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Les tabous sur l’homosexualité freinent l’avancée de nouveaux droits

Pratiques | publié le : 06.03.2012 | LYDIE COLDERS

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Les tabous sur l’homosexualité freinent l’avancée de nouveaux droits

Crédit photo LYDIE COLDERS

Si l’ouverture récente du congé paternité aux couples homosexuels dans certaines entreprises marque une avancée sociale, la prévention contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle reste encore émergente, et délicate à évaluer.

Les entreprises franchiraient-elles un cap en matière d’égalité des droits entre salariés hétérosexuels et homosexuels ? L’avancée la plus récente concerne l’ouverture du congé paternité aux salariés homosexuels pacsés. C’est le cas chez Randstad, dont le nouvel accord sur l’égalité hommes-femmes de décembre 2011 a créé un congé de parentalité de 11 jours pour les couples pacsés, intégralement financé par l’entreprise pour les conjoints homosexuels. En février 2011, Homosphère, l’association LGTB du groupe SFR, a obtenu une garantie similaire auprès de la DRH, qui figurera dans le prochain accord sur l’égalité professionnelle en cours de négociation. Signe d’évolution des mentalités ? « L’opinion publique change, elle est davantage ouverte à l’idée du mariage et de la parentalité homosexuelle. Il faut en tenir compte pour nos collaborateurs, dans le cadre de notre politique de diversité », estime Aline Crépin, directrice RSE de Randstad France.

Une avancée sociale rare

Aussi fort soit le message, cette avancée sociale reste encore rare. Selon le collectif Homoboulot, qui fédère 8 associations de salariés LGBT (dont celle de la RATP ou de France Télécom), l’accès au congé paternité pour les couples homosexuels concernerait aujourd’hui une dizaine d’entreprises. « Cette avancée sociale vient d’entreprises engagées depuis longtemps dans une politique diversité. Elles s’ouvrent aux discriminations liées à l’orientation sexuelle après avoir travaillé sur les questions d’égalité entre hommes et femmes ou sur le handicap », observe Jérôme Beaugé, porte-parole du collectif Homoboulot. Et, paradoxalement, l’initiative en revient surtout aux directions diversité ou DRH plutôt qu’aux partenaires sociaux.

Sujet non-prioritaire pour les syndicats

Si France Télécom, dont l’accord égalité professionnelle de 2011 prévoit déjà plusieurs avancées (autorisation d’absence pour les couples mariés ou pacsés, y compris homosexuels, complémentaire santé ouverte au conjoint du même sexe), se dit plutôt favorable au principe d’un congé parentalité ouverts aux homosexuels, « ce n’est pour l’instant pas une priorité de nos syndicats », explique Maryse Droff, directrice de l’égalité des chances chez France Télécom-Orange. En toile de fond : l’éternel problème de la représentativité des salariés gays ou lesbiennes, peu enclins à révéler leur vie privée ou les discriminations vécues dans leur entreprise. Une discrétion qui freine le succès du congé paternité ouverts aux salariés homosexuels pacsés, obligés de déclarer l’identité de leur conjoint. « Il va falloir beaucoup communiquer sur notre accord, afin que les salariés concernés se sentent en confiance », admet Aline Crépin.

Pour créer de la confiance et libérer la parole face aux discriminations liées à l’orientation sexuelle, les entreprises misent avant tout sur la communication et la sensibilisation des managers. Toutefois, ces actions sont encore récentes. En 2011, France Télécom-Orange a formé 203 cadres dirigeants à cette problématique, dans le cadre d’une journée de formation dédiée à la diversité. « L’objectif est surtout de faire prendre conscience des stéréotypes souvent associés aux homosexuels, comme leur prétendue fragilité qui les rendraient incapables d’assumer certaines fonctions d’encadrement », explique Maryse Droff. L’opérateur a mis sur son intranet un guide destiné aux managers recensant les bonnes pratiques à adopter face à un collaborateur homosexuel. Des initiatives que l’on retrouve dans d’autres entreprises, comme chez Randstad, qui a également formé sa direction générale et 700 managers à cette problématique, ou encore chez Accenture, qui propose depuis l’année dernière un module de formation e-learning à ses managers dédié à l’orientation sexuelle.

Évaluer les progrès reste difficile

Ces actions sont parfois couplées avec des rappels à l’ordre : en février, Randstad a distribué via Internet un document à ses 4200 salariés rappelant l’interdiction de tenir des propos homophobes (mais aussi racistes ou sexistes) au sein de l’entreprise, ainsi qu’un argumentaire destiné aux consultants en recrutement, afin de contrer certaines demandes de clients tendancieuses, notamment en terme d’orientation sexuelle. IBM, souvent cité à titre d’exemple pour sa politique en la matière, planche aussi sur des règles d’or à respecter, interdisant les propos homophobes.

Ces actions sont-elles suffisantes ou non ? La réponse reste mitigée. « C’est très difficile d’évaluer nos progrès ou la diminution des cas de discrimination liés à l’homosexualité, car ces salariés se taisent », admet Aline Crépin. Même dans les entreprises les plus actives, les cas de discrimination remontés aux DRH demeurent toujours aussi rares. Chez France Télécom-Orange, qui travaille avec l’association interne LGBT Mobilisnoo, seuls 5 cas ont été recensés – et traités – via le site de l’association en 2011.

Randstad, qui a créé un comité de lutte antidiscriminations en 2010 (composé de correspondants diversité, d’un représentant de la Cnil et de juristes), ouvert aux salariés et aux intérimaires, note que sur 50 cas relevés l’année dernière, aucun ne concernait un problème lié à l’homosexualité. Pour Jamel Oubéchou, directeur de la promotion de l’égalité auprès du Défenseur des droits, cela ne signifie pas que les entreprises doivent relâcher leurs efforts : « C’est plutôt que le sujet reste tabou. Il y a encore beaucoup à faire en matière de prévention pour lutter contre une homophobie larvée qui perdure », a-t-il insisté lors d’un colloque organisé par IMS-Entreprendre, en février dernier. Le Défenseur des droits vient d’ailleurs de lancer une étude auprès des entreprises afin de les inciter à « réfléchir sur leurs engagements et leur politique de lutte en matière de discriminations liées à l’orientation sexuelle ».

L’ESSENTIEL

1 L’égalité des droits entre salariés, quelle que soit leur orientation sexuelle, connaît quelques timides avancées.

2 Une dizaine d’entreprises prévoient par exemple un congé paternité ouvert aux salariés homosexuels pacsés.

3 Les syndicats sont rarement à l’initiative de ces nouveaux droits. Les responsables RH ou diversité s’en emparent et proposent des formations pour sensibiliser les managers sur ce sujet toujours tabou.

EN CHIFFRES
Des discriminations toujours présentes

Selon le baromètre de janvier 2012 du Défenseur des droits sur la perception des discriminations au travail, révéler son homosexualité en entreprise demeure un sujet très délicat.

46 % des salariés du privé estiment que cette question concerne la vie privée, et met le personnel mal à l’aise.

En outre, cet “aveu” ne serait pas sans conséquences sur la vie professionnelle : 39 % des salariés considèrent qu’afficher son homosexualité peut nuire à la carrière de la personne. 15 % des répondants ayant connu un collaborateur qui a dévoilé son homosexualité affirment que ce dernier a rencontré des problèmes avec ses collègues de travail, davantage qu’avec son supérieur hiérarchique (9 %).

Auteur

  • LYDIE COLDERS