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Pratiques

Un dialogue social à restaurer

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 15.05.2012 | MARTINE ROSSARD

Un an après le suicide d’un inspecteur du travail dans les locaux du ministère, les inspecteurs et contrôleurs continuent de dénoncer leurs conditions de travail. Les syndicats déplorent la perte de sens de leur mission en raison notamment d’objectifs chiffrés sans lien avec la réalité de terrain.

Suicide d’un inspecteur du travail, le 4 mai 2011, dans les locaux mêmes de son administration centrale à Paris. Même geste pour un inspecteur du Nord, le 18 janvier 2012, après une première tentative. Comment des fonctionnaires chargés de prévenir la souffrance au travail ont-ils pu en arriver là ? Pour leurs syndicats, la surcharge d’activité, les objectifs imposés, les entretiens d’évaluation, la perte de sens du travail, le délitement du collectif… expliquent ces drames. Une analyse confortée par des “cahiers de doléances” adressés fin 2011 au ministère du Travail par des inspections de toute la France. « On parle plus de chiffres que de contenu », « on dév - alorise les agents et leur travail », peut-on y lire.

Traumatisme

La colère a culminé, en début d’année, chez les inspecteurs et contrôleurs du travail face à une administration réticente à identifier les suicides de leurs collègues comme accidents du travail. « L’administration aurait pu reconnaître directement les accidents de service, mais elle a fait appel aux commissions de réforme* où ses représentants se sont abstenus : c’est traumatisant », dénonce Lydia Saoula, de la FSU, qui siège dans ces commissions. « Notre collègue du Nord serait peut-être encore en vie si sa tentative de suicide avait été rapidement imputée au service », renchérit Pierre Joanny, de SUD Travail.

« Nous avions accepté la mutation de cet inspecteur, déclenché une enquête et commencé à élaborer, pour la région Nord, un plan de prévention des risques psychosociaux », plaide Joël Blondel, directeur de l’administration générale et de la modernisation des services (Dagemo). Un plan d’action sur le sujet est en cours de discussion avec le CHSCT au niveau national. « Nous recensons les bonnes pratiques - actions de formation, réunions entre agents, travail sur le métier, diagnostics locaux - pour mieux prévenir ces risques », ajoute-t-il.

De multiples tâches de reporting

La Direction générale du travail (DGT) assure que le recrutement de nouveaux agents de contrôle, y compris pour des équipes d’appui, a permis de rejoindre la moyenne européenne en termes d’effectifs rapportés au nombre d’entreprises et de salariés couverts. Mais le nonremplacement d’un départ à la retraite sur deux crée de fortes tensions, surtout chez les employés. « Nous avons perdu des agents de catégorie C alors que nous devons désormais saisir toutes nos actions sur le logiciel Cap Sitère, ce qui est chronophage, proteste Lydia Saoula. On nous demande de réaliser 200 visites d’entreprise par an sans tenir compte du terrain. On nous fixe des objectifs sur certains contrôles sans souci du qualitatif. » L’inspecteur Gérard Filoche (CGT), récemment parti à la retraite, tempète contre ce « reporting » incessant : « Contrôler la sécurité d’une entreprise, ce n’est pas compter le nombre d’extincteurs ! »

« Abandon immédiat de tous les objectifs chiffrés », réclamaient en avril CGT, FO, FSU et SUD tout en fustigeant « la dévalorisation et la déstabilisation des agents ». Au cœur des critiques, les entretiens d’évaluation désormais en vigueur dans la fonction publique. Plusieurs syndicats ont appelé au boycott en dénonçant l’individualisation des rémunérations et des avancements. Pour SUD Travail, il s’agit d’une « cotation » et d’une démarche « disciplinaire », facteur d’angoisse et d’assujettissement. « Après le temps du harcèlement moral, voici venu celui du stress généralisé, du soupçon et de l’hyper-concurrence », écritil. Sans compter les sanctions : nonremboursement de frais de déplacement, retrait d’une part variable de primes. « J’ai personnellement perdu 5 000 euros environ, confie Gérard Filoche : on me reprochait notamment de trop m’exprimer dans les médias. » Ces entretiens, précise pourtant le ministère du Travail, doivent être centrés sur « une appréciation qualitative de la manière de servir des agents et être l’occasion d’un échange privilégié ». Le ministère a par ailleurs chargé Patrick Quinqueton, conseiller d’État, et Jean-Dominique Simonpoli, ancien dirigeant CGT et responsable de l’association Dialogues, d’une mission pour restaurer le dialogue social boycotté depuis plusieurs mois par les syndicats. Ces derniers rappelleront l’indépendance du corps d’inspection du travail gravée dans la convention 81 de l’OIT. Ils jugent celle-ci mise à mal par les agressions et les mises en cause patronales, trop peu condamnées à leurs yeux par les pouvoirs publics.

Mutualisations et réorganisations

Leur indépendance serait aussi remise en cause par les mutualisations et les réorganisations, notamment la mise sous tutelle des Direccte (Directions générales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) « plus orientées vers l’économie que vers le social ». Pour être entendus, les agents de contrôle attendent beaucoup des changements à la tête du ministère du Travail.

* Les commissions de réforme statuent sur l’imputabilité au service (au travail) des accidents et maladies.

DES EFFECTIFS EN HAUSSE MAIS EN DEÇÀ DE L’OBJECTIF

Entre 1983 et 2010, le nombre de sections d’inspection du travail a évolué de 421 à 785, dont 171 issues de la fusion avec les inspections des Transports et de l’Agriculture. Le nombre des agents de contrôle a doublé, de 1 240 à 2 257, compte tenu de 632 recrutements dans le cadre du plan de modernisation et de développement de l’inspection du travail. La DGT comptait, fin 2010, 2 133 agents de contrôle équivalents temps plein, soit 82 % de l’effectif cible de 2 595 postes.

Auteur

  • MARTINE ROSSARD