logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

QUELLES CONTREPARTIES AU TRAVAIL DOMINICAL ?

Enquête | publié le : 21.02.2012 | ÉLODIE SARFATI, STÉPHANIE MAURICE

Image

QUELLES CONTREPARTIES AU TRAVAIL DOMINICAL ?

Crédit photo ÉLODIE SARFATI, STÉPHANIE MAURICE

Selon le secteur d’activité concerné ou même la zone géographique, le travail dominical donne lieu à des compensations diverses. Si certaines entreprises ont signé des accords garantissant le volontariat des salariés, principe essentiel pour les syndicats mais pas toujours garanti par la loi, leur application sur le terrain n’est pas toujours évidente.

Le travail dominical ? Pas assez libéralisé, selon Xavier Bertrand qui jugeait, au mois de janvier, que la loi votée en août 2009 « n’apporte pas encore toutes les possibilités pour les salariés qui souhaiteraient travailler le dimanche et les employeurs qui souhaiteraient ouvrir ». Une déclaration qui ne manquera pas de raviver la polémique alors qu’en décembre, le Sénat adoptait une proposition de loi communiste visant à limiter les dérogations au repos dominical…

Deux ans et demi après l’adoption de la loi Mallié, les lignes politiques n’ont donc pas bougé. Et dans les entreprises, qu’est-ce qui a changé ? Du point de vue quantitatif, pas grand chose, si l’on en croit le rapport parlementaire publié en novembre 2011, qui note que les dérogations au repos dominical n’ont pas « explosé ». Au 1er juin 2011, on ne dénombrait que 15 communes et zones touristiques supplémentaires. En outre, 31 Puce (périmètre d’usage de consommation exceptionnelle) ont été créés dans des zones où les ouvertures dominicales étaient de mise avant le vote de la loi (condition nécessaire au classement de la zone en Puce). « Certes, il n’y a pas eu d’explosion, mais une extension progressive des ouvertures dominicales », nuance Jean-Michel Martin, secrétaire fédéral CFDT. Et pas forcément « dans les clous » de la loi : « À Paris, par exemple, des supérettes ont considéré qu’elles pouvaient ouvrir y compris après 13 heures. » Une liberté qui leur a valu d’être rappelées à l’ordre par différents tribunaux, dont le TGI, le 3 février dernier.

Échec des négociations dans l’automobile

Dans les services de l’automobile, la perspective de pouvoir ouvrir plus souvent a conduit les employeurs à engager une négociation pour redéfinir les conditions du travail dominical. Sans succès, raconte Stéphane Rivière, coordinateur national CFE-CGC : « La convention collective prévoit que les salariés ne travaillent pas plus de 5 dimanches dans l’année, dans le cadre d’ouvertures exceptionnelles limitées également à 5 par an. Le patronat voulait lever les restrictions du nombre d’ouvertures des concessionnaires dans les zones touristiques et les Puce. Les syndicats n’ont pas voulu s’engager dans cette voie, car même si la limite du nombre de dimanches travaillés par vendeur était maintenue, nous aurions vu des dérives apparaître au fil du temps. Et nous craignions que cela ne crée un appel d’air sur d’autres métiers de la branche comme la réparation, aujourd’hui exclue du travail dominical. »

Certaines entreprises du commerce ont tout de même conclu des accords, comme la loi de 2009 les y engageait. Ceux-ci prévoient généralement un repos compensateur et une majoration de 100 % du taux horaire, comme chez Decathlon, Toys « R » Us (lire p. 25) ou encore La Halle. Dans cette dernière enseigne, où un accord a été signé en 2010, le repos compensateur est multiplié par 2,5 pour les salariés qui travaillent plus de la moitié des dimanche de la saison.

Conditions particulières dans les zones classées

Tout en rappelant leur opposition au travail dominical, les syndicats signataires de ces accords y voient certes une façon de garantir les contreparties pour les salariés, mais surtout de les unifier, quelle que soit la zone d’implantation du lieu de travail. Car la loi prévoit bien un doublement de la rémunération et le volontariat des salariés, mais seulement dans les zones classées Puce, sachant qu’un accord collectif local peut déroger à cette règle. C’est le cas à Plan de Campagne, près de Marseille, qui applique en outre des règles différentes de celles négociées dans le centre-ville, récemment classé zone touristique (lire p. 26).

Dans la pratique, les petites entreprises « ont du mal à s’y retrouver, témoigne Sophie Jami, responsable juridique et affaires sociales de la Fédération nationale de l’habillement, qui regroupe 38 000 enseignes de petite taille. Dans les Puce, elles sont tenues de doubler la rémunération pour pouvoir ouvrir le dimanche, faute de pouvoir négocier autre chose avec des syndicats, mais n’ont pas les moyens de le faire. Un adhérent qui appliquait une majoration de 50 % s’est fait lourdement redresser. Dans les zones touristiques, elles appliquent la loi, donc ne majorent pas les heures travaillées en dehors éventuellement des heures supplémentaires, pour limiter leur masse salariale ».

Au-delà des compensations, le volontariat reste un point sensible. À la Compagnie européenne de la chaussure, il a suscité la fronde des syndicats non signataires de l’accord, bouclé en 2010. Tout en admettant le principe du volontariat, celui-ci stipulait que l’entreprise pouvait muter dans un autre magasin un salarié refusant de travailler le dimanche. « Finalement, la direction est revenue sur cette position dans une note annexée à l’accord et présentée au printemps dernier au comité d’entreprise. Même si, sur le terrain, nous n’avons pas constaté de mobilité forcée, les salariés n’auront plus cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, en particulier les cadres », espère Philippe Cottarel, délégué syndical CFTC.

Volontariat non garanti

Dans le commerce, tous les accords ne garantissent pas suffisamment le volontariat, ont souligné les auteurs du rapport parlementaire. Ils décernaient tout de même quelques bons points aux entreprises qui en ont généralisé le principe et déterminé les procédures à suivre pour se porter volontaire ou ne plus l’être. Comme à Decathlon. Dans le magasin de Plan de Campagne, Philippe Lafitte, délégué central FO, constate que l’accord s’applique. Il a lui-même bénéficié du droit de retrait, car il ne souhaitait plus travailler le dimanche. Mais, « c’est comme le code de la route : vous n’avez pas un gendarme derrière chaque feu rouge, comme vous n’avez pas un délégué syndical dans chaque magasin, nuance Frédéric Lemeur, délégué central CGT. Cette base du volontariat n’est pas expliquée à chaque nouveau salarié et, si vous voulez la faire jouer, on vous rétorque que vous n’avez pas l’esprit d’équipe ». « Dans les magasins, les équipes sont réduites. Revenir sur le travail du dimanche est compliqué », ajoute Philippe Cottarel, en évoquant le cas d’un salarié de la Compagnie européenne de la chaussure qui a fini par démissionner, faute de pouvoir revenir sur un planning à la semaine.

Néanmoins, lorsque les compensations sont incitatives, les candidats pour travailler le dimanche ne manquent pas. « Chez les concessionnaires, les commissions des vendeurs, qui forment la majeure partie de leur salaire, sont directement liées au nombre d’heures effectuées. Il est même difficile de leur faire prendre les repos compensateurs », constate Stéphane Rivière.

Chez Mobilbox, PME qui propose des solutions de stockage pour particuliers, l’extension du service le dimanche n’a pas posé de problème, affirme la directrice générale, Sandrine Boillot, car les chauffeurs y ont gagné en rémunération : « Nous avons doublé la prime de 22,30 euros prévue dans la convention collective et, ce jour-là, les pourboires sont beaucoup plus importants. » Ces compléments de rémunération ne sont pas négligeables, dans des secteurs où les salaires sont bas. « La plupart des employés du commerce sont à temps partiel et gagnent autour de 700 à 800 euros par mois. Ils travaillent le dimanche, tenus par la précarité ou la peur de perdre leur emploi », considère Éric Scherrer, président du Seci-CFTC.

Liberté de choix

Même dans les secteurs où le dimanche travaillé est “de droit”, et n’oblige pas, légalement, à recourir au volontariat, les employeurs peuvent être confrontés à cette question lorsqu’ils prennent la décision d’ouvrir ce jour-là. La liberté de choix était par exemple au cœur des revendications des agents de la médiathèque de Suresnes (lire l’article ci-dessous).

Dans la distribution alimentaire, où le travail dominical est majoré de 20 %, des salariées de Dia, à Albertville (Savoie), ont fait grève 104 dimanches de suite avant que leur direction accepte de ne faire appel qu’à des volontaires. À Oyonnax (Ain), 3 salariés ont été licenciés d’un autre magasin de l’enseigne pour avoir refusé le travail dominical. Leur contrat ne stipulant pas qu’ils devaient travailler le dimanche, ils ont obtenu 40 000 euros de dommages et intérêts au conseil de prud’hommes, qui a considéré qu’il ne s’agissait pas d’un simple changement des conditions de travail. Un principe rappelé par la Cour de cassation, le 2 mars 2011, au profit d’un serveur qui s’était vu privé de repos dominical à la suite d’une nouvelle organisation des horaires.

Chez Dia, ces affaires ont amené la direction a être « plus rigoureuse dans la consultation des instances et la vérification des contrats des salariés », constate Gérard Covache, délégué syndical central FO. Mais cela ne règle pas tout : « Certaines équipes ne dépassent pas 5 personnes par magasin. Conséquences : le dimanche s’ajoute et les amplitudes horaires, les temps de repos hebdomadaires et quotidiens ne sont pas respectés. Il faut se battre pour obtenir des embauches. » En matière d’emploi, le travail dominical débouche en général sur des renforts ponctuels. Ainsi, « 30 000 étudiants travaillent dans la branche, généralement le week-end », indique Renaud Giroudet, responsable affaires sociales, emploi et formation de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (alimentaire).

Maintien et création d’emploi

La plupart des accords signés dans les enseignes non alimentaires prévoient des engagements en termes de maintien ou de création d’emplois. Celui signé à la SNC Codirep (Fnac) en mars 2010 prévoit par exemple le recrutement en CDI de 5 % des équivalents temps plein d’un magasin qui serait amené à ouvrir le dimanche. Reste que, « la plupart du temps, ce sont des engagements de forme, sans objectifs définis. Les entreprises préfèrent réorganiser les plannings », observe Jean-Michel Martin.

Chez Decathlon, les signataires de l’accord, CFDT et CGT, craignent que le maintien de l’emploi qu’il prévoit dans les magasins ouverts le dimanche ne soit pas respecté, car le contexte général ne les rassure pas : la chaîne a vu disparaître 880 emplois équivalents temps plein depuis 2008. Ils pensent déposer une demande à la DRH pour avoir un bilan chiffré du travail dominical.

L’ESSENTIEL

1 La loi Mallié, qui a assoupli le travail dominical dans les zones commerciales et touristiques, a eu peu d’incidences sur le nombre de dérogations supplémentaires.

2 Certaines entreprises ont toutefois conclu des accords qui unifient les contreparties accordées aux salariés.

3 Pour les organisations syndicales, le respect du volontariat, qui n’est pas requis dans les zones touristiques, est un élément sensible des négociations.

Qui peut déroger au repos dominical ?

Les entreprises ne pouvant interrompre leur activité le dimanche (hôpitaux, restauration, établissements culturels…), ainsi que les commerces situés dans les zones et communes touristiques – même sans rapport avec le tourisme, depuis la loi Mallié – bénéficient d’une dérogation permanente. Aucune contrepartie n’est prévue pour les salariés et le volontariat n’est pas requis. Les commerces alimentaires entrent dans cette catégorie mais ne peuvent ouvrir après 13 heures.

Les commerces situés dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel (Puce) et les entreprises ayant obtenu une dérogation « pour éviter un préjudice au public ou au fonctionnement normal de l’établissement » doivent prévoir des contreparties par accord collectif ou référendum. À défaut, l’employeur doit doubler la rémunération normale et accorder un repos compensateur. Les salariés doivent être volontaires. Les dérogations exceptionnelles accordées par les maires (5 dimanches par an maximum) entraînent les mêmes contreparties en salaire et repos compensateur, mais ne requièrent pas de volontariat.

La loi Chatel sur la consommation (2008) a permis aux magasins d’ameublement d’ouvrir tous les dimanches. La convention collective prévoit un repos compensateur équivalent et une majoration de la rémunération de 100 %.

En chiffres

→ 2,78 millions de salariés travaillent habituellement le dimanche (12,2 % des salariés), et 3,46 millions occasionnellement, selon l’Insee (2009).

→ Dans le commerce de détail, 35,7 % des salariés travaillent occasionnellement ou habituellement le dimanche.

→ 250 000 salariés travaillent potentiellement le dimanche dans les zones et communes touristiques, entre 9 000 et 10 000 dans les Puce.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI, STÉPHANIE MAURICE