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« Les jeunes ont un besoin d’engagement sous-estimé »

Enjeux | publié le : 05.03.2013 | VIOLETTE QUEUNIET

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« Les jeunes ont un besoin d’engagement sous-estimé »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Les jeunes salariés manifestent un besoin de s’impliquer dans leur travail. Ils ont également des attentes fortes vis-à-vis des syndicats. Mais directions d’entreprises et organisations syndicales peinent à répondre à ce besoin d’engagement.

E & C : Vous avez réalisé deux enquêtes auprès de jeunes salariés de 24 à 32 ans, avec un focus sur leur engagement professionnel et syndical. Les jeunes ont-ils besoin de s’engager ?

Michel Vakaloulis : Oui et ce constat permet à la fois de déconstruire la mythologie de l’individualisme qu’on attribue à cette génération et d’aller à l’encontre de l’idée selon laquelle les jeunes seraient une génération sacrifiée. Sensibles aux effets de la conjoncture, ils ne se vivent pas forcément comme des “victimes”. Même si leur insertion dans le monde du travail reste un parcours d’obstacles – plus de deux tiers des premières embauches se font en contrat précaire –, ils résistent à leur dévalorisation en déployant des logiques d’action collective ou d’engagement individuel responsable. Pour eux, s’engager, c’est affirmer leur place dans la société en s’attachant à un socle de valeurs solidaires et égalitaires.

On ne constate pas de remise en cause du travail, qui demeure une valeur forte, une activité sociale centrale porteuse de signification. Le travail est valorisé à la fois comme besoin de vivre, comme modalité d’accomplissement de soi et comme moyen d’être utile socialement.

E & C : Cet engagement dans le travail est souvent souligné dans les études sur cette fameuse génération Y, mais c’est un engagement avec des limites.

M. V. : Exactement, il ne s’agit pas d’un engagement inconditionnel. Il n’a de sens qu’à travers une logique de reconnaissance de la part des collègues et de la hiérarchie. La jeune génération recherche aussi un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Les jeunes réalisent que les limites d’âge de départ à la retraite sont de plus en plus repoussées. Certains doutent même qu’ils bénéficieront d’une retraite. On observe donc une tendance à réévaluer le facteur travail dans un projet de vie beaucoup plus vaste, où il n’est pas question de sacrifier les amitiés, la vie de couple, toutes les activités privées créatrices de sens.

E & C : Qu’est-ce qui, dans l’entreprise, favorise l’engagement des jeunes dans leur travail ?

M. V. : Le soin apporté à la période d’intégration est déterminant. L’entreprise exige trop souvent des jeunes d’être immédiatement opérationnels et les jeunes le vivent mal en règle générale. Ils se considèrent bien formés sur le plan théorique, mais ont des difficultés à s’adapter à la vie dans l’entreprise. Ils souhaiteraient qu’elle se donne le temps de les fortifier en bons professionnels. C’est pourquoi ils apprécient les entreprises qui disposent de collectifs de travail fortement intégrateurs, comme c’est encore le cas dans certaines grandes entreprises publiques. Ils sont très contents lorsqu’on les accueille et qu’on leur offre la possibilité de mieux connaître l’entreprise, qu’on leur pardonne leur inexpérience. Les jeunes réclament d’avoir des dispositifs de transmission entre anciens et nouveaux pour les acclimater et leur confier progressivement des responsabilités.

Cette période d’intégration est d’autant plus importante qu’ils sont souvent passés par un sas de précarité avant de se stabiliser et ont vécu d’autres expériences professionnelles qui ont pu les décevoir.

E & C : Et après la période d’intégration ?

M. V. : Les jeunes peuvent facilement s’ennuyer dans leur travail. Une fois qu’ils ont fait le tour de leur poste, ils veulent expérimenter autre chose. L’entreprise doit alors leur proposer des opportunités à moyen terme. La gestion des parcours professionnels est un enjeu majeur, à la fois pour réussir leur intégration et pour les fidéliser. En l’absence de plaisir et d’intérêt dans le travail, ils se désengageront rapidement, avec des stratégies individuelles qui varient selon leur profil. Ceux qui disposent des diplômes les plus recherchés n’hésiteront pas à partir. Les autres travailleront sans motivation. Mais cela risque de ne pas trop durer, car, aujourd’hui, la plupart des formes d’organisation du travail présupposent de la réflexivité, des capacités d’anticipation, du relationnel. C’est tout cela qui se joue dans la motivation. Quand la résignation prend le pas, cela tend à faire baisser la productivité et à plomber l’ambiance de travail.

E & C : Qu’est-ce qui pousse une minorité de jeunes salariés à se syndiquer ?

M. V. : Les motivations sont diverses. Certains ont rencontré un problème et les syndicats étaient là pour les soutenir. Ils se syndiquent donc, sans forcément militer. Pour ceux qui s’engagent avec de fortes convictions, le syndicat apparaît comme un espace où l’on peut vraiment réfléchir, défendre des intérêts collectifs. Il y a aussi des facilitateurs de l’adhésion. Par exemple, les jeunes issus de familles politisées ou syndiquées ont tendance à adhérer plus facilement et plus rapidement que les autres.

Curieusement, les jeunes ne se syndiquent pas contre l’entreprise. Pour eux, c’est être acteur de l’entreprise. C’est une manière de la défendre, même s’ils peuvent remettre en cause certaines orientations de la direction. Cela revient à défendre non l’entité juridique assimilée aux actionnaires, mais la communauté de travail qui a une utilité sociale : le fait d’apporter un service à une clientèle ou, dans le cas d’une entreprise publique, de rendre service à des citoyens.

E & C : Malgré le faible taux de syndicalisation des jeunes, leur besoin de s’engager ne constitue-t-il pas une opportunité pour les syndicats ?

M. V. : Il y a un paradoxe dans l’attitude des jeunes salariés vis-à-vis du syndicalisme. Ils ont une bonne image des syndicats, ils y sont même plus favorables que leurs aînés, mais ils se syndiquent encore moins que leurs collègues plus âgés. Ce qu’ils attendent d’un syndicat, ce n’est pas seulement la défense d’intérêts communs et de droits acquis, mais aussi une vision globale, une réflexion sur la stratégie de l’entreprise, sur l’organisation du travail. Cependant, les syndicats ont beaucoup de mal à se situer sur le terrain des critères de gestion. Il y a aussi un problème de décalage générationnel : les responsables syndicaux ont entre 40 et 50 ans, et leurs modes de fonctionnement, très hiérarchisés, ne correspondent pas aux attentes des jeunes. Je dirais que les directions d’entreprise, à leur manière, ont exactement le même problème lorsqu’elles sont incapables de proposer autre chose qu’une vision court-termiste.

Parcours

• Michel Vakaloulis, économiste, docteur en philosophie et sociologue, est maître de conférences en sciences politiques à l’université de Paris-8.

• Spécialiste de l’action collective et de l’analyse des relations professionnelles, il travaille également sur les nouvelles formes de management. Il tient un blog sur ces questions : <vakaloulis.wordpress.com>

• Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Jeunes en entreprise publique (La Dispute, 2005) et Le Syndicalisme d’expérimentation (PUF, 2007). Il vient de publier Précarisés, pas démotivés ! Les jeunes, le travail, l’engagement (Éditions de l’Atelier).

SES LECTURES

• Fragments, Héraclite, Garnier-Flammarion, 2002

• La Vie de Galilée, Bertolt Brecht, L’Arche, 1997

• Mythologies, Roland Barthes, Seuil, 1970

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET