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Conflits sur les salaires XS de l’habillement

Pratiques | publié le : 13.11.2012 | STÉPHANIE MAURICE

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Conflits sur les salaires XS de l’habillement

Crédit photo STÉPHANIE MAURICE

Bas salaires, temps partiel et fort turnover : dans le secteur du prêt-à-porter, la situation des salariés ne cesse de se dégrader, et certains doivent compter sur le RSA activité. Les syndicats montent au créneau.

En juin dernier, les employés de Camaïeu, enseigne de prêt-à-porter, faisaient grève pour demander une revalorisation de leurs salaires. Certains d’entre eux s’indignent d’avoir besoin du RSA activité* pour compléter leurs revenus. Cherif Lebgaa, délégué FO, parle de sa propre expérience : avec un salaire de 1 180 euros par mois, il ne parvient pas à faire vivre sa femme, mère au foyer, et ses deux enfants (le montant du RSA est calculé en fonction de la composition et des ressources d’un foyer). La situation n’est pas spécifique à Camaïeu. Louisa Makhloufi, déléguée centrale CGT à Promod, connaît elle aussi quelques cas, des femmes seules avec leurs enfants. Mais, explique-t-elle, « les gens ne le disent pas. Il n’y a pas de quoi être fier : travailler et être obligé de demander de l’aide ! ».

Un faible recours

Dans le Nord, qui abrite les sièges de ces enseignes, 29 648 personnes sont allocataires du RSA activité, sur les 129 386 bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). « Ils représentent 23 % de l’ensemble, précise le conseil général, reconnaissant qu’il y a un faible recours à cette aide. Certains n’ont pas envie de se lancer dans des démarches pour une aussi petite somme, mais il y a également la volonté d’éviter la stigmatisation. Le RSA est assimilé à un revenu d’assistance. » Une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), parue en avril 2012, confirme d’ailleurs ce phénomène : 68 % des foyers français qui pourraient prétendre au RSA activité n’en font pas la demande. Pourtant, les difficultés sont réelles. Luc Dubois, délégué syndical FO chez Chauss Expo, connaît « deux collègues qui ont revendu leur maison quand leurs femmes se sont arrêtées de travailler ». Un seul smic ne suffisait pas pour faire face au remboursement des traites. « Les prix flambent, mais les salaires n’augmentent pas, constate-t-il. Ce n’est pas à l’État de compenser ce que les patrons ne veulent pas verser aux salariés. Et c’est un manque à gagner pour les caisses de retraite et de sécurité sociale. » Pour lui, la solution passe par la revalorisation des salaires.

Femmes à temps partiel

Les différents syndicats de la branche approuvent. Mais les négociations annuelles obligatoires (NAO) ont un impact limité. Chez IDlog, entité logistique d’IDgroup (spécialiste de l’équipement pour l’enfant avec, entre autres, la marque Okaïdi), les salaires sont gelés depuis l’année dernière. De son côté, Louisa Makhloufi, qui travaille comme agent logistique qualifié à Promod, ne gagne que « 20 euros de plus que le smic actuel, hors primes, alors que les agents sans qualification sont au smic ». Dans son entreprise, la NAO vient de se conclure avec une revalorisation de 2,3 %, ce qui, pour elle, « représente seulement 20 euros de mieux par mois ». Mais elle a la chance de travailler dans les entrepôts, là où les CDI sont à temps plein et où les gens restent plus longtemps dans l’entreprise. La situation n’est pas la même dans les boutiques des chaînes. Le secteur y emploie principalement des femmes à temps par-tiel. Selon Françoise Nicoletta, secrétaire fédérale FO responsable du commerce, 48 % des salariés de la branche sont dans ce cas : « Toutes ces femmes n’auront pas les moyens d’avoir une retraite décente. C’est une mini-bombe à retardement que nous nous préparons. »

Jean-Marc Génis, président de la Fédération des enseignes de l’habillement (FEH), justifie l’utilisation de ces contrats : « La distribution a besoin d’une importante amplitude horaire, de 9 heures à 20 heures, avec des pics à midi et le soir qui nécessitent des temps partiels. » Il précise en outre que la convention collective oblige à embaucher pour vingt-deux heures au minimum par semaine, sauf cas particuliers comme les étudiants venant en renfort le week-end. Et il explique la faiblesse des salaires par la faiblesse des qualifications : « Nous recrutons à des niveaux de formation très faibles, contrairement à l’industrie avec ses ouvriers spécialisés. La distribution est la porte d’entrée dans le monde du travail pour ces femmes non qualifiées. »

Mais Françoise Nicoletta estime également que les chaînes n’essaient pas de retenir les meilleurs, comme le font les petits détaillants. « C’est un système qui rentabilise au maximum le salarié », dénonce la secrétaire fédérale FO. Elle en veut pour preuve l’importance du turnover dans le secteur. Selon Cherif Lebgaa, Camaïeu aurait enregistré 500 démissions pour un effectif de 3 900 personnes en 2011. Jean-Marc Génis ne nie pas le phénomène, mais lui trouve une autre explication : « Le turnover fait partie du développement de carrière. Nous avons une vitesse de progression qui est sans commune mesure avec d’autres secteurs. Vous pouvez être facilement directrice de magasin vers 30-35 ans dans une ville moyenne de province. Si vous voulez continuer à évoluer, vous traversez la rue pour aller chez le concurrent. » La fédération travaille du reste sur un certificat de qualification professionnelle interentreprises pour faciliter le passage d’une enseigne à l’autre sur le même territoire.

Part variable

Le président de la FEH rappelle également que les systèmes de rémunération allient salaire fixe et primes : « Les syndicats oublient toujours la part variable. Il est pourtant logique de mieux rémunérer les bons vendeurs. » Les primes sont en effet liées aux résultats de ces derniers (le bonus chez Camaïeu par exemple), mais aussi aux bénéfices du point de vente et de l’entreprise (intéressement et participation). Louisa Makhloufi le confirme : toutes primes confondues, sa rémunération grimpe à 1 400 euros net mensuels. Mais la participation, à moins d’une demande explicite du salarié au moment du versement, est bloquée pour cinq ans et ne devrait donc pas compter pour les dépenses quotidiennes. Avec la crise, cependant, « de plus en plus de salariés l’utilisent pour payer leurs factures de gaz ou une réparation imprévue », constate-t-elle. Françoise Nicoletta ironise : « Grâce aux primes, si le chiffre d’affaires baisse, la rémunération baisse également. Le patron perd moins ! » Et, contrairement aux salaires, ces gratifications ne suivent pas l’inflation. Dans certains cas, le 13e mois a été remplacé par une prime de fin d’année.

Cette interprétation fait bondir Jean-Marc Génis, qui rappelle que la masse salariale ne représente, en moyenne, que 15 % du chiffre d’affaires. Pour lutter contre le décrochage entre salaires et pouvoir d’achat, Luc Dubois, de Chauss Expo, propose, pour sa part, un retour au passé : « Jusqu’en 1981, il y avait l’échelle mobile des salaires, qui permettait de suivre l’évolution des prix et temporisait les problèmes de pouvoir d’achat. » Une mesure supprimée par le gouvernement de Pierre Mauroy, sous la présidence de François Mitterrand.

* Il est versé aux personnes exerçant une activité professionnelle lorsque leur revenu est inférieur à un montant minimum garanti de ressources.

L’ESSENTIEL

1 Certains salariés des enseignes de prêt-à-porter se plaignent d’avoir besoin du RSA activité pour compléter leurs revenus.

2 La situation est particulièrement difficile pour les vendeuses, peu qualifiées et principalement recrutées à temps partiel.

3 Les syndicats ne se satisfont pas des primes et souhaitent une revalorisation des salaires fixes pour renforcer le pouvoir d’achat des salariés.

Auteur

  • STÉPHANIE MAURICE