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« Le mode de rémunération joue un rôle faible dans la motivation »

Enjeux | publié le : 05.06.2012 | LAURENCE LAFOSSE

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« Le mode de rémunération joue un rôle faible dans la motivation »

Crédit photo LAURENCE LAFOSSE

L’individualisation des systèmes de rémunération s’est généralisée mais ne produit pas nécessairement d’effets positifs sur la motivation des salariés. Pour être efficace, la rémunération de la performance individuelle doit s’accompagner de pratiques managériales cohérentes.

E & C : Comment avez-vous étudié les effets de l’individualisation des rémunérations sur la motivation des salariés ?

Patrice Roussel : La modernisation des pratiques managériales a conduit à une individualisation des systèmes de rémunération, qui a produit des effets positifs comme négatifs. En étudiant l’impact de cette individualisation sur la motivation des salariés et en croisant cette étude avec d’autres pratiques, nous avons pu en mesurer les effets. Cette tendance à l’individualisation des rémunérations s’est généralisée et s’étend maintenant au secteur public. Avec Amar Fall, un doctorant du CRM-CNRS à Toulouse 1, nous avons examiné courant 2010 les effets différenciés de ces pratiques sur la motivation dite autonome, celle qui conditionnerait le lien entre le bien-être et l’efficacité au travail. L’étude a été conduite sur deux échantillons, l’un de salariés d’une même entreprise, l’autre issu de salariés d’entreprises et de secteurs différents. Nous avons ensuite fusionné les deux échantillons pour étudier une population de 1 050 salariés, avec pour profil 42 % de cadres ; 60 % âgés de moins de 36 ans, avec une ancienneté à 75 % inférieure à dix ans. Nous nous sommes appuyés sur la récente théorie de la motivation par autodétermination élaborée par les psychologues américains Deci et Ryan. Cette théorie distingue la motivation autonome de la motivation contrôlée. La première est animée par le plaisir, l’osmose ressentie et l’importance accordée au travail indépendamment de facteurs incitatifs et/ou coercitifs extérieurs. La motivation contrôlée est produite par des facteurs contextuels : les rémunérations, l’évitement de sanctions financières et sociales, le sentiment de fierté ou l’évitement du sentiment de culpabilité vis-à-vis de soi-même ou des autres.

E & C : Quels ont été vos premiers constats ?

P. R. : On constate que 43 % des répondants se disent motivés de façon autonome et 12 % par les récompenses ou l’évitement de sanctions financières. En définitive, le mode de rémunération joue un rôle faible dans la motivation au travail : 6 % à 8 % des variations de la motivation sont imputables au système et au montant des rémunérations.

E & C : À quelles conditions l’individualisation des rémunérations peut-elle motiver ?

P. R. : L’enquête montre que les récompenses financières ont peu d’impact si elles ne s’accompagnent pas de reconnaissance symbolique et de pratiques managériales adéquates de la part des supérieurs hiérarchiques. L’individualisation des rémunérations est deux fois moins efficace là où la culture d’entreprise et le management ne s’y prêtent pas, c’est-à-dire là où l’on mise sur la motivation autonome. Dans ce cas, l’individualisation doit s’accompagner d’un management fondé sur l’équité, la reconnaissance, le feed-back, l’autonomie, le développement de l’appartenance sociale. De même, là où domine la motivation contrôlée, la culture et le type de management doivent intégrer ces pratiques, au risque de subir l’effet contraire, la démotivation. Nous observons que les salariés sous motivation contrôlée sont deux fois plus sensibles à l’absence d’augmentation ou de prime. Or, pour Deci et Ryan, cette situation les prédispose à une détérioration de leur bien-être au travail. Le message de cette enquête est clair : la rémunération de la performance, quelle qu’en soit la forme, doit s’accompagner de pratiques managériales cohérentes.

E & C : Quelles seraient les conditions pour que l’individualisation soit possible dans le secteur public ?

P. R. : Il faut qu’un certain nombre de conditions soit réuni : le sentiment d’équité par rapport au montant de la rémunération (augmentations, primes) et par rapport aux procédures d’évaluation (outils, mode de décision), le sentiment d’équité interactionnelle (relations justes et respectueuses entre managers et managés), la pratique de feed-back ou l’explication a posteriori de l’évaluation des performances et des compétences.

La reconnaissance symbolique qui accompagne la rémunération est en effet un élément important et doit provenir de tous les niveaux : direction, supérieurs, collègues… L’individualisation des rémunérations doit être associée à un certain degré d’autonomie dans le travail, qui favorise la motivation et réduit le sentiment d’être contrôlé. Enfin, l’appartenance sociale à un groupe est également un facteur déterminant ; la rémunération individualisée doit reconnaître la valeur d’une personne dans sa contribution à l’efficacité d’une équipe ou d’un service.

E & C : Le management intermédiaire est-il suffisamment préparé à pratiquer l’individualisation ?

P. R. : Dans bon nombre d’organisations, les managers de proximité ont avant tout une formation d’ingénieurs, de juristes, d’économistes, etc., et sont rarement formés pour assumer cette tâche. Or la qualité du management pour accompagner cette individualisation des rémunérations se pose. Les grands groupes notamment devraient s’assurer que ces managers sont bien préparés et en comprennent l’enjeu, car ils ont ici un rôle charnière à jouer. La solution se trouve aussi dans la valorisation du collectif de travail – grâce à des primes de performance d’équipe – accompagnée d’une évaluation individuelle qui tienne compte de la contribution à l’efficacité collective.

À travers la mesure d’appréciation du personnel dans le cadre des entretiens annuels, nous avons notamment travaillé sur la notion de « performance contextuelle », entendue comme mesure de la contribution à la performance collective. Jusqu’à présent, l’appréciation se limitait aux objectifs et à la tâche. La rémunération de ces compétences est un système de pilotage intelligent et prometteur de la performance individuelle.

PARCOURS

• Patrice Roussel est directeur du Centre de recherche en management (CRM) à l’université Toulouse 1-Capitole. Docteur en sciences de gestion, il dirige le master management des ressources humaines de l’IAE de Toulouse.

• Il a notamment codirigé, avec Jean-Michel Lattes et Philippe Lemistre, Individualisation des salaires et rémunérations des compétences (Economica, 2007), et avec Jacques Rojot et Christian Vandenberghe, Comportement organisationnel, vol.3 : théories des organisations, motivation au travail, engagement organisationnel (De Boeck, 2009).

LECTURES

• Comportement humain et Organisation, C. de Billy, J.-G. Hunt, R.-N. Osborn et J.-R. Schermerhorn, Pearson Education, 4e édition, 2010.

• D’art D’Art !, Frédéric et Marie-Isabelle Taddeï, volume 2, Éditions du Chêne, 2010.

• La Malédiction des Trencavel, Bernard Mahoux, Éditions Aubéron.

Auteur

  • LAURENCE LAFOSSE