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« Il n’y a pas de différence entre hommes et femmes en matière de leadership »

Enjeux | publié le : 07.05.2013 | LAURENCE LAFOSSE

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« Il n’y a pas de différence entre hommes et femmes en matière de leadership »

Crédit photo LAURENCE LAFOSSE

E & C : Pourquoi avez-vous lancé ce sujet de recherche « leadership et genre », encore très peu exploré en France ?

Sarah Saint-Michel : Mon travail de recherche est effectivement le premier en France sur le sujet, alors que, dans les pays anglo-saxons, il existe des cursus et des chaires de recherche sur la thématique du genre. J’en ai eu l’idée après une première expérience professionnelle. J’étais manager d’une équipe de six personnes. C’était un univers masculin et jeune, avec peu de femmes managers. Or, j’ai eu du mal à m’imposer. En commençant mon travail de recherche, je n’avais pas d’a priori ni de posture militante mais, vu mon expérience, je percevais un décalage entre le discours et la pratique. Pour connaître l’état de l’art, j’ai eu recours à la « méta-analyse », une méthode statistique utilisée en médecine, qui a permis de recenser l’ensemble des études réalisées ces dix dernières années dans plusieurs pays, en Europe, aux États-Unis ou en Asie, sur la thématique genre et leadership. Les données de 25 enquêtes ont été compilées, concernant 20 000 leaders.

E & C : Quelle a été votre conclusion et comment y êtes-vous parvenue ?

S. S.-M. : J’ai effectué une étude complémentaire en France entre 2009 et 2011 auprès de 86 leaders et 145 collaborateurs, par questionnaire autoadministré en ligne, en croisant l’autoévaluation des leaders et celles de leurs collaborateurs afin d’obtenir une analyse plus fine. Comme pour la méta-analyse, cette seconde étude confirme qu’il n’y a effectivement pas de différences majeures entre hommes et femmes en matière de leadership.

Ces résultats remettent en cause l’idée d’un management au féminin caractérisé par des compétences présupposées féminines, c’est-à-dire davantage sur un mode affectif, qui conduirait les femmes à diriger leurs équipes différemment de leurs homologues masculins. La seule différence est que les femmes se décrivent comme étant plus consciencieuses quand il s’agit de dresser une typologie des traits de personnalité, en choisissant parmi cinq traits de caractère, ou leur contraire : extraversion, caractère consciencieux, stabilité émotionnelle, ouverture d’esprit, caractère agréable.

E & C : La conclusion est-elle que le leadership est asexué ou presque ?

S. S.-M. : Pas tout à fait. J’ai demandé aux leaders de se décrire de manière plus ou moins “genrée” : par exemple, avec les termes “combatif” pour l’homme, “patiente” pour la femme… Cette description stéréotypée a une incidence sur la perception que les collaborateurs ont de leurs leaders. Un leader se décrivant comme plus ou moins masculin, quel que soit son sexe, suscitera davantage de motivation de la part de ses collaborateurs. Une orientation plutôt féminine du leadership suscitera plus d’implication affective, d’attachement envers l’entreprise. Ce n’est pas le sexe du leader, c’est son orientation plus ou moins masculine ou féminine qui va déterminer le style de leadership. Le leadership asexué existe, mais ne va pas fonctionner si les collaborateurs ont recours ou utilisent des stéréotypes sexués dans leurs relations avec leurs leaders. Dans certains métiers plus techniques, à moindre représentation féminine, les femmes leaders doivent porter plus lourdement ce poids des stéréotypes.

E & C : En matière de leadership, les stéréotypes sont-ils donc tenaces ?

S. S.-M. : Je suis partie d’une analyse qui distingue un leadership transformationnel – celui du leader charismatique, considéré comme très performant parce qu’il suscite l’adhésion inconditionnelle des subordonnés – et le leadership transactionnel, où manager et managé sont dans une relation contractuelle “donnant-donnant”. Cette étude a montré que, quand une femme déploie un type de leadership transactionnel, les collaborateurs ont tendance à se désengager de l’entreprise. Or, ce n’est pas le cas lorsque c’est un homme leader. Cela tend à prouver que l’on attend d’une femme beaucoup plus que d’un homme. D’autres études anglo-saxonnes montrent que, quand des femmes déploient un mode de leadership autoritaire, elles sont mal perçues, dévaluées, on les appelle dragon ladies. Car il est attendu d’une femme qu’elle soit compatissante, empathique, qu’elle joue sur le mode affectif. Autre constat concernant l’influence de la sphère privée sur le professionnel et inversement – peu d’études sont faites du point de vue des dirigeants sur ce sujet –, il n’y a pas de différences entre les hommes et les femmes. En revanche, et contrairement aux hommes, lorsque les femmes ont des conflits dans leur sphère privée qui influent sur la sphère professionnelle, cela est mal perçu par les collaborateurs. Quel que soit leur sexe, ces derniers considèrent cela comme un désengagement de ses fonctions de la part de leur leader. Ce constat rejoint ce que dit la sociologue Dominique Méda : l’égalité professionnelle se jouera dans la sphère privée et dans le rapport à la représentation que les autres en ont.

E & C : Comment en finir avec ces stéréotypes ?

S. S.-M. : La diversité et la mixité dans l’entreprise et dans les organisations en général permettent de rompre avec les stéréotypes. La loi de 2011 sur la représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les conseils d’administration, ou encore la loi de 2012 imposant dans la fonction publique 40 % de femmes à des postes de dirigeants sont des avancées. D’une manière générale, les changements en matière de stéréotypes nécessitent un travail de fond dans la gestion des RH, qui passe dès l’amont par la diversité des recrutements, mais également en matière de gestion des carrières ou des formations. Tout le processus RH doit être revu avec cette exigence de non-discrimination.

E & C : Avez-vous constaté un début de changement des modes de représentation ?

S. S.-M. : Prendre conscience de ces différences, c’est déjà les reconnaître. Il faut ensuite travailler sur les préjugés, les stéréotypes, car hommes et femmes sont concernés de la même manière. Prenons par exemple le cas des hommes qui managent sur un mode affectif, correspondant à un stéréotype de personnalité féminine : ils vont être pénalisés professionnellement. Le décalage entre ce qui est attendu et leur mode de leadership peut générer un dysfonctionnement dans leur relation aux autres, jusqu’à provoquer chez eux une souffrance psychique. Mais, sur le terrain, on constate des changements palpables. Je poursuis depuis un an ce travail avec le groupe Sodexo, en collaboration avec Valérie Claire-Petit, chercheuse à l’Edhec et spécialiste du leadership charismatique. Sodexo a mis en place des formations à la diversité en matière de leadership. Notre étude, dont les premiers résultats seront publiés d’ici à quelques mois, vise à montrer comment un contexte positif en termes de mixité professionnelle permet aux managers de développer un leadership performant. L’idée est que la performance de l’entreprise passe également par la diversité des talents et des leaders, avec la mise en place de quotas dans le top management. C’est un vaste chantier qui reste à défricher.

PARCOURS

• Sarah Saint-Michel, agrégée en économie-gestion, est maître de conférences à l’IAE de Toulouse, chercheuse au Centre de recherche en management de Toulouse 1 (CNRS), spécialiste des RH et du leadership.

• Elle a soutenu une thèse de doctorat en 2011 à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Jean-François Amadieu, sur “l’impact du genre sur les traits de personnalité des leaders et les effets sur le style de management”.

LECTURES

• La Couleur des sentiments, Kathryn Stockett, Jacqueline Chambon, 2010.

• Women and the Labyrinth of leadership, A. H. Eagly and L. L. Carli, Harvard Business Publishing, 2007.

• La Nuit des temps, René Barjavel, Presses de la Cité, 1968.

Auteur

  • LAURENCE LAFOSSE