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Enquête

UNE RÉFORME PAR DÉCRET

Enquête | publié le : 27.11.2012 | VALÉRIE DEMON

Le gouvernement a passé outre la concertation avec les partenaires sociaux pour imposer sa réforme du droit du travail, qui vise notamment à faciliter les accords de compétitivité. Mais, sur le terrain, les entreprises profitent surtout de l’assouplissement des conditions du licenciement économique.

Touché par un taux de chômage endémique (24,6 % et près de 52 % pour les moins de 25 ans), l’Espagne a choisi la voie de la flexibilité pour lutter contre les effets ravageurs de la crise. À peine deux mois après avoir pris les rênes du pays, le Parti populaire (droite) a approuvé par décret en février 2012 une réforme radicale du marché du travail. Au grand dam des syndicats, qui n’ont pas négocié cette nouvelle loi avec le patronat, et ont répondu par une grève générale le 29 mars suivant.

Des indemnisations moins généreuses

La réforme revoit d’abord à la baisse les conditions et les indemnités de licenciements économiques. L’entreprise pourra décider de licencier ou d’imposer une réduction des salaires et du temps de travail dès lors que, durant deux trimestres consécutifs, les ventes sont inférieures à celles enregistrées l’année antérieure. Si le salarié refuse, c’est la porte de sortie qui lui est proposée. Et son licenciement coûtera moins cher. Finies les conditions d’indemnisation plutôt généreuses : les 33 jours par année travaillée pour les CDI ne seront plus que 20. Par ailleurs, les entreprises sont moins contraintes à l’heure de décider : l’Espagne, qui était l’un des derniers bastions de l’autorisation administrative de licenciement, la supprime. Concrètement, une fois terminée la période d’un mois de négociation entre la direction et les représentants des salariés, l’entreprise pourra procéder aux licenciements même en cas de désaccord.

Toutefois, Madrid veut éviter que le recours à l’ajustement passe systématiquement par les licenciements, en permettant aux entreprises d’améliorer leur flexibilité en cas de crise ou de coup dur passager.

Déroger à la convention collective

La réforme établit clairement les raisons d’un décrochage : si l’entreprise connaît des pertes ou prévoit d’en avoir, ou si son chiffre d’affaires diminue depuis deux mois consécutifs, elle pourra ouvrir des négociations avec les syndicats ou représentants du personnel pour flexibiliser le temps de travail, les salaires, le rendement, les systèmes de retraite complémentaire, la prévoyance. Quitte à déroger à sa convention collective sectorielle ou à son propre accord d’entreprise, cas de figure expressément prévu par la nouvelle loi. En cas de désaccord, une commission paritaire aura sept jours pour se prononcer.

Renault a d’ailleurs conclu, le 14 novembre, un accord de compétitivité. En échange de l’embauche en CDI de 800 intérimaires, les syndicats ont accepté trois jours de travail supplémentaires par an, de recourir à des CDD de dix-huit mois moins rémunérés, etc. Mais la filière automobile, où ce type d’accord existait avant la réforme, reste un cas à part. Ainsi, malgré les pressions du gouvernement pour recourir à la flexibilité, Iberia maintient son projet de licencier 4 500 personnes. « Ces neuf mois passés ont démontré qu’il y a davantage de licenciements et que les entreprises n’ont pas utilisé la flexibilité interne négociée pour éviter la hausse du chômage, assure Ramon Gorriz, secrétaire confédéral d’action syndicale de Commissions Ouvrières. Cette réforme a simplement permis de dévaluer les salaires et d’affaiblir la négociation collective. Les patrons l’entravent, la retardent. »

Le président de l’Association de direction et du développement des personnes (Aedipe), Moisés Arrimadas a une autre analyse : « Cette réforme n’a pas été bien interprétée par les syndicats, qui ont souvent préféré les licenciements à la flexibilité interne. Celle-ci supposait pour eux une perte de contrôle. »

Au-delà de ces divergences, le président de l’Aedipe regrette le temps perdu : « Cette réforme est arrivée tard, alors que beaucoup d’entreprises en difficulté n’avaient plus forcément le choix. » Il souligne l’incertitude juridique : sur les treize jugements portant sur des licenciements collectifs économiques depuis l’entrée en vigueur de la réforme, neuf ont ordonné leur annulation. En tout cas, pour les partisans ou les détracteurs de cette loi, un point reste indiscutable : la réforme n’a pas empêché la destruction de 835 900 emplois entre octobre 2011 et octobre 2012.

Auteur

  • VALÉRIE DEMON