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LE MANAGEMENT DE LA SUCCESSION se professionnalise

Pratiques | publié le : 29.05.2012 | CHRISTIAN ROBISCHON

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LE MANAGEMENT DE LA SUCCESSION se professionnalise

Crédit photo CHRISTIAN ROBISCHON

Sujet éternel en entreprise, mais rendu plus stratégique et complexe par le papy-boom et la guerre des talents, le remplacement des détenteurs de postes clés s’est largement formalisé depuis une dizaine d’années. La gestion poste par poste laisse place à une politique globale de succession tournée vers la recherche de compétences en interne.

Départ en retraite de la génération du baby-boom, “guerre des talents” qui accentue la concurrence entre employeurs à la recherche de remplaçants : la succession des détenteurs de fonctions clés est devenue un sujet RH à part entière ces cinq à dix dernières années. « Sa gestion au jour le jour, poste par poste, pouvait à la rigueur se concevoir dans un environnement économique stable. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Elle fait place à une politique globale qui privilégie la recherche en interne du successeur, de façon à la mener le plus en amont possible », observe Laurence Pintenat, consultante senior chez DDI France.

L’approche a radicalement changé : « Fini, l’application mécanique très top down d’un plan de succession, dont la caricature était le “Cher ami, vous avez été choisi pour diriger la filiale au Brésil, félicitations, vous commencez dans quinze jours”. La personne concernée est désormais mise en condition et accompagnée bien à l’avance et elle est écoutée », relève Frank Bournois, professeur des universités à Paris 2.

0,5 % à 2 % des effectifs

Selon les différents consultants, experts et entreprises contactés, le sujet se concentre sur la succession de 0,5 % à 2 % des effectifs constituant le top management, avec parfois un élargissement à des fonctions de niveau hiérarchique moindre, mais de haute expertise technologique. Il est aujourd’hui l’apanage des grands groupes ; difficile de prédire s’il se diffusera aux entreprises de taille inférieure. « Il consiste à anticiper et à structurer au maximum la réponse à la question : qui peut remplacer qui, à quelle échéance et selon quel plan de développement des compétences ? » résume Fanny Potier-Koninckx, responsable du management des talents chez Towers Watson France.

Constituer un vivier

Pour identifier les postes à remplacer, les entreprises bâtissent des plans de succession (ou organigrammes de remplacement) qui obéissent à une mécanique désormais bien huilée, dans une version approfondie de la GPEC. « Tout le monde utilise peu ou prou les mêmes outils, ce n’est pas là que se fait la différence entre employeurs », estime Jean-Claude Le Grand, directeur du développement international des RH de L’Oréal.

Le point dur tient en revanche à la constitution du “vivier”, ce “réservoir” interne de cadres dont le potentiel leur permet de prétendre monter jusqu’aux tout derniers échelons hiérarchiques. Quelles compétences posséder ? Elles dépassent le cadre technique pour intégrer le champ des comportements : esprit entrepreneurial, capacité à produire une vision stratégique, conduite du changement, travail collectif et capacité d’entraînement de son équipe vers le haut (l’empowerment), faculté de synthèse d’informations de sources multiples, sang-froid face à la complexité, etc.

Cette détection requiert temps et méthode. DDI préconise pas moins de sept étapes, qui comprennent la définition des objectifs d’entreprise que sous-tend le plan de succession, l’identification des personnes disposant des qualités prérequises difficiles à forger dans un programme de formation, le plan de développement passant par formations, coaching et changements d’affectation (responsabilité au siège après la direction d’une filiale, poste à l’étranger…).

Le cabinet Progress retient également une approche step by step. « Point de départ, la définition de la stratégie d’entreprise est essentielle : le profil de futurs dirigeants sera différent selon que la priorité va à l’internationalisation, à la diversification ou, à l’inverse, au recentrage sur le cœur de métier, à la réponse à l’ouverture de son secteur à la concurrence, etc. », indique Frédérique Deriquehem, associée chez Progress.

85 % des dirigeants de GDF-Suez recrutés en interne

GDF-Suez a formalisé depuis 2009 un ? programme qui a fait passer en deux ans de 50 % à 85 % la part de ses dirigeants recrutés en interne. Le groupe procède en 3 étapes pour trouver puis faire monter des leaders for tomorrow (LFT), aujourd’hui au nombre de 2 660 pour 750 postes de dirigeants – ce ratio d’environ 1 pour 3 se retrouve d’un employeur à l’autre. Au premier stade, les 1435 LFT3 ont été détectés par les responsables et DRH d’unités. Grâce à l’observation au quotidien, ces derniers ont rempli une fiche d’appréciation du potentiel où ils ont exprimé un avis sur la capacité des personnes à remplir les cinq critères du référentiel de compétences propre à GDF-Suez ; 952 autres hauts potentiels sont passés LFT2 après une nouvelle phase d’évaluation, validée à l’échelon supérieur de la direction de l’une des six divisions du groupe. Enfin, 185 se trouvent au dernier stade LFT1 après leur passage réussi dans un assessment center collectif, dans leur langue et leur pays d’origine, et la rencontre avec deux dirigeants. Le comité de management des carrières, réuni 3 fois par an, rend alors son verdict. Un quatrième vivier de 90 personnes, les Global LFT, suit un parcours accéléré compte tenu de leur capacité d’apprentissage jugée particulièrement élevée. « Hors ce dernier cas, nous considérons qu’il faut dix à quinze ans pour forger un haut dirigeant. Il est donc nécessaire de les fidéliser. Chaque étape du parcours LFT s’accompagne d’une prise de responsabilité supplémentaire », observe Martine Gavelle, directrice du développement des talents.

46 nationalités et 25 % de femmes

Le processus est aussi facteur de diversité, selon GDF-Suez : 46 nationalités sont représentées dans les LFT, qui comptent 25 % de femmes avec l’objectif de monter à 35 % en 2015.

Le recours aux outils classiques d’évaluation (méthode 360 degrés, tests psychométriques…) n’est pas généralisé. Par exemple, L’Oréal ne fait pas appel à un assessment center : « Nos tests et nos moyens de confirmer une impression, c’est l’observation en permanence, au quotidien, par les managers de terrain, de la manière d’agir d’un haut potentiel. Sur un tel sujet, mieux vaut rester pragmatique », considère Jean-Claude Le Grand.

De même, l’appui sur une solution informatique reste à cantonner à sa juste mesure, comme le reconnaît Patrice Barbedette, vice-président ventes stratégiques Europe chez Taléo, qui a mis au point un outil de ce type : « Notre produit est une aide à la décision, mais pas ce qui fait prendre la décision. On reste dans l’humain ! Il compile les données sur les profils, les évaluations, les expériences pour garantir au maximum qu’aucun talent ne sera oublié, même s’il est à l’autre bout du globe. »

Le management de succession conserve ses limites. « Il se dilue souvent entre des services cloisonnés les uns par rapport aux autres. Il se heurte à la difficulté de trouver un langage commun sur les critères d’un pays ou d’une division d’entreprise à l’autre. La culture de rechercher un successeur de gré à gré ou par l’activation de son réseau de connaissance demeure ancrée. Et de nombreux managers de proximité restent réticents à se séparer de leurs talents », note Fanny Potier-Koninckx. Pour éviter ce dernier écueil, les entreprises multiplient les efforts de communication interne vers les managers, et ils s’appuient sur l’implication de leurs plus hauts dirigeants : Gérard Mestrallet à GDF-Suez, comme Jean-Paul Agon à L’Oréal, participent aux comités de carrière désignant les plus hauts managers. « Personne n’est propriétaire du talent de ses collaborateurs. Et contribuer au développement d’un talent doit faire partie des critères de performance d’un manager », estime Martine Gavelle pour GDF-Suez.

Matière peu objectivable, le management de la succession invite à l’humilité. « L’objectif est de se tromper le moins possible. Dans ce domaine comme dans d’autres, le risque zéro n’existe pas », souligne Frédérique Deriquehem.

« Si un manager n’a plus le ré-flexe de briefer un chasseur de têtes sur son propre réseau ou qu’il n’attend pas trois mois le successeur à un poste clé grâce à notre structure interne de gestion des talents, c’est déjà un succès », ajoute Jean-Claude Le Grand.

L’ESSENTIEL

1 Le management structuré de la succession concerne jusqu’à 2 % des effectifs, il reste aujourd’hui l’apanage des groupes.

2 Constituer le vivier interne des successeurs est une opération plus complexe que la simple identification des postes dans des organigrammes de remplacement, largement standardisés.

3 Les entreprises définissent pour cela les compétences comportementales décisives à faire progresser sur plusieurs années dans un plan de développement qui confie des responsabilités de plus en plus grandes au candidat.

Safran envoie ses hauts potentiels en université interne

Pour développer les compétences de ses futurs dirigeants dont il a détecté le potentiel à travers ses différents comités de carrière, le groupe Safran recourt aux services de son université interne. Créée il y a un an et demi à l’attention de l’ensemble de ses salariés, elle se répartit sur 3 sites : en région parisienne, à Dallas et à Pékin. Chaque année, 250 à 300 cadres suivent le MDP (Management Development Program), un ensemble de formations terrain et en salle sur la connaissance du groupe et le management-leadership, décomposé en 3 niveaux.

« Ces formations s’imbriquent dans la gestion de carrière des cadres dirigeants. Le premier niveau MDP se déroule vers l’âge de 30-35 ans, le second intervient autour de 40 ans pour se préparer à occuper des fonctions dans le comité de direction de l’une des sociétés du groupe, le troisième fait postuler aux 25 plus hauts emplois du groupe. À chaque étape, les participants élaborent des recommandations sur un sujet stratégique pour Safran. Leur rapport constitue un élément clé de leur évaluation », précise Gilbert Font, directeur de l’université Safran.

Auteur

  • CHRISTIAN ROBISCHON