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LE BUREAU DEVIENT MULTIPLE

Enquête | publié le : 12.06.2012 | VIRGINIE LEBLANC

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LE BUREAU DEVIENT MULTIPLE

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Si l’open space s’est largement répandu dans les entreprises, sa mise en place n’a pas toujours été accompagnée d’une réflexion sur la qualité du travail. Certains DRH ont désormais conscience de l’intérêt de bien analyser les besoins en fonction des métiers exercés. De plus en plus d’espaces satellites et de lieux de convivialité viennent compléter le poste de travail.

Un hôtel particulier de 10 000 m2 au cœur du 9e arrondissement de Paris, une 2 CV installée dans un open space et faisant office de “salle de réunion”, un baby-foot, des cuisines à disposition où tout est gratuit, des espaces blancs agrémentés de couleurs vives… Les salariés trentenaires de Google ont largement participé aux choix d’aménagement de leur nouveau siège destiné notamment à favoriser leur créativité. Un rêve à la Google, alors que tant d’autres entreprises ont fait les frais d’open space mal pensés ?

Une chose est sûre, des projets mal ficelés se déploient encore, à l’instar de ceux qu’évoque Jacques Boulet, architecte, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette et intervenant dans des missions d’expertise CHSCT du cabinet Technologia. Florilège : « Des postes de travail en second jour et des salles de réunion en premier jour, un open space où il est impossible de se concentrer car il se situe au milieu d’un flux de circulation, une direction au dernier étage d’un bâtiment avec vue sur la ville, des managers placés en mezzanine avec vue sur les autres salariés concentrés dans leur open space sans lumière directe, etc. »

Des espaces intelligents

Pour autant, le bureau ouvert continue à s’imposer. « Mais cela n’empêche pas de faire des espaces de qualité », plaide Philippe Meurice, directeur du cabinet d’architecture d’intérieur DEGW France. D’autant que les ingrédients pour réaliser des open space « intelligents » sont dorénavant connus. « Aujourd’hui, rares sont les open space où l’on trouve plus de 20 personnes installées ensemble », relève Élisabeth Pélegrin-Genel, architecte et psychologue du travail. Pierre Bouchet, directeur associé de Génie des lieux, estime aussi qu’« on ne peut guère aller au-delà de 10 à 15 postes dans un même espace, et réunissant les mêmes métiers. »

Un conseil qu’a suivi DCNS, en allant encore plus loin : les bureaux ouverts y sont limités à huit salariés (lire p. 30). PriceMinister fait quant à elle figure de contre-exemple réussi avec de grands open space, bien acceptés, silencieux, spacieux, lumineux et surtout qui répondent aux besoins des salariés (lire p. 29).

« Comment rendre humain un espace où l’on place plus de personnes dans moins de mètres carrés ?, interroge Odile Duchenne, directrice d’Actineo, collectif de professionnels de l’aménagement et du mobilier de bureau. Il faut lier l’organisation du travail à celle de l’espace, analyser les métiers, la façon de travailler, en mode sédentaire ou nomade : c’est bien là où les DRH sont impliqués dans ces projets d’aménagement. » « On est passé d’une approche technique des projets d’aménagement à un sujet de direction générale et de management », constate également Ghislain Grimm, directeur associé de Form’a, autre conseil en aménagement. Et ce n’est pas un hasard si la profession des services généraux a changé de nom pour adopter la dénomination “direction de l’environnement de travail” (lire l’interview p. 32).

Créer des zones d’échanges

Un environnement de travail où « il existe toute une série d’espaces cloisonnés à la disposition des salariés en fonction des besoins de l’activité, relate Han Paemen, directrice Workplace Consulting d’Aos Studley. Des espaces pour s’isoler, se rencontrer, mais aussi des services à la personne afin de faciliter l’organisation de sa vie personnelle sur le lieu de travail.

Au nouveau siège de Médiamétrie (350 salariés), Jacques-François Fournols, directeur exécutif, indique avoir voulu « créer des zones d’échanges pour que les salariés puissent se rencontrer de façon informelle ». L’entreprise a prévu une cafétéria et des zones où les salariés peuvent s’installer sur des poufs. Mais elle a aussi mis à disposition des « petits boxes pour s’isoler ».

Afin d’absorber le bruit, elle s’est dotée de plafonds microperforés et de cloisons à chaque demi-plateau, sans compter la pose d’une moquette épaisse. « Une moitié de notre surface est dédiée aux postes de travail et l’autre est constituée d’espaces libres pour partager », précise le dirigeant. Une précaution fondamentale car, comme le souligne François Delatouche, président de l’Arseg (fédération de responsables des services généraux), les espaces annexes sont souvent en nombre insuffisant (lire l’interview p. 32).

D’où l’utilité, pour les dirigeants, d’interroger les salariés sur leurs besoins. Mais attention, « il faut impliquer les partenaires sociaux le plus tôt possible, leur présenter l’avancement du projet, pour éviter d’arriver trop tard », estime Pierre Bouchet. À la Maif, l’intervention du CHSCT a permis de revoir le projet afin qu’il suscite l’adhésion des salariés (lire p. 27). Au-delà des IRP, les entreprises ont bien compris l’intérêt d’associer a minima les salariés à certains choix : elles organisent des groupes de travail avec des représentants des différents services, à l’instar des “ambassadeurs” de PriceMinister (lire p. 29). Un bémol toutefois, analyse Élisabeth Pélegrin-Genel : « Il est facile de consulter les salariés sur la couleur de la moquette. Mais on les consulte rarement sur la configuration concrète de leur environnement de travail et le nombre de collègues qui se trouveront autour d’eux. »

Si l’un des arguments majeurs des employeurs pour installer des open space est, avec celui d’une meilleure communication, le gain financier espéré en libérant de l’espace, il semble que ce dernier point ne soit pas toujours prouvé. « On observe peu de gains de mètres carrés entre les bureaux fermés et les open space, rapporte François Delatouche. En revanche, on aboutit à une autre répartition des mètres carrés. Les gains financiers se réalisent davantage dans le choix de l’emplacement de l’entreprise : 50 % du budget des directeurs de l’environnement de travail est consacré au loyer. Si on le divise par deux, on diminue de 25 % son budget, d’où l’intérêt constant des entreprises à quitter le centre de Paris pour la banlieue. »

SFR et le siège de la SNCF, par exemple, s’installeront à la Plaine Saint-Denis (93) en 2013.

Inoccupation des bureaux

Autre constat : l’inoccupation des bureaux plus de la moitié du temps a conduit quelques entreprises à ne plus affecter individuellement les postes de travail. « La population de jeunes consultants s’y est bien adaptée, constate Élisabeth Pélegrin-Genel. Ce type de fonctionnement peut convenir à des salariés ? effectivement peu présents sur leur lieu de travail. » Toutefois, le concept est souvent mal accepté. « Le bureau demeure important dans notre culture, souligne Catherine Gall, directrice de la prospective à Steelcase. Si on nous dépossède de ce territoire, on a l’impression de ne pas être suffisamment important pour avoir un bureau, et, circonstance aggravante, la hiérarchie est souvent épargnée par ce phénomène. » « Les postes partagés peuvent se concevoir, à condition que l’on prévoie des espaces permettant aux équipes de se retrouver », affirme, de son côté, Pierre Bouchet.

« Le partage de son espace de travail n’est pas une obligation pour tous, c’est une des réponses à un besoin de mobilité », poursuit Catherine Gall. Tout comme l’est le télétravail. « Les travailleurs du savoir et tous les salariés qui disposent d’outils mobiles ont une grande liberté de mouvements et peuvent s’affranchir d’une connexion à un réseau fixe, remarque-t-elle. Mais, en France, la vision du travail est encore très structurée par l’unité de lieu et un cadre de contrôle. »

Le télétravail peine à se développer, mais un basculement semble être en train de s’opérer. Han ? Paemen constate qu’« il est rare aujourd’hui que les projets de déménagement de sièges sociaux ne soient pas accompagnés de la possibilité de télétravailler. Il existe encore beaucoup de télétravail « gris », mais il se transforme de plus en plus en démarche officielle. »

Selon une étude publiée en mai par le cabinet Greenworking (lire Entreprise & Carrières n° 1096), 12,4 % des salariés français pratiquent le télétravail avec, au chapitre des bénéfices, un gain de productivité de 22 %. « Le développement du télétravail est en train d’initier un bouleversement du lieu de travail », pointe Greenworking. Au-delà de bureaux satellites leur appartenant, les entreprises devraient avoir de plus en plus recours à des centres d’affaires, à des espaces de “coworking” (collaborateurs issus d’entreprises différentes) et à des télécentres.

« L’entreprise se “déspatialise”, nous allons voir émerger des lieux de travail mixtes mêlant locaux traditionnels, domicile et tiers-lieu de travail. Le bureau sera de plus en plus un espace de rencontre », prédit Olivier Brun, dirigeant du cabinet.

L’ESSENTIEL

1 Les salariés du secteur tertiaire travaillent de plus en plus en mode projet. Ils ont à la fois besoin d’échanger avec leurs collègues, avec l’extérieur, et de s’isoler.

2 Les espaces de travail doivent tenir compte de ces différentes attentes. Au bureau ouvert viennent s’accoler des lieux destinés aux échanges de travail, à la communication informelle et à la convivialité.

3 Les technologies apportent de plus en plus de souplesse quant à l’organisation du travail. Mais la culture managériale française ne favorise pas le télétravail.

LES GARES SNCF ACCUEILLERONT DES “SALONS D’AFFAIRES”

Regus, fournisseur d’espaces de travail flexibles (1 200 centres d’affaires dans le monde, dont plus de 55 en France) ouvrira, à l’automne, un salon d’affaires en partenariat avec la SNCF à la gare du Mans. Cinq autres projets suivront entre 2013 et 2014.

En outre, « les collectivités locales sont particulièrement intéressées pour développer ce type de lieu », affirme Frédéric Bleuse, directeur général France et Monaco de Regus. Ainsi, la Seine-et-Marne vient de regrouper les acteurs du travail à distance au sein d’une association-réseau, Initiatives Télécentres 77.

« Les consultants, par nature nomades, sont friands de ce genre de prestations, ils ont déjà l’habitude de travailler à l’endroit où ils se trouvent. Les grandes entreprises y réfléchissent aussi et la demande viendra des salariés eux-mêmes, désireux d’alléger leur temps de transport. Les DRH sont encore un peu réticents pour des questions d’imprécision du droit du travail », relate Frédéric Bleuse.

V.L.

UNE FORMATION POUR PROMOUVOIR L’ARCHITECTURE AU SERVICE DU BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL

Dans la continuité du rapport de William Dab remis au ministre du Travail en 2008, qui préconisait que la formation des futurs managers et ingénieurs prenne davantage en considération la santé au travail, une nouvelle formation s’attache à l’aménagement des lieux de travail.

Élaborée par le pôle formation de l’ordre des architectes d’Île-de-France « Environnement, ville, architecture », avec le concours de Technologia, ce cursus est constitué d’une dizaine de modules dispensés par l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Au menu : sociologie du travail et de son organisation, architecture des lieux de travail, prévention des risques, ergonomie, risques psychosociaux, etc.

« Le but de la formation est que différents acteurs des projets d’aménagement puissent se rencontrer, et de leur présenter les meilleures pratiques observées », détaille Jacques Boulet, architecte, professeur à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette. Elle s’adresse aux DRH, aux élus de CHSCT ou de CE, aux maîtres d’ouvrage, aux directeurs immobiliers, aux architectes, etc. Cette formation débutera en septembre 2012.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC