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Enquête

PREMIÈRES MESURES APRÈS LES SUICIDES

Enquête | publié le : 02.05.2012 | ROZENN LE SAINT

Selon les syndicats, la réorganisation permanente de La Poste alimenterait les risques psychosociaux. La direction commence à l’entendre.

Dix propositions pour répondre aux récents suicides à La Poste : dans le cadre du “grand dialogue” mis en place après la mort sur leur lieu de travail de deux cadres bretons, la direction a présenté, le 12 avril, des mesures immédiates pour lutter contre les risques psychosociaux. Parmi lesquelles le déblocage d’un budget de 20 millions d’euros consacré à l’amélioration de la vie au travail, 1 000 recrutements supplémentaires en 2012, l’affectation d’un cadre en charge des ressources humaines dans tous les établissements de plus de 100 personnes, un délai d’au moins deux ans entre deux réorganisations et la proscription de tout appel à candidature sur son propre poste. Des propositions jugées « unilatérales et pitoyables » par Sud qui, avec la CGT et la CFDT, a décidé de quitter la réunion (à eux trois, ces syndicats représentent 70 % des postiers). Ils regrettent notamment que la direction ne se soit pas engagée à suspendre les réorganisations jusqu’en septembre, date attendue de la remise du rapport Kaspar sur les conditions de travail. Jean-Claude Bailly, le Pdg, a tout de même accepté une pause dans les restructurations « le temps nécessaire ».

Baisse importante des effectifs

Même si ces propositions sont qualifiées d’« aveux de faiblesse » par Bernard Dupin, administrateur CGT, la direction répond en partie aux préoccupations remontées par les syndicats en cette période marquée par les drames, deux ans après que La Poste est devenue une société anonyme à capitaux publics. À commencer par la baisse des effectifs, jugée trop importante et trop rapide. Face à la diminution de l’activité courrier, l’ex-administration n’a remplacé qu’un départ sur trois en 2009, et un sur cinq en 2010. De 315 500 postiers en 2002, les effectifs sont passés à 240 000 huit ans plus tard. Les syndicats reprochent des coupes drastiques dans le personnel, tous azimuts, sans anticipation des changements de postes qu’elles impliquent. Et dans cette atmosphère marquée par la précipitation, « la direction avait prévu en 2010 une baisse du trafic courrier de 5 % alors qu’elle n’a été que de 3,5 % », dénonce Alain Barrault, de la CFDT. Résultat, trop de postiers sont partis, il a fallu réembaucher 5 000 personnes en 2011.

Restructuration permanente

« À peine une réorganisation est-elle terminée qu’il faut recommencer ! », dénoncent les syndicats à l’unisson. « Cette restructuration permanente mène à la perte de sens du travail », selon Alain Barrault. Une enquête de son syndicat sur la santé au travail, présentée le 6 avril, montre que, durant les dix dernières années, 81 % des 4 500 postiers interrogés disent avoir été « régulièrement confrontés à des changements organisationnels », contre 69 % des employés de France Télécom. Une comparaison qui inquiète les syndicats.

Pour éviter un scénario à la France Télécom, les représentants du personnel demandent avant tout que l’humain soit davantage pris en compte, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, selon l’enquête de la CFDT révélant que 85 % des postiers ne s’estiment pas assez intégrés aux changements en cours dans leur service. Pire, près de la moitié des cadres auraient aussi ce sentiment, alors qu’ils sont eux-mêmes chargés de les mener. Autre conséquence des failles de la politique RH dans ce contexte de restructuration, le phénomène de “placardisation”. « De 28 centres courrier en Haute-Bretagne, nous allons passer à 20 en fin d’années. Entre 60 et 70 cadres se retrouvent en surnombre. Certains finissent par accepter un poste de guichetier », dénonce Antoine Le Séguillon, secrétaire territorial CFE-CGC La Poste de Haute-Bretagne.

Un plan santé au travail depuis 2010

Pour sa défense, la direction met en avant le plan santé au travail mis en place en septembre 2010. Selon Pascale Duchet Suchaux, responsable de la prévention santé-sécurité au travail, il consiste à « valoriser l’entraide, sensibiliser les managers sur les facteurs de prévention, mieux analyser l’impact humain des changements organisationnels et mieux accompagner les personnes en attente d’un poste ». Un an plus tard, ce sont pourtant les mêmes reproches qui sont faits à l’encontre de la direction. Celle-ci met également en avant le budget de 23 millions d’euros consacré en 2011 aux services de santé au travail, composés de 154 médecins du travail et 115 infirmières.

Concernant les deux suicides de mars, la direction attend les résultats des enquêtes de la gendarmerie judiciaire et du CHSCT pour se prononcer. Mais le rapport du cabinet Isast, qui a analysé les liens entre travail et santé suite à la défenestration d’un agent au centre financier de Paris en septembre 2011, a d’ores et déjà conclu à « une faute caractérisée » de la part de l’entreprise. Il note aussi que « les discours managériaux autour du “sureffectif” alimentent la peur de se voir signifier un jour son congé ». Le cabinet pointe le manque d’accompagnement des personnes qui rentrent de congé maladie et ne trouvent plus leur place dans l’entreprise. Or, sur ces points, les propositions de Jean-Claude Bailly se limitent à la simple déclaration d’intention.

Par ailleurs, le rapport déplore « l’éloignement géographique du service ressources humaines, qui marque une rupture ». « Je travaille dans l’Hérault et mon service RH référent se trouve dans le Var ! », illustre Bernard Dupin, administrateur CGT. Sur ce point, le Pdg de La Poste a apporté une première réponse, mais les syndicats aimeraient en rediscuter pour aller plus loin dans la réforme. Les représentants des salariés déplorent que quatre conseils d’administration aient été annulés depuis le début de l’année… Et attendent de pied ferme le prochain, programmé le 11 mai, pour que le « grand dialogue » commence vraiment.

ERRATUM : Dans l’enquête sur “La religion en entreprise”, parue dans Entreprise & Carrières n° 1090 (du 3 au 9 avril 2012), Hélène Sanchez, citée dans l’article intitulée “Un code de déontologie pour instaurer la neutralité”, est une élue CFDT.

LA POSTE

• Activité : Courrier-banque.

• Effectif : 240 000.

• Chiffre d’affaires 2011 : 21,3 milliards d’euros.

Auteur

  • ROZENN LE SAINT