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COMMENT REDUIRE LE RECOURS AU TEMPS PARTIEL SUBI

Enquête | publié le : 15.05.2012 | ÉLODIE SARFATI, CHRISTELLE MOREL

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COMMENT REDUIRE LE RECOURS AU TEMPS PARTIEL SUBI

Crédit photo ÉLODIE SARFATI, CHRISTELLE MOREL

Dans un tiers des cas, le temps partiel est subi par les salariés concernés, majoritairement des femmes. Intégré dans le fonctionnement de certaines activités de services, il n’est pourtant pas une fatalité?: des entreprises revoient leur organisation pour permettre à ces salariés d’accéder au temps plein. Elles-mêmes y trouvent bien souvent leur intérêt.

Des contrats de travail de 120 heures par mois minimum et quelques passages à temps plein pour les sous-traitantes, un engagement à favoriser le temps complet plutôt que des créations de plusieurs postes à temps partiel… Telles sont quelques-unes des garanties qu’ont obtenues les femmes de chambre de l’hôtel Campanile de Suresnes (92) en avril dernier, après un mois de grève. Ce n’est pas un hasard : l’hôtellerie-restauration fait en effet partie de ces secteurs du tertiaire où le temps partiel est particulièrement développé. Il concernait, en 2010, 23 % des salariés de la branche, dont 40 % disaient leur souhait de travailler plus. Dans l’ensemble du secteur privé, 16 % des salariés – et 30 % des femmes actives – sont employés à temps partiel. S’il procède parfois d’un choix des personnes, il est tout de même subi dans 30 % des cas.

Main-d’œuvre flexible

« Le temps partiel, dans les secteurs où il s’est développé, permet aux entreprises de disposer d’une main-d’œuvre flexible, peu coûteuse et disponible, explique Frédéric Rey, chercheur au laboratoire Lise (Cnam-CNRS), coauteur d’une étude sur le temps partiel(1). Ce sont des branches, notamment le commerce ou l’hôtellerie-restauration, où l’activité est étroitement dépendante de la fréquentation de la clientèle, et où la question du coût du travail est centrale. » Il s’agit d’adapter exactement les effectifs aux “pics” d’activité. Ce sont aussi des entreprises dans lesquelles « l’organisation du travail rend difficile la juxtaposition d’heures pour atteindre des temps complets, comme les services à la personne ou la propreté », ajoute Sylvie Brunet, consultante et vice-présidente de la délégation du droit des femmes au Cese. Entrent également en jeu des représentations bien ancrées : en 2010, une enquête de Cegos montrait que seuls 14 % des DRH estimaient que le temps partiel était subi plutôt que choisi, contre… 43 % des femmes.

Qu’il soit choisi ou imposé, le temps partiel entraîne des inégalités fortes, qu’il s’agisse d’évolution de carrière ou de salaire, de droits à la retraite ou d’accès à la protection sociale. La moitié des salariés à temps partiel perçoivent un salaire inférieur à 800 euros net par mois. Lorsqu’il est subi, il est bien souvent synonyme de précarité. Rémy Caveng, maître de conférences à l’université de Picardie, l’a observé dans les instituts de sondage(2), où « les salariés en CDI travaillent en général à mi-temps ou tiers temps, pour couvrir l’activité annuelle minimum. Puis les employeurs proposent des heures supplémentaires qui s’ajoutent au dernier moment et que les salariés acceptent, car ils en ont besoin pour vivre. Mais cela les empêche de trouver un deuxième emploi. À ce titre, ils sont dans des situations de dépendance, plus encore que pour les enquêteurs en CDD d’usage ».

Autant de raisons pour lesquelles, depuis plusieurs années, des voix s’élèvent pour encadrer plus strictement le travail à temps partiel. Déposée en 2011 par des députés de gauche, une proposition de loi prévoyait, entre autres, de majorer les cotisations des entreprises comptant plus de 25 % de salariés à temps partiel. Elle a été rejetée en première lecture.

En juin dernier, un rapport de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, présidée par Marie-Jo Zimmermann (députée UMP), faisait plusieurs préconisations : obligation pour l’employeur de justifier un recrutement à temps partiel et de surcotiser pour l’assurance vieillesse, majoration des heures complémentaires dès la première heure dépassant la durée du contrat (et non au-delà de 10 %), ou encore introduction d’une durée légale minimale de temps de travail à 20 heures hebdomadaires.

Éviter les dérives

Pour la délégation aux droits des femmes du Cese, d’autres mesures pourraient d’ores et déjà être prises au niveau des entreprises pour éviter les dérives liées aux temps partiels subis. « Elles peuvent faire le bilan des temps partiels, acter dans les accords la priorité d’accès sur des postes à temps plein, prévoir des durées hebdomadaires minimales et l’amélioration des rémunérations des salariés concernés, en particulier quand ils ont des horaires décalés, réfléchir à des organisations qui permettent d’augmenter le temps de travail… », égrène Sylvie Brunet. À Buffalo Grill, « on s’interdit de recruter des salariés à moins de 20 heures hebdomadaires, quand ils n’ont pas droit à la sécurité sociale par ailleurs », indique Hervé L’Homme, le DRH. Un principe acté dans un accord de juillet 2011 : « Nous nous étions aperçus que certains salariés cotisaient à la mutuelle, obligatoire, alors que leur nombre d’heures ne leur ouvrait pas de droits à la sécu. »

Dans les secteurs où le temps partiel est très développé, des entreprises ont cherché des mécanismes pour réduire les temps partiels contraints. Depuis 2008, la convention collective de la grande distribution fixe une durée minimale des contrats à 25 heures par semaine, et institue la polyactivité comme levier vers le temps complet (lire page 27). Le groupe d’habillement Inditex propose d’affecter ses salariés dans plusieurs magasins (lire page 28).

Adoption du temps choisi

Dirigeante d’une PME de services à la personne, La Fée Services, Jessica D’antuoni a adopté le principe du temps choisi pour sa trentaine de salariées, dont un quart a opté pour le temps plein : « Nous établissons les plannings en fonction des souhaits exprimés par les personnes au moment de leur embauche. Il faut jongler, les remplacements sont plus compliqués à organiser, mais il n’y a pas de frustrations de salariées qui voudraient travailler davantage. »

Des services en fonction des compétences

Dans la propreté, certaines entreprises tentent de développer les prestations en journée pour éviter les horaires trop courts et très fractionnés (lire page 25). « Nous essayons aussi de développer des prestations associées?; par exemple dans les hôpitaux, le personnel de nettoyage peut s’occuper de la distribution des repas », ajoute Bertrand Castagné, président de la commission sociale de la Fédération des entreprises de propreté. Un principe que Sani, entreprise de propreté alsacienne, a appliqué pendant quelques années, avant d’être durement touchée par la crise : « Nos salariés ont souvent exercé d’autres métiers avant de venir chez nous, explique Jean Durrenberger, le dirigeant. Nous avions créé des filiales de services en fonction de leurs compétences (services à la personne, décoration florale, etc.) et les salariés étaient mis à disposition dans ces différentes structures de façon à compléter leur temps de travail. Cette politique nous a fait passer de 40 % de temps plein à 60 % et a entraîné une meilleure rémunération des salariés, basée sur ces différentes qualifications. La crise nous a obligés à fermer ces structures et à faire un PSE. Mais nous continuons à proposer à nos clients d’intervenir ponctuellement sur d’autres prestations de base (peinture, travaux d’espaces verts…), ce qui fait que nous avons maintenu ce volume de temps plein. »

Le temps plein : stabilisateur d’équipes

Aussi flexible soit-il, le temps partiel n’est pourtant pas exempt d’inconvénients pour les employeurs. « Certains managers pensent que la personne doit entrer dans le poste et accepter les contraintes horaires. C’est un mauvais calcul : imposer le temps partiel à une personne qui n’en veut pas, c’est prendre le risque qu’elle pose problème ou qu’elle parte. Si je veux stabiliser les équipes, j’ai intérêt à ce que ce soit des temps pleins », reprend Hervé L’Homme. Pas inutile, dans un secteur en tension comme la restauration. Et ces politiques sont payantes : « Certains intervenants s’adressent à moi, car ils ont entendu que je pouvais recruter à temps plein, alors que dans leur structure, on ne leur donne pas cette chance », témoigne Jessica D’antuoni.

Baisses du turnover et de l’absentéisme sont unanimement reconnues comme des effets mécaniques des politiques de lutte contre le temps partiel contraint, les salariés pouvant plus facilement envisager de rester dans l’entreprise. « Ils sont mieux intégrés dans les collectifs de travail, et davantage impliqués », résume Sylvie Brunet. De ce fait, « on investit davantage en formation sur les personnes à temps plein », reconnaît Bertrand Castagné.

Une législation de plus en plus rigide

Même en termes de gestion de la main-d’œuvre, les entreprises ont parfois plus intérêt à utiliser des contrats à temps complet. « Nous avons un travail de pédagogie à réaliser pour faire comprendre qu’il est plus confortable pour tout le monde que les salariés travaillent au maximum à temps complet, d’autant que l’annualisation et la modulation permettent d’introduire une certaine flexibilité », souligne Roland Héguy, président de l’union des métiers de l’industrie de l’hôtellerie (Umih). Un constat que partagent, dans leur étude, les chercheurs du Lise : « Au fil des années, la législation sur les temps pleins est devenue plus souple, tandis que, comparativement, celle sur les temps partiels s’est rigidifiée. Le temps partiel n’est donc plus l’outil de flexibilisation idéal, décrypte Frédéric Rey. Dans les entreprises où le passage à temps complet est assorti d’une variation des tâches, comme avec la polyactivité, on voit ce transfert des logiques d’usage de la flexibilité, de l’emploi vers le contenu du travail, qui commence à s’opérer. Nous faisons l’hypothèse que ce phénomène va se développer. » L’enjeu sera alors de ne pas remplacer une contrainte, celle des temps partiels subis, par une autre, celle de l’intensification du travail, pour des personnes souvent employées sur des métiers pénibles.

(1) “Les nouvelles régulations du temps partiel”, avec Jennifer Bué et Dominique Roux-Rossi, juin 2011.

(2) Auteur de Un Laboratoire du “salariat libéral”. Les instituts de sondage, éd. du Croquant, 2011.

L’ESSENTIEL

1 En 2011, 16 % des salariés travaillaient à temps partiel, dont 80 % de femmes ; ces contrats réduits sont subis dans un cas sur trois.

2 Certaines entreprises repensent leur organisation du travail pour permettre aux salariés volontaires de compléter leur temps de travail.

3 Ces politiques impliquent une gestion plus complexe des plannings mais elles contribuent à réduire le turnover et l’absentéisme.

HEURES SUPPLÉMENTAIRES : PAS D’EXCEPTION POUR LES TEMPS PARTIELS

Fin 2010, la Cour de cassation a mis un coup d’arrêt à la pratique des avenants temporaires. Prévus dans plusieurs conventions collectives, comme celle de la propreté, ces avenants permettent à l’employeur de proposer à des salariés à temps partiel d’augmenter, provisoirement, leur temps de travail. Problème : ces heures complémentaires travaillées ne sont pas majorées. C’est ce qu’a sanctionné la haute cour, qui a estimé que les majorations d’heures supplémentaires ne peuvent être inférieures à ce que prévoit la loi.

En matière de temps partiel, la justice « est très rigoureuse », observe Michel Miné, professeur de droit du travail au Cnam. Elle regarde de près notamment le principe selon lequel tout dépassement du temps de travail pendant 12 semaines sur une période de 15 semaines entraîne la requalification de la durée du travail prévue au contrat. En 2008, la Cour de cassation avait même estimé que l’obligation pour une entreprise de proposer des postes à temps plein en priorité aux salariés à temps partiel occupant des fonctions similaires s’appliquait, même s’il s’agit de proposer un poste en CDD à un salarié en CDI.

Pour autant, la loi elle-même n’est pas dans les clous du droit européen, poursuit Michel Miné, « car elle ne prévoit aucune majoration pour les heures travaillées en deçà de 10 % de la durée inscrite dans le contrat.

Or, dans une décision de 2007, le juge européen a relevé que les taux ne pouvaient être différents entre les salariés à temps partiel et ceux à temps plein ».

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI, CHRISTELLE MOREL