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Ni payés, ni licenciés

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 13.03.2012 | AURORE DOHY

Un employeur dans l’impossibilité de licencier, des salariés dans l’impossibilité de travailler : le cas Sodimédical donne du fil à retordre aux juristes. Depuis l’annonce de la fermeture du site de production en 2010, 33 procédures judiciaires ont été lancées.

Ce pourrait être le joker des comités d’entreprise qui se risquent aujourd’hui à soumettre aux tribunaux les PSE de “profitabilité” dont ils font les frais. Si la Cour de cassation retoque l’arrêt Viveo (1), ses juges devraient sans tarder se retrouver avec l’arrêt Sodimédical entre les mains. Ces 2 arrêts, rendus par 2 cours d’appel différentes (celle de Paris pour Viveo en mai 2011 et celle de Reims pour Sodimédical en janvier dernier), ont comme point de convergence la reconnaissance – inédite – de la compétence des juges civils pour statuer sur le motif économique d’un plan social.

« Mais, avec l’arrêt Sodimédical, la cour d’appel de Reims est allée encore un peu plus loin en faisant une application inédite de la théorie de l’inexistence d’un acte juridique, explique Me Philippe Brun, qui défend les comités d’entreprise des 2 sociétés. Alors que l’arrêt Viveo annule le plan social, l’arrêt Sodimédical affirme que, sans fondement économique, le PSE n’existe tout simplement pas. Il n’a donc pas à être annulé. »

Situation ubuesque

En attendant, dans l’usine Sodimédical de Plancy-l’Abbaye, dans l’Aube, la situation est ubuesque. Car, avant de conclure à l’inexistence du plan social, la cour d’appel de Reims avait déjà annulé la liquidation judiciaire de l’entreprise (décision d’août 2011) demandée, notamment, par certains fournisseurs de l’entreprise (2). En tout, 33 procédures judiciaires ont été lancées depuis l’annonce de la fermeture du site en avril 2010. Pour l’heure, toutes aboutissent à ce scénario abracadabrant : la société spécialisée dans les champs opératoires et de sets de soins est dans l’impossibilité de licencier les 52 salariés restant sur le site, alors que son carnet de commandes est vide et qu’aucune production ne sort plus de l’usine depuis des mois !

« Délocalisation ! » plaident les salariés – qui ont décliné une enveloppe de 2,5 millions d’euros (soit environ 48 000 euros par personne) – à l’avis desquels les juges se sont rangés jusqu’à présent. « Alors que Sodimédical disposait à l’origine de son propre carnet de commandes, l’entreprise a petit à petit été placée sous la dépendance économique de sa maison mère, Lohmann & Rauscher France, explique Béatrice Ramelot, la secrétaire du CE. Les commandes ont été transférées vers de nouvelles usines, répliques de la nôtre, en Chine et en République tchèque. »

« Perte de marché ! » se défend l’entreprise selon laquelle, du fait de la « compression des budgets de santé », son « marché de niche – l’assemblage des produits selon les demandes spécifiques des clients hospitaliers – a disparu au profit de produits standards fabriqués et assemblés depuis de nombreuses années dans des pays à bas coût de main-d’œuvre. »

Pour l’heure, alors qu’ils ne perçoivent plus aucun salaire depuis le mois d’octobre, les 52 salariés (47 femmes et 5 hommes) pointent sur le site sept heures par jour tous les jours de la semaine. Toujours “en emploi”, ils ne peuvent percevoir d’allocations chômage et hésitent à rechercher un autre travail. « On ne veut pas se mettre en faute, notre contrat de travail n’est pas rompu », souligne Béatrice Ramelot. Totalement isolés, les représentants du personnel n’ont plus aucun contact avec la direction de Sodimédical ni avec celle de Lohmann & Rauscher France, ni même avec les salariés ou les syndicats de la maison mère. Après avoir coupé l’électricité une première fois, EDF a restauré le courant, préservant ainsi la salle blanche » de l’usine. La ligne téléphonique, elle, a été résiliée.

Dons et colis alimentaires

Un appel aux dons a été lancé, les sommes recueillies servant de façon prioritaire à honorer les factures des salariées mères de famille célibataires. Quelques comités d’entreprise de la région organisent des quêtes et une association de Troyes distribue des colis alimentaires, une fois par semaine.

La prochaine décision judiciaire concernant Sodimedical, à nouveau attendue de la cour d’appel de Reims le 23 mai prochain, sera regardée de près. Car la nouvelle question qui est posée aux juges est, cette fois encore, inédite. La maison mère Lohmann et Rauscher France ayant été placée en sauvegarde (ce qui a eu pour effet de suspendre la décision du conseil de prud’hommes de Troyes qui la condamnait, en octobre 2011, à redonner travail et salaire aux employés sous astreinte de 50 000 euros par mois de retard), les salariés se retournent vers leur “grand-mère”, Lohmann & Rauscher Allemagne. Une première ! Le 25 janvier dernier, le conseil de prud’hommes de Troyes s’est déclaré incompétent pour établir la responsabilité du groupe allemand dans le trouble constitué par le non-paiement des salaires.

« La question fait beaucoup de bruit dans les chambres consulaires à l’étranger, relève Me Martin, l’avocat de Sodimédical. Si la justice française reconnaît qu’une entreprise étrangère doit prendre en charge les salaires d’une filiale française en difficulté économique, les conséquences sur les implantations en France – et par suite sur les recrutements – de sociétés étrangères pourraient être très lourdes. Aucun pays d’Europe n’a encore jamais été confronté à une telle question. » L’affaire Sodimédical n’a donc pas fini de faire couler de l’encre…

(1) Le jugement, attendu le 6 mars, a été repoussé. Une nouvelle audience se tiendra le 11 avril.

(2) La cour reconnaissait alors la dépendance économique de Sodimédical, « simple unité de production à laquelle la maison mère n’apporte plus aucune commande ».

Auteur

  • AURORE DOHY