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Reclassement : les devoirs de la société mère

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 15.05.2012 |

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Reclassement : les devoirs de la société mère

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Il est courant qu’une société mère française emploie pendant quelques mois, voire quelques semaines seulement, un salarié avant qu’il ne parte travailler à l’étranger pour le compte d’une filiale.

Ce type d’embauche, s’il peut paraître anodin, n’est pas sans conséquences, la jurisprudence récente de la Cour de cassation faisant peser sur la société mère des obligations de plus en plus lourdes, alors même que l’embauche n’a parfois été réalisée que pour des raisons de commodités administratives.

Examinons les choses de plus près. L’article L.1231-5 du Code du travail prévoit, lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, que la société mère doit assurer son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procurer un nouvel emploi « compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein ».

Pendant longtemps, cette obligation de rapatriement et de réintégration supposait une relation de travail effective et en cours, à la date de la mise à disposition, entre la société mère et le salarié. Or, par de récentes décisions, la Cour de cassation s’affranchit de l’existence de ce lien contractuel et met à la charge de la société mère cette obligation de rapatriement et de réintégration, quelles que soient les circonstances.

D’abord, dans un arrêt du 30 mars 2011 publié dans son tout récent rapport annuel 2011, la Cour de cassation, confirmant la position déjà prise dans un arrêt du 13 novembre 2008, énonce que l’article L.1231-5 du Code du travail « ne subordonne pas son application au maintien d’un contrat de travail entre le salarié et la maison-mère ». Dans cette affaire, la société mère française s’était contentée d’engager un salarié en contrat à durée déterminée pour deux mois, avant que ce dernier soit engagé par la filiale américaine à l’issue du CDD.

Ensuite, dans un arrêt du 7 décembre 2011, la Cour de cassation va encore plus loin en affirmant que « le seul fait que le salarié n’ait pas, avant son détachement, exercé des fonctions effectives au service de l’employeur qui l’a détaché ne dispense pas celui-ci de son obligation d’assurer son rapatriement à la fin du détachement et de le reclasser dans un autre emploi en rapport avec ses compétences ».

Une telle solution n’allait pas forcément de soi. D’ailleurs, depuis 1984, la jurisprudence exigeait que le salarié ait travaillé au sein de la société mère pour que le reclassement puisse être envisagé. Après avoir jugé du contraire en 1999, la Cour de cassation avait réaffirmé en 2006 qu’il fallait que le salarié ait exercé des fonctions dans la société mère.

Néanmoins se pose la délicate question de la réintégration par la société mère du salarié « dans un emploi compatible avec les précédentes fonctions », alors que le salarié n’en a en réalité exercé aucune en son sein.

Pour pallier cette difficulté, la Cour de cassation impose maintenant à la société mère de « le reclasser dans un autre emploi en rapport avec ses compétences ».

Cela amène malheureusement de nouvelles questions.

D’abord, il est maintenant question de « compétences » pour la Cour de cassation et non plus de « fonctions », comme mentionné dans l’article L. 1231-5 du Code du travail, ou même de « catégorie » ou de « qualifications ». Or, l’appréciation des « compétences » est particulièrement subjective et la notion est juridiquement floue.

Ensuite, il ne s’agit pas simplement de réintégrer le salarié, puisqu’il n’a jamais occupé aucune fonction au sein de la société mère, mais bien de le reclasser. Cependant, ni les périmètres temporels et géographiques ni le contenu de cette obligation de reclassement ne sont définis.

Au vu de ces récentes décisions, le plus sage reste sans doute d’éviter de faire transiter, même quelques semaines, le salarié par la société mère.

Ludovic Sautelet, avocat, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.