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Le procès de Turin souligne les failles de la justice française

Actualités | publié le : 21.02.2012 | VIRGINIE LEBLANC

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Le procès de Turin souligne les failles de la justice française

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Alors que 2 anciens responsables du producteur d’amiante Eternit ont été condamnés, le 13 février, en Italie à seize ans de prison, la procédure pénale n’a pas abouti en France. En revanche, les entreprises sont condamnées quasi systématiquement à payer des indemnités pour faute inexcusable.

Le jugement était très attendu en Italie. Et il aboutit à une première mondiale : la condamnation pénale de 2 anciens dirigeants d’Eternit à seize ans de prison ferme et au versement de 95 millions d’euros de dédommagement (lire ci-contre). Le procureur italien Raffaele Guariniello viendra d’ailleurs expliquer son action à Paris, à la Maison du barreau, le 25 février.

« Pourquoi ce qui est possible à Turin ne l’est pas à Paris ? s’interroge Jean-Paul Teissonnière, avocat de l’Andeva (Association française des victimes de l’amian­te) qui défendait également des familles italiennes. La situation est similaire : même type d’usine, mêmes conditions de travail, et un nombre de victimes équivalent. De plus, nos traditions juridiques sont proches. La grande différence tient à l’indépendance du parquet italien. En France, jamais le parquet n’a déclenché une procédure pénale sur ce sujet. » De fait, « c’est l’Andeva et les victimes qui ont porté plainte contre X en juillet 1996, rappelle François Desriaux, vice-président de l’Andeva. Et seize ans après, le dossier est toujours en cours d’instruction ! »

Plus grave, « la juge d’instruction en charge du dossier (Marie-Odile Bertella-Geffroy, NDLR) a été dessaisie fin décembre 2011. Nous avons été abattus par cette décision, mais nous espérons bien profiter de la campagne électorale pour faire prendre conscience du ridicule de la situation française », affirme François Desriaux.

Mises en examen annulées

La chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris avait annulé, le 16 décembre, pour des motifs de procédure, les mises en examen de plusieurs responsables d’Eternit en France et transféré le dossier à 2 nouveaux magistrats, dont l’un est déjà en charge de l’affaire du Mediator… Mais, début janvier, 4 anciens dirigeants du Comité permanent amiante (CPA), structure de lobbying des industriels, créée dans les années 1980, ont été mis en examen, au titre d’homicides, blessures involontaires et abstentions délictueuses.

Philippe Plichon, avocat défenseur – notamment – d’Eternit en France, voit d’autres obstacles juridiques à la pénalisation de ces affaires : la délégation de pouvoir et le lien causal : « Comment prouver que la maladie a été contractée à telle date. De plus, la faute pénale ne se délègue pas. » En outre, « nous avons bien vu dans l’affaire du sang contaminé, qu’avec le temps passé, il y a un problème pour établir un lien causal et on a abouti à une relaxe. »

En revanche, devant les juridictions civiles, « dans 95 % des cas, les employeurs sont condamnés à indemniser pour faute inexcusable », estime Philippe Plichon. Deux voies de recours fonctionnent : la saisine du Fiva, Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, qui peut d’ailleurs engager des contentieux subrogatoires contre les employeurs au titre de la faute inexcusable, et les actions en faute inexcusable portées devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, qui ouvrent droit à une indemnisation complémentaire pour les personnes dont la maladie professionnelle est déjà reconnue.

Réparation intégrale du préjudice

En outre, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a reconnu, en juin 2010, qu’un salarié victime d’une faute inexcusable a droit à la réparation intégrale de son préjudice. Il peut donc obtenir réparation de préjudices complémentaires aux souffrances physiques et morales, préjudice esthétique, préjudice d’agrément, ou à la perte ou diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Plus récemment, la Cour de cassation a reconnu l’existence d’un préjudice d’anxiété pour des salariés non malades. Ayant travaillé dans des établissements où étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante, ils se trouvaient « par le fait de l’employeur dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante et étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse », a jugé la Cour de cassation, le 11 mai 2010, saisie par d’anciens salariés d’Ahlstrom et de ZF Masson. Depuis, les procédures se multiplient sur ce fondement. Et en décembre 2011, est venu s’ajouter le préjudice découlant du bouleversement des conditions d’existence, plaidé par Jean-Paul Teissonnière, sur le fondement d’un préjudice de contamination.

Préjudice d’anxiété

Pour Philippe Plichon, « le niveau d’indemnisation du préjudice d’anxiété va peser lourd pour les entreprises, autour de 10 000 euros pour chaque personne », estime-t-il. Sans compter que ce préjudice peut être invoqué pour tout autre produit cancérigène, par exemple. Il ajoute que « des personnes non malades peuvent obtenir 27 000 euros (15 000 euros pour préjudice d’anxiété et 12000 euros pour le bouleversement des conditions d’existence) alors que des malades obtiennent 15 000 euros du Fiva, c’est incompréhensible ».

« Si les entreprises avaient investi plus tôt dans la prévention, nous n’en serions pas arrivés là. La réparation est en train de coûter plus cher que la prévention, regrette Michel Ledoux, défenseur des victimes de l’amiante, notamment sur le dossier emblématique des anciens salariés de Ferodo-Valéo, à Condé-sur-Noireau (14).

Désamiantage

Autre motif d’inquiétude pour l’avenir : les chantiers de désamiantage. Une campagne de contrôle menée en 2006 avait montré que 76 % d’entre eux présentaient au moins une infraction aux règles de sécurité.

Les dates clés

→ D’ici à 2025, près de 100 000 morts pourraient être causées par l’amiante, selon l’Inserm.

→ Dès 1906, un inspecteur du travail à Caen alerte sur la forte mortalité des ouvriers dans des usines de tissage d’amiante.

→ En 1945, un tableau des maladies professionnelles dues à l’amiante est créé.

→ Le 1er janvier 1997 : l’usage de l’amiante est interdit en France.

→ 1998 : pour la première fois, un tribunal reconnaît la faute inexcusable d’Everite (Saint-Gobain) et de la CPAM.

→ 2002 : la Cour de cassation donné une nouvelle définition de la faute inexcusable (obligation de sécurité de résultat).

→ 2008 : Alstom est condamnée à verser 75 000 euros d’amende. Son ancien Pdg doit verser 3 000 euros et écope de trois mois de prison avec sursis. Chacun des 160 salariés recevra 10 000 euros de dommages et intérêts.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC