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POURQUOI LA GREFFE N’A PAS PRIS

Enquête | publié le : 26.06.2012 | EMMANUEL FRANCK

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POURQUOI LA GREFFE N’A PAS PRIS

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Les intranets syndicaux d’entreprise n’ont pas tenu leurs promesses. Les réticences des directions à laisser les syndicats utiliser l’outil à pleine puissance, mais aussi le faible intérêt de ces derniers pour l’e-militantisme, expliquent que les intranets syndicaux ne répondent finalement qu’à des besoins de niche. L’enjeu, pour les uns et les autres, se situe désormais du côté d’Internet, de ses blogs, de ses forums et de ses réseaux sociaux.

L’intranet d’entreprise n’est pas la planche de salut des syndicats. Onze ans après le premier accord d’entreprise autorisant un intranet syndical (Eutelsat en 2001) et huit ans après la loi ouvrant aux syndicats la porte des réseaux informatiques d’entreprise (loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social), force est de constater que la greffe n’a pas pris. Les intranets syndicaux restent rares et, lorsqu’ils existent, ils manquent en général de convivialité et d’interactivité. Rien à voir avec Internet, ses sites, ses blogs et ses réseaux sociaux, sur lesquels des militants, mais surtout des salariés, s’expriment sans entraves (lire p. 22).

Pourtant, les intranets syndicaux étaient promis à un bel avenir. Pour les plus optimistes, qui en attendaient le renouvellement du syndicalisme français, les e-mails devaient suppléer les bras vieillissants des militants pour distribuer les tracts (5 % d’adhérents dans le privé) ; les sites, visibles par les salariés nomades, allaient se substituer aux panneaux d’affichage ; l’onglet “adhésion” au pot de reprise des cartes ; un ton nouveau et attractif pour les jeunes devait remplacer le classique cahier de revendications. Ces enjeux étaient en outre exacerbés par la réforme de la représentativité de 2008, qui fait de l’audience des syndicats leur condition de survie.

Quant à la direction, elle avait tout intérêt à jouer le jeu et à signer des accords (condition pour que les syndicats accèdent à l’intranet), afin que l’expression syndicale demeure dans le cadre restreint et policé de l’intranet.

Des accords qui restreignent l’usage du réseau

Or, très peu d’accords de ce type ont été signés, constate Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à Paris 1-Sorbonne, qui suit de près l’évolution du droit de la communication syndicale électronique depuis ses prémices*. Thierry Heurteaux, consultant en relations sociales, associé au cabinet Pactes Conseil, observe la même chose : « Ce n’est pas une préoccupation pour mes clients. Même des entreprises qui ont été victimes d’une utilisation abusive de la messagerie interne par les syndicats ne négocient pas pour autant un intranet syndical. » Elles veulent rarement donner aux syndicats une « bombe atomique communicationnelle », qui pourrait être utilisée dans un conflit, explique Jean-Emmanuel Ray (lire son interview p. 27).

C’est pourquoi, lorsque ces accords existent, ils restreignent l’usage du réseau. Les directions avancent en général l’argument technique du risque de saturation. Mais à leur décharge, la récente jurisprudence sur l’égal accès de tous les syndicats à l’intranet (y compris les non-représentatifs et les non-signataires de l’accord) et les difficultés à fixer des limites à la liberté d’expression ne les incitent guère à être libérales (lire p. 23). À l’image de Dassault Aviation qui, dans son accord signé fin 2010, interdit les forums, les blogs, les chats, la vidéo interactive, les téléchargements, l’interactivité, le streaming, les moteurs de recherche et l’indexation, les programmes exécutables, les cookies et les liens hypertextes vers l’extérieur. Les contributeurs doivent en outre signer un engagement rappelant qu’ils ne peuvent diffuser d’informations à caractère diffamatoire et injurieux, ni d’éléments confidentiels. Le non-respect de ces interdictions entraîne en général la fermeture temporaire puis définitive du site.

Interdiction de l’envoi massif d’e-mails

L’envoi massif d’e-mails (spam) est également le plus souvent interdit. Toutefois, chez Eurocopter, les syndicats peuvent en diffuser pour alerter les salariés qu’un nouveau tract est en ligne (lire p. 25). Après parfois quelques abus dans les premiers temps de l’intranet, les syndicats respectent en général les règles.

Face à tant de contraintes, certains préfèrent déserter l’intranet pour créer leur site Internet, comme chez Renault (lire p. 24). De son côté, la CFDT de France Télécom fait savoir que la négociation sur la communication électronique a été abandonnée l’année dernière, faute de consensus sur la fréquence des e-mails aux salariés.

Pour expliquer l’échec des intranets syndicaux, il faut dire également que les syndicats eux-mêmes n’en sont pas très demandeurs. Dans des entreprises industrielles, ils font remarquer que les travailleurs postés n’ont pas accès à un ordinateur. Chez Dassault Aviation, il existe des terminaux en accès libre après avoir badgé ; c’est également prévu chez Eurocopter. « Mais la consultation des sites syndicaux se fait au vu de tous », constate Raymond Ducrest, délégué central CFDT chez Dassault Aviation.

Les syndicats font également valoir que l’animation d’un site suppose de mobiliser des adhérents ; que la confidentialité de leur communication n’est pas garantie sur le réseau de l’entreprise ; qu’en intervenant sur un forum, les salariés s’exposent ; qu’il faut contrecarrer l’effet d’accélération induit par l’électronique pour laisser du temps à la réflexion, ce qui implique notamment de s’abstraire de la pression des salariés et que, in fine, l’exercice du syndicalisme, la mobilisation des salariés et le dialogue social avec la direction supposent des contacts réels.

Les intranets syndicaux tels qu’ils existent actuellement satisfont finalement des besoins de niche. La CFTC d’Eurocopter, qui n’est plus représentative, attend avec impatience de pouvoir créer son site sur l’intranet. La CFE-CGC de la même entreprise, qui pense que les NTIC ne correspondent pas à un besoin vital, admet qu’elles lui sont utiles pour se rapprocher des expatriés.

Des espaces sécurisés

Toujours à Eurocopter, et bientôt à la RATP (lire p. 26), l’intranet héberge des espaces collaboratifs sécurisés sur lesquels la direction et les syndicats partagent des documents de travail.

Alcatel-Lucent semble l’exception : les partenaires sociaux se préparent à négocier un accord sur le “dialogue social 2.0” autorisant un intranet syndical véritablement interactif, avec notamment des forums (lire p. 23). Les syndicats d’Alcatel se réjouissent de cette initiative, mais le DRH voit plus loin : pour lui, l’intranet est aussi un moyen de faire émerger la parole des salariés, dont certains se constituent en collectifs, comme celui des femmes à haut potentiel ou des LGTB (lesbiennes, gays, bi et trans)… que le DRH se verrait bien inviter à la table des négociations. Ce qui douche un peu l’enthousiasme des syndicats.

Notamment dans Droit du travail, droit vivant, éd. Liaisons, 20e édition, 2011.

L’ESSENTIEL

1 Les intranets syndicaux d’entreprise sont souvent trop encadrés pour être attractifs. Ils restent cependant utiles aux syndicats non représentatifs, aux salariés nomades ou lorsqu’ils hébergent un espace de dialogue social partagé.

2 La responsabilité en incombe aux directions qui brident les possibilités techniques, ainsi qu’aux syndicats, qui préfèrent militer sur le terrain plutôt que virtuellement.

3 L’enjeu, pour les directions comme pour les syndicats, est de cadrer l’expression de salariés intervenant à titre individuel sur Internet.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK

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