Le temps de travail a diminué, aussi bien le temps hebdomadaire qu’annuel ou encore le nombre d’années passées au travail entre la fin des études et la retraite. Pourtant, nous n’avons peut-être jamais eu moins de temps, car le temps dit libre n’est pas un temps disponible, une marge subjective, mais un temps encombré d’activités plus ou moins contraintes par la nécessité de se construire une identité individuelle, sans plus d’appui de la dimension collective du groupe d’appartenance professionnel : temps passé par le travailleur précaire à chercher un emploi, temps consacré par les étudiants à gagner un peu d’argent ou à se cultiver hors des exigences strictes de leur cursus, temps des parents, et surtout des mères, passé à s’occuper des enfants, etc.

Le temps ne se scinde plus aujourd’hui entre temps libre et temps de travail mais en une succession de temps intriqués les uns aux autres dans une logique de l’intermittence qui va maintenant de la petite enfance jusqu’au grand âge. Le paradoxe est bien que notre société, qui fait tant de place au loisir, soit, en fait, si contraignante d’un point de vue subjectif. Outre les problèmes psychologiques que cela peut poser aux individus, toute la question est de sécuriser ces parcours de plus en plus erratiques, de telle sorte qu’ils ne signifient ni la destruction du lien social ni l’exclusion ni la misère pour les plus fragiles. Une manière particulièrement pertinente de remettre à jour la question de sécurisation des parcours professionnels en intégrant la question du travail dans celle, plus large, des bouleversements sociaux intervenus depuis les années 1980.

Le Temps fractionné

Patrick Cingolani, Armand Colin, 224 pages, 23,50 euros.