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« Gérer les personnalités difficiles est une question de management »

Enjeux | publié le : 19.03.2013 | VIOLETTE QUEUNIET

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« Gérer les personnalités difficiles est une question de management »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Les personnalités difficiles au travail génèrent des dysfonctionnements importants dans l’entreprise. Un management défaillant leur permet aussi de prospérer. Pour les gérer, il est nécessaire de rester sur le strict plan du travail.

E & C : Vous venez de publier un livre sur les personnalités difficiles et dangereuses au travail. Qui sont-elles ?

Roland Guinchard : Les personnalités difficiles se reconnaissent à trois critères : elles ont un comportement inadapté au travail, qui se produit de façon durable, répétitive, sans qu’on puisse en percevoir la raison. Et ce comportement entraîne une gêne pour l’entourage de travail et pour la performance de l’équipe ou de l’entreprise. Inadaptation, durée et gêne : ce sont les trois balises qui forment le triangle de la personnalité difficile. Si tous ces éléments sont réunis, on est sûr d’avoir affaire à une telle personnalité. Avec un bémol, toutefois : il peut s’agir d’une personne en difficulté. Des individus déprimés peuvent apparaître comme des personnalités difficiles. La seule différence, ce sera la brutalité de l’apparition des troubles et le constat d’une perte de l’élan vital.

E & C : Quel est l’enjeu, pour une entreprise, de savoir les gérer ?

R. G. : Les personnalités difficiles ou dangereuses sont des prédateurs du lien au travail. Or, l’engagement, le lien positif au travail est quelque chose de fragile et de très sensible aux attaques. Derrière cela, il y a un enjeu que je qualifie de santé publique entrepreneuriale. En effet, les personnalités difficiles jouent un rôle majeur dans la fameuse question des risques psychosociaux. Elles sont souvent à l’origine d’une détérioration de l’ambiance au travail et de la performance, mais cela reste méconnu et minimisé.

E & C : Est-il possible de gérer les personnalités difficiles et comment ?

R. G. : Oui, c’est possible, mais avant tout, il faut rester sur le plan strict du travail. La gestion doit de toute façon revenir au manager, ce sont donc des outils de management qu’il faudra utiliser. Les réponses varient en fonction des personnalités. Il existe trois modes de gestion de l’angoisse chez tous les individus : la recherche du regard des autres, la mise en ordre, et la fuite ou la protection. Un équilibre assez naturel se fait entre ces trois modes : 70 % par le regard des autres, 10 % par l’ordre et le respect des règles, 20 % par la fuite et la protection. En termes psychanalytiques, cela correspond aux positions de l’hystérie, de l’obsession et de la phobie qui sont des mécanismes de défense. Chez une personnalité difficile, ces proportions sont considérablement modifiées ou partiellement utilisées. Ainsi, une personnalité hystérique utilisera trop l’outil de régulation de la distance relationnelle, recherchera trop de proximité, aura du mal à saisir la différence entre les dimensions personnelle et professionnelle. La réponse managériale doit être celle de la fermeté – dans le respect – du rappel permanent de la limite. Anxieux de ne pas avoir assez de travail, l’obsessionnel met en place des systèmes de contrôle. Il faudra lui confier davantage de dossiers importants – mais pas décisionnels – pour limiter son désir de tout contrôler.

Le phobique est assez pénible, car, toujours inquiet, il n’est pas dynamique, or le dynamisme fait partie des normes des relations au travail. Avec lui, il faut prendre le temps de fixer des points d’étape, d’expliquer les procédures, voire d’adapter son poste.

E & C : Que fait-on quand on a affaire à un supérieur à la personnalité difficile ?

R. G. : Les mêmes principes s’appliquent, mais la façon de faire sera plus “délicate”. Je pense à la secrétaire d’un avocat très obsessionnel qui lui demandait de tout traiter, en même temps, au même niveau de perfection. Elle lui a répondu en lui proposant une nouvelle organisation de son travail. Il n’a d’abord rien dit puis s’est rangé à son avis. Cela ne demande pas un courage insurmontable. Il faut toujours se rappeler que les névrosés sont des gens ”de notre pays” – nous sommes aussi névrosés, mais dans des proportions plus équilibrées. On peut donc leur parler : ils nous entendent et peuvent progresser.

Il n’en va pas de même pour les personnalités dangereuses. En dépit des apparences, elles ne répondent pas du même système de valeurs et relèvent de la structure psychotique. Au travail, on trouve deux psychoses socialisées : les paranoïaques et les pervers. Les premiers sont toujours en période de guerre, les seconds toujours en train de manipuler les autres à leur avantage. Les managers ne peuvent pas apprendre à gérer cela. Face à ces personnalités, ils ne doivent surtout jamais rester seuls. C’est toute une équipe qui doit se mobiliser : les RH, les préventeurs, la hiérarchie.

E & C : Existe-t-il des modes de management qui favorisent l’émergence de personnalités difficiles ?

R. G. : Oui, à chaque fois que l’on ne tient pas ce qu’on appelle les “repères symboliques”. Ils ne sont pas nombreux, mais comportent toujours trois dimensions essentielles : un discours clair, une autorité équilibrée et un projet d’équipe intéressant. Cela se traduit par exemple par “dire où l’on est et où on va”, “occuper le terrain clairement, mais sans violence”, maintenir l’intérêt de chacun dans le travail. En faisant cela, non seulement on gère en amont les personnalités difficiles, mais on élimine aussi 80 % des problèmes récurrents de management. Nous sommes tous anxieux naturellement, cela est intrinsèque à la vie, mais au travail, cette angoisse redouble du fait que c’est l’endroit où des individus qui ne se sont pas choisis font des choses qu’ils n’ont pas réellement décidées ! Tenir les trois repères symboliques cités permet de calmer cette anxiété normale.

E & C : Quel rôle peuvent jouer les DRH ?

R. G. : Ils doivent être les experts du bon usage du droit, c’est-à-dire contribuer à mettre les choses dans l’ordre. Plus le droit est clair, plus on peut parler avec les personnes. Très souvent, dans les entreprises, on a la tentation de mettre la confiance avant le respect. Or, c’est le contraire qu’il faut faire. En veillant à l’application des accords, au respect du règlement, etc., le DRH permet à chacun d’être rassuré sur les limites. Alors, on peut entamer un processus de confiance et de construction.

PARCOURS

• Roland Guinchard est psychanalyste et psychothérapeute. Il a travaillé quinze ans en hôpital psychiatrique.

• Il s’est réorienté vers le conseil et le coaching après un diplôme d’audit social et intervient aujourd’hui comme consultant auprès de grandes entreprises sur les questions d’engagement au travail et de préservation de l’identité professionnelle.

• Il est l’auteur, en collaboration avec Gilles Arnaud, de Psychanalyse du lien au travail (Elsevier Masson, 2011). Il vient de publier, chez le même éditeur, Les Personnalités difficiles ou dangereuses au travail. Identifier les comportements et gérer les troubles.

SES LECTURES

• Typhon, Joseph Conrad, Gallimard, 1973

• Tristes Tropiques, Claude Levi-Strauss, Pocket, 2001

…et deux films qui mettent en scène des personnalités dangereuses :

• Ouragan sur le Caine, Edward Dmytryk, 1954 (DVD Sony Pictures Entertainment, 2007).

• Mon Idole, Guillaume Canet, 2002 (DVD H2F, 2003).

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET