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« L’économie solidaire doit adapter la fonction RH à ses spécificités »

Enjeux | publié le : 26.03.2013 | ÉRIC DELON

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« L’économie solidaire doit adapter la fonction RH à ses spécificités »

Crédit photo ÉRIC DELON

Bien que représentant de nombreux salariés, le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) est relativement peu investi par la recherche en GRH malgré des enjeux importants en termes de fidélisation et de gestion des compétences.

E & C : Comment expliquez-vous que la recherche en GRH s’intéresse assez peu aux entreprises de l’économie sociale et solidaire (EESS) ?

Laëtitia Lethielleux : Il est possible d’expliquer ce manque d’attrait par le fait que ces recherches s’inscrivent dans un paradigme différent de celui du modèle “libéral compétitif” des entreprises capitalistes. Les travaux menés au sein du secteur de l’ESS portent principalement sur des aspects sociologiques et économiques.

Les recherches sur la gestion proprement dite sont encore insuffisamment développées alors même que l’ESS représente 10 % de l’emploi salarié en France. Le salariat au sein d’une EESS comporte pourtant un certain nombre de particularités.

Il est nécessaire d’approfondir ces recherches afin d’éviter, faute de mieux, de transposer des outils ou des politiques RH issues des entreprises libérales vers les EESS.

E & C : Quelles sont, en termes de GRH, les principales problématiques des EESS ?

L. L. : Ces entreprises font face à trois défis majeurs. D’une part, une transformation de leur modèle économique du fait de la raréfaction des financements publics et de leur entrée sur le marché. D’autre part, une mutation des comportements individuels des salariés et des formes d’engagement. Enfin, leur contribution à un changement de société ou de paradigme. L’ensemble de ces modifications entraîne inévitablement des répercussions sur leur GRH.

E & C : Qu’en est-il du recrutement, par exemple ?

L. L. : Les EESS recherchent des salariés dotés de compétences spécifiques, en mesure notamment de répondre aux appels à projet, de trouver des financements alternatifs, mais aussi de maîtriser les dimensions juridique et économique des activités sur lesquelles ils sont engagés. Ces personnels - bénévoles, salariés, adhérents… - doivent être capables, par ailleurs, de défendre les valeurs des EESS dans un environnement de plus en plus concurrentiel - mise en concurrence des associations entre elles et avec les entreprises capitalistes dans le cadre d’appels à projet. Certaines EESS ont bien saisi l’importance de faire comprendre les spécificités de ce secteur à leurs futurs salariés, et ce, dès le recrutement. La Croix-Rouge française, par exemple, mène une réflexion sur l’organisation de séminaires d’intégration communs aux salariés et aux bénévoles afin de créer un esprit d’appartenance. Pour un certain nombre de salariés de l’ESS, le fait de travailler au sein de ces entreprises relève souvent du hasard - si c’est le seul employeur sur le département ; par contrainte économique… - et ne répond pas toujours à un véritable choix de carrière. Pour d’autres, exercer une activité professionnelle dans le secteur de l’ESS intervient en seconde partie de carrière, avec pour objectif de redonner un sens à leur vie, retrouver des valeurs plus respectueuses de l’individu et non centrées exclusivement sur le profit. Pour permettre cette prise de conscience, les services RH de ces structures commencent à proposer des pistes en termes de recrutement, de fidélisation ou encore de gestion des compétences des salariés et des bénévoles. Cela peut se traduire par une prise en compte de critères sociaux et non financiers ou par une politique RH favorisant l’épanouissement et le bien-être des salariés - conciliation vie privée-vie professionnelle… Or, les EESS souffrent des mêmes lacunes que les PME du secteur marchand, notamment dans les petites structures: méconnaissance du Code du travail - temps de travail, droit du licenciement… -, insuffisante prise en compte du surinvestissement - en temps - de ces salariés, burn-out. Il existe assurément une nécessité de reconnaître la fonction RH en tant que telle au sein des EESS.

E & C : Comment la RH peut-elle gérer de façon harmonieuse le personnel bénévole et les salariés ?

L. L. : Rappelons que 84 % des associations n’emploient pas de salariés et que 44 % des associations employeurs ne comptent qu’un ou deux salariés. À l’inverse, au sein des coopératives ou des mutuelles, la proportion de bénévoles demeure faible, voire inexistante. Dès lors, l’existence de tensions entre bénévoles et salariés ne représente pas, en soi, une généralité. Dans les cas où elles peuvent être observées, elles sont principalement dues à une mauvaise définition, au préalable, des rôles respectifs de chacun. Si les bénévoles incarnent le “politique”, les salariés représentent le “management”. Les recherches en la matière révèlent une intrusion croissante des dimensions gestionnaires dans la sphère politique. Bien souvent, les bénévoles attendent des salariés que ces derniers participent à des actions bénévoles. De leur côté, les salariés manifestent souvent le désir de décider à la place des bénévoles. Selon l’activité et l’importance de la structure, il est parfois difficile de passer de la simple cohabitation à une véritable coopération entre eux. Or, coopérer entre ces deux catégories d’acteurs est fondamental pour assurer la réussite de l’objet de l’entreprise.

E & C : S’agissant des mutuelles, qu’en est-il de la formation des “managers militants” ?

L. L. : En fonction des trajectoires de chacun - choix délibéré ou absence d’alternative -, la sensibilisation à l’économie sociale et solidaire est éminemment variable d’un salarié à un autre. Pour tenter d’améliorer cette sensibilisation, des mutuelles, comme la Maif, mettent en place des formations spécifiques pour ceux qui souhaitent devenir des “managers militants”. L’objectif consiste à les aider à mieux intégrer les valeurs de la mutuelle et la politique RH qui en découle - rémunération basée sur une culture égalitaire et non individualiste, mise en place de formes collectives de management… Par manager militant, on entend celui qui, depuis et dans son entreprise, est porteur d’un certain nombre de valeurs attachées à l’économie sociale. C’est avant tout dans l’exercice de la fonction managériale que le dirigeant est militant.

PARCOURS

• Laëtitia Lethielleux est maître de conférences en sciences de gestion à l’université de Reims. Juriste et docteure en sciences de gestion, elle est en charge du master 2 Management des entreprises de l’ESS et de l’Institut rémois de gestion, titulaire de la Chaire économie sociale et solidaire Reims Management School/Urca.

• Au sein du laboratoire Regards, elle effectue en grande partie ses recherches en collaboration avec Monique Combes-Joret, également enseignante et chercheure à Reims.

• Elles ont coécrit Le sens du travail à la Croix-Rouge française. Entre engagement pour la cause et engagement dans le travail (Recma, 2012, n° 323, p. 64-81).

LECTURES

• Cadres et dirigeants salariés d’Emmaüs et du Secours populaire français, A. Brodiez, 13e journée du GRD Cadres et dirigeants de l’ESS.

• La GRH en économie sociale: l’inclusion des travailleurs en tant qu’innovation “socialement responsable”, Y. Comeau et C. Davister, Revue internationale de psychologie et de gestion des comportements organisationnels, 2008.

Auteur

  • ÉRIC DELON