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« En matière d’innovation sociale, les PME ont à apprendre aux grands groupes »

Enjeux | publié le : 21.02.2012 | PASCALE BRAUN

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« En matière d’innovation sociale, les PME ont à apprendre aux grands groupes »

Crédit photo PASCALE BRAUN

Les petites entreprises devenues grandes peinent à intégrer les pratiques balisées des grands groupes en matière de ressources humaines. Elles savent en revanche accueillir, former et motiver leurs salariés, et présentent de fortes capacités à l’innovation sociale.

E & C : En matière de gestion des ressources humaines, la distinction entre une PME et une grande entreprise s’opère-t-elle uniquement en fonction du seuil de salariés ?

Mohamed Bayad : Les TPE ou PME se caractérisent également par la forte centralité du dirigeant, qui joue son patrimoine dans la gestion de son entreprise. Le management ne peut pas se faire sans lui. Il est capitaine d’industrie comme on est capitaine d’une équipe sur un terrain de foot. Son approche n’a rien de commun avec la logique actionnariale de dirigeants éloignés. Cet “esprit PME” peut subsister jusqu’au seuil de 100 à 150 salariés. Ensuite, l’entreprise doit se doter d’outils de pilotage, tout en conservant l’esprit entrepreneurial.

La culture des fondateurs a créé un ciment. L’entreprise repose sur une équipe de collaborateurs impliqués dès les débuts, fidèles, polyvalents et autonomes. Mais les compétences nécessaires au lancement ne sont plus les mêmes lorsque l’on atteint 200 salariés. L’entreprise doit se renouveler pour s’adapter à sa nouvelle taille. Le dirigeant a beaucoup de mal à déléguer certains domaines. Il perdrait une partie de sa légitimité si les grandes affaires ne passaient plus par lui. De même, c’est la mort dans l’âme qu’il renonce à la maîtrise du recrutement, qui représente un fort enjeu de pouvoir.

E & C : Quelles sont les forces et les faiblesses des PME en matière d’intégration et de recrutement ?

M. B. : Les petites entreprises se plaignent de grandes difficultés de recrutement : selon elles, un poste sur trois serait vacant, faute de candidats adéquats. Les motifs invoqués, tels les prétentions salariales du postulant ou son manque de formation, relèvent de l’alibi. Les PME doivent formaliser leur politique RH et se montrer claires en matière de présentation de postes, de politique salariale et de plan de carrière. Si elles n’y parviennent pas, elles vont au-devant de réelles difficultés. Elles s’appuient sur une génération née avant 1980, qui inscrit son engagement professionnel dans une logique d’honneur. En revanche, la génération Y s’engage dans une logique de contrat. Elle a besoin de clarté et de sécurité, comme en attestent les 70 % de lycéens qui aspirent à un emploi dans l’administration. Les PME, qui représentent les deux tiers des gisements d’emploi, doivent revoir leur recrutement pour gagner en attractivité. Parmi les atouts de la PME figure une grande capacité d’intégration professionnelle. Dans une PME, le nouvel arrivant est accompagné et piloté. Il comprend rapidement l’environnement et sait ce que l’on attend de lui. A l’inverse, les grands groupes, qui investissent beaucoup dans le recrutement, négligent souvent la dimension d’accueil dans l’entreprise.

E & C : Les PME souffrent-elles de difficultés structurelles en matière de GRH ?

M. B. : Il subsiste des faiblesses en termes de formation, de dialogue social et de sécurité au travail. Lorsque les besoins deviennent plus pointus, les petites entreprises hésitent parfois à envoyer leurs salariés en formation, craignant de les voir quitter l’entreprise par la suite. Elles ont également des difficultés à intégrer les normes relatives aux conditions de travail et à la sécurité. Il faut rendre aux grands groupes le mérite d’avoir su formaliser ces aspects essentiels de la vie professionnelle.

E & C : A contrario, les petites entreprises constituent-elles des creusets d’innovation ?

M. B. : Certainement. En matière d’innovation sociale, les PME ont beaucoup à apprendre aux grands groupes. Elles font de la recherche-développement social sans le savoir et trouvent des réponses d’une grande inventivité. Le dirigeant est capable d’envoyer des salariés à l’étranger pour se former sur de nouvelles machines, de réorganiser les déplacements pour limiter les risques d’accidents ou de définir de nouvelles politiques salariales afin de développer des marchés à l’étranger. J’ai vu des chefs d’entreprise repenser l’ensemble de leur fonctionnement et parfois même instaurer les 35 heures avant la lettre, sans avoir le moins du monde conscience d’innover.

De même, les petites entreprises savent maintenir leurs compétences. Qu’elle fasse appel au parrainage, au tutorat ou au mentoring, la socialisation fonctionne et donne au salarié un référent en termes de travail et d’attitude. Là encore, il s’agit d’innovation méconnue, non formalisée, non valorisée, émanant d’acteurs trop isolés pour mettre en place une communauté de pratiques. Vous verrez rarement les PME représentées lors des colloques et séminaires traitant d’innovation sociale.

E & C : La collectivité peut-elle contribuer à structurer l’échange de compétences en ressources humaines au sein des PME ?

M. B. : Les pouvoirs publics nationaux et territoriaux ont un rôle fondamental à jouer pour accompagner les PME dans cette dimension. La PME marque le territoire et peut, selon les cas, le conforter ou le perturber. Sa gestion des ressources humaines présente une incidence sur l’attractivité du bassin d’emploi, sa vitalité ou son taux de chômage. En Lorraine par exemple, les collectivités, qui se sont souvent trouvées dans une logique réactive, développent aujourd’hui une réflexion plus proactive en élaborant une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences à l’échelle territoriale. Impulsée par le conseil régional de Lorraine, la structure associative Convergence RH vise à professionnaliser les ressources humaines et les pratiques managériales dans les TPE-PME et à sécuriser le parcours professionnel des salariés. L’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) bataille pour la création d’une plate-forme régionale de santé au travail. Le club des dirigeants et artisans de Lorraine met en place un référentiel de compétences destiné à repérer les points forts et les points faibles du dirigeant. D’autres initiatives visent à développer le dialogue social sur le plan territorial en l’absence de syndicats, qui restent inexistants ou malvenus dans les petites entreprises.

PARCOURS

• Mohamed Bayad est professeur à l’université des sciences de gestion de Metz et dirige l’Institut d’administration et de gestion à l’université de Lorraine. Spécialiste de l’accompagnement RH des petites entreprises, il dirige l’équipe relations humaines EMI (Entreprises, management et innovation) au sein du Centre européen de recherche en économie financière et gestion des entreprises.

• Il est coauteur notamment de Gestion des ressources humaines (collectif, De Boeck, 3e édition, 2011).

LECTURE

• L’Islam et la Raison, précédé de Pour Averroès, sous la direction de Alain de Libera, trad. Marc Geoffroy, GF Flammarion, 2000.

Auteur

  • PASCALE BRAUN