variables », explique Maïmouna Fossorier.

Chaque variable significative permet de recomposer le salaire modélisé. On peut alors calculer pour chaque salarié quel devrait être son salaire en fonction de ses caractéristiques : une femme cadre de moins de 30 ans ayant moins de cinq ans d’ancienneté devrait gagner tant. Puis on compare au salaire modélisé d’un homme de même profil et on regarde s’il y a un écart, donc une anomalie. Certains profils atypiques s’écartent du modèle et devront être observés de plus près par le client.

Cette approche statistique peut être complétée par des entretiens qualitatifs ou une analyse des évolutions de carrière.

Retrouvez la description détaillée de la méthode Anova sur <www.wk-rh.fr>, Entreprise & Carrières ; docuthèque.

L’offre de diagnostics se développe

Nombre d’entreprises et de partenaires sociaux veulent désormais objectiver les écarts de situation entre salarié(e) s, mais ils se heurtent bien souvent à la complexité technique de l’exercice. C’est sans doute pour cette raison que l’offre de prestataires se développe actuellement dans ce domaine. L’Apec propose un diagnostic des écarts de salaires depuis 2008. Robert Bosch France, Total, Carrefour Market, Alcatel Lucent et l’UIMM, la branche de la métallurgie, l’ont déjà utilisé. Le tarif de la prestation varie de 12 000 à plus de 100 000 euros, en fonction de la taille de l’entreprise, du nombre de variables à traiter, de la qualité de la base de données et de la commande du client. D’autres prestataires, tels les cabinets Arkanta et Eurodecision, proposent également leur méthode de calcul des écarts de salaire. Ils annoncent parmi leurs clients un « grand équipementier automobile ».

La fondation suisse The Gender Equality Project vend, quant à elle, un diagnostic global comportant la réalisation d’indicateurs portant sur cinq domaines (rémunération, recrutement, promotion…), une enquête de perception et un plan d’action, pour un tarif allant de 30 000 à 50 000 euros. L’Oréal fait partie de ses clients (lire Entreprise & Carrières n° 1140 du 16 avril 2013).

Auteur

  • MARIETTE KAMMERER