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TUTORAT : UNE NOUVELLE PLACE POUR LES SENIORS ?

Enquête | publié le : 05.06.2012 | CAROLINE FORNIELES

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TUTORAT : UNE NOUVELLE PLACE POUR LES SENIORS ?

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

En 2009, les trois quarts des entreprises avaient fait du tutorat un des engagements de leurs plans et accords seniors. Trois ans plus tard, seules quelques-unes en ont fait une priorité, investissant en formation ou rémunération complémentaire. Avec de bons résultats.

Le tutorat était le troisième choix des entreprises dans les accords et plans seniors de 2009 pour faciliter le maintien dans l’emploi des plus de 50 ans. Selon la Direction générale du travail (DGT), les trois quarts voulaient le développer. Il intervenait sous trois formes : intégration de nouveaux arrivants, transmission des savoirs et compétences pour un remplacement à venir, transmission ponctuelle d’une partie des compétences pour une mobilité. « C’était un peu la tarte à la crème, se rappelle le sociologue Serge Guérin. On allait transformer tous les seniors en tuteur et les maintenir ainsi dans l’emploi. »

Mais, en réalité, combien d’entreprises étaient vraiment prêtes ? Combien avaient formalisé ce tutorat ou cherché à faciliter l’accès des seniors au tutorat ? Combien en avaient fait une fonction attractive ? « Assez peu, si on en croit l’étude que nous avons réalisée sur les 126 accords et plans bretons, indique Natacha Pijoan, maître de conférences à l’université Rennes 1. Si la moitié des entreprises, soit 63, avaient retenu le tutorat, seules trois avaient prévu une rémunération complémentaire sous forme de prime ou aménagé le temps de travail. Une seule souhaitait reconnaître ce tutorat dans l’évaluation annuelle du salarié. » Publiée en février 2012, l’étude montrait également que seul un quart avait prévu de former les tuteurs. « Le formulaire de suivi du tuteur n’était présent que dans un ou deux cas », ajoute-t-elle.

Conditions de travail à adapter

Dans une bonne partie des entreprises, rien n’a été fait depuis ces accords seniors. Le tutorat restant lettre morte. Dans d’autres, il a été finalement proposé aux seniors, mais sans rémunération complémentaire ni temps libéré. Et peu de salariés ont eu envie de s’engager dans ces conditions. « En outre, les seniors ont mal vécu l’idée qu’il fallait se mettre à transmettre parce qu’ils n’étaient plus productifs. Le mauvais climat social de certaines entreprises leur faisait craindre qu’une fois leurs savoirs transmis, ils seraient licenciés », ajoute Nathalie Pijoan.

Une récente étude du Coct sur “les conditions de travail dans les accords et plans seniors” témoigne des difficultés de ces tuteurs. Ainsi, dans un laboratoire pharmaceutique, où aucun temps libéré n’a été prévu, les salariés âgés, trop mobilisés par la production, souffrent « de ne pas pouvoir former les jeunes comme il faut ! ». Dans une autre entreprise, spécialisée dans la pose de stores, le tuteur placé en binôme avec le jeune qu’il forme doit fournir la même quantité de travail. Comme il faut presqu’un an au novice pour maîtriser l’art de la pose, c’est le senior qui produit l’essentiel de ce travail très difficile (un store peut peser jusqu’à 140 kg). Le tutorat provoque directement une dégradation des conditions de travail. L’intervention ponctuelle d’un troisième poseur dans les équipes où s’exerce un tutorat a été demandée par les syndicats.

Progression grâce aux plans et accords seniors

Néanmoins, quelques entreprises mettent désormais des moyens pour développer ce tutorat. « Les plans et accords seniors ont quand même permis de progresser, témoigne Tiphaine Garat, ingénieure à l’Institut du travail de Strasbourg. Un tutorat senior a pu être formalisé et doté de compensations. » Il arrive que la fonction soit rémunérée, souvent par des primes (qui peuvent être versées en plusieurs étapes).

« Il est parfois prévu du temps libéré ou un aménagement de la charge de travail, poursuit-elle. Ce sont de loin les conditions les plus motivantes. Libéré de la pression de la production, le tuteur peut plus sereinement délivrer son message et transmettre son geste de travail. » C’est l’option choisie par Airbus, qui propose à ses tuteurs un crédit d’heures. La reconnaissance des compétences pédagogiques se développe aussi, ajoute le sociologue Serge Guérin : « Cette compétence peut s’intégrer à leurs qualifications. Le tuteur peut aussi être remercié par une meilleure progression dans sa carrière. » Même analyse pour Rodolphe Delacroix, consultant spécialisée chez Towers Watson, qui ajoute que « le tutorat fait parfois partie des objectifs évalués dans l’entretien annuel du salarié. Il peut susciter de nouvelles responsabilités, voire une nouvelle carrière ». Il constate que certaines DRH proposent aussi aux tuteurs les plus pédagogues une mobilité vers les équipes de formateurs de l’entreprise.

Professionnalisation

La formation des tuteurs se professionnalise avec le recours aux Opca. Elle dure généralement de deux à cinq jours. « Il s’agit surtout de prendre conscience des spécificités des jeunes et d’apprendre à se situer dans la relation tuteur-tutoré, indique Rodolphe Delacroix. Il n’est pas facile de trouver la bonne distance. Le tuteur n’est ni un supérieur hiérarchique ni un professeur. »

« Une vraie compétence relationnelle s’avère nécessaire pour transmettre une compétence technique, surtout lorsqu’on accueille des jeunes en difficulté, commente Catherine Larrère, responsable du développement RH à Spie. Chez nous, les seniors constituent plus de la moitié des 300 tuteurs. Cette formation les aide à mieux comprendre ce public qui a des problèmes de discipline et des difficultés sociales et qui nécessite des trésors de patience. Pour les aider, nous mobilisons aussi nos fonctions support. Avec cette collaboration étroite, nous arrivons souvent à de bons résultats. »

Transmission de savoir-être

Le tuteur ne transmet pas seulement des compétences techniques : il aide aussi le jeune à adapter son comportement aux contraintes de l’entreprise. Au Club Med, « les seniors participent activement au tutorat des jeunes dans les villages vacances et leur transmettent les valeurs essentielles ainsi que les astuces pour créer une bonne atmosphère parmi les vacanciers. C’est aussi une transmission de savoir-être », explique David Rohmer, directeur des affaires sociales.

« Mais tous les seniors ne sont pas faits pour être tuteurs, rappelle Serge Guérin. Il faut posséder une bonne capacité d’écoute, éviter le paternalisme, laisser de l’autonomie, répondre aux sollicitations plutôt que donner des consignes… tout un art ! »

Les formations délivrées ne répondent pas toujours aux besoins. « Pour les seniors qui ont déjà fait du tutorat, elles sont superflues, remarque Tiphaine Garat. Ces salariés préféreraient certainement avoir une charge de travail diminuée pour passer plus de temps pédagogique avec le tutoré. » Pour Patrick Conjard, chargé de mission à l’Anact, le senior a plutôt besoin d’être aidé dans la conception d’un parcours pédagogique, qui décomposera les différentes étapes d’un geste de travail ou d’une technique difficile. Ce type de préparation reste encore l’apanage des sites les plus innovants.

Tutorat inversé

L’autre nouveauté consiste à miser sur l’apport mutuel entre jeune et tuteur, qui développe, à l’image du centre d’appels Euro CRM, le tutorat inversé. Les jeunes deviennent des tuteurs pour les seniors et les aident dans l’acquisition des nouvelles technologies. Même philosophie à KP1 où, tandis que les seniors livrent tous les secrets de la fabrication d’un bon béton, les jeunes apprennent à leurs tuteurs à manier les commandes “joystick” des nouvelles machines.

Mais ce tutorat senior prend aussi d’autres formes : il peut concerner plusieurs jeunes en même temps ou même s’adresser à d’autres publics comme… les seniors. « Cela permet de rassurer un salarié âgé, très inquiet face à de nouveaux outils technologiques. Si un autre senior y est arrivé, pourquoi pas lui ? », assure Natacha Pijoan.

Mais ne rêvons pas. Tous les experts sont formels : le tutorat reste largement l’apanage des quadragénaires dans l’entreprise. Il n’est pas non plus l’outil idéal pour maintenir dans l’emploi des seniors fatigués. Néanmoins, il contribue à leur remotivation. « C’est une fonction valorisante, constate Catherine Larrère. À Spie, le tuteur peut recevoir 1 300 euros si le jeune qu’il a formé est embauché. Mais, il n’y a pas que la prime. Il y a aussi une forme de fierté à voir son apprenti réussir dans l’entreprise. »

Le tutorat senior crée également une dynamique de coopération : « Après plusieurs visites d’entreprises, j’ai constaté qu’il améliore bien souvent aussi le climat social en créant des liens entre les générations », conclut Natacha Pijoan.

L’ESSENTIEL

1 Trois ans après les accords et plans seniors, rares sont les entreprises impliquées dans le développement du tutorat pour les seniors.

2 Le temps libéré, la reconnaissance et la formation sont essentiels pour susciter des vocations.

3 Ces expériences pourront inspirer le contrat de génération qui doit être négocié à la mi-juillet.

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES