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LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DU BILAN DE MI-CARRIÈRE

Enquête | publié le : 07.02.2012 | CAROLINE FORNIELES

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LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DU BILAN DE MI-CARRIÈRE

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

Obligatoire depuis 2009, ce dispositif devait remotiver les seniors et faciliter leur maintien dans l’emploi. Plus de deux ans après, les DRH peinent à l’organiser et il reste lettre morte pour la grande majorité des salariés de plus de 45 ans. Enquête sur les causes de cet échec.

L’entretien de seconde partie de carrière, mesure phare de l’accord national interprofessionnel de 2005, rendu obligatoire par la loi formation-orientation du 24 novembre 2009, devait être le pivot de la politique senior des entreprises. Il apparaissait d’ailleurs, dans la quasi-totalité des plans et accords seniors conclus en 2009, comme une des mesures visant le maintien dans l’emploi des seniors. Deux ans et demi plus tard, ce rendez-vous n’a pas eu lieu : seuls 18 % des salariés de plus de 45 ans en ont bénéficié, selon le 11e baromètre Seniors Entreprise & Carrières/ NotreTemps.com. Plus grave : ceux, rares, qui s’y sont soumis déplorent à 65 % que « les résultats des entretiens n’aient pas été utilisés » par leur entreprise (lire Entreprise & Carrières n° 1076). Les cadres ne sont pas mieux lotis : seuls 11 % l’ont réalisé, selon une enquête de l’Apec parue le 17 décembre 2011. Mais surtout, 42 % d’entre eux sont déçus, constatant qu’il n’a eu aucun effet sur le développement des compétences. Deux tiers attendent toujours une réponse sur l’aménagement des conditions d’emploi.

Éviter les risques de stigmatisation

Où se situe le problème ? Pour Jean-Christophe Sciberras, président de l’Association nationale des DRH, formaliser ce rendez-vous n’a pas été considéré comme urgent par les entreprises, « qui organisaient déjà pour certaines des entretiens de carrière et des bilans de compétences accessibles à tous les salariés ». Il ajoute que systématiser ce rendez-vous pour chacun est un investissement considérable, puisque « les plus de 45 ans représentent souvent des effectifs importants », mais, surtout, comporte un vrai risque de « stigmatisation des salariés de plus de 45 ans qui ne se vivent pas comme seniors ». Peut-être aurait-il mieux valu « prévoir des entretiens de carrière réguliers pour tous et, éventuellement, des entretiens de seconde partie de carrière à partir de 50 ou 55 ans, comme l’ont prévu certains accords seniors », précise-t-il.

Serge Guérin, sociologue du travail, se demande également s’il était « pertinent de créer ce concept de mi-carrière, comme si la carrière était une chose linéaire qui pouvait se couper en deux. Et créer la borne d’âge de 45 ans pour devenir senior revient à faire aux salariés un procès en vieillissement précoce ».

Outre les risques de stigmatisation que comporte l’outil, il déconcerte les DRH qui ne savent pas comment s’y prendre. « Face à l’entretien de seconde partie de carrière, le DRH est un peu comme une poule qui aurait trouvé un couteau, constate Nicole Raoult, consultante spécialisée dans l’emploi des seniors et dirigeante du cabinet Maturescence. Il se pose mille questions qu’il n’arrive pas à trancher. » Par exemple, au chapitre des problèmes pratiques : faut-il coupler cet entretien à celui d’évaluation ou aux autres entretiens ? Qui doit prendre en charge l’entretien : la DRH, qui maîtrise mieux les stratégies et les solutions existant dans l’entreprise, ou le manager direct, qui connaît bien le salarié ? Ne vaut-il pas mieux déléguer l’entretien à un consultant extérieur devant qui le salarié se sentira plus libre de parler ?

Réaliser une grille d’entretien apparaît tout aussi compliqué. Si le sujet de la formation professionnelle s’impose, d’autres thèmes apparaissent plus délicats : « Comment traiter du vécu au travail, des envies de mobilité ou des conditions de travail ?, se demande Fabienne Caser, chargée de mission de l’Anact. Sans oublier la santé au travail, qui nécessiterait peut-être un entretien confidentiel avec le médecin du travail. »

Reste une interrogation de fond : quelle est la finalité de l’entretien ? Ces bilans font inévitablement remonter les aspirations et besoins des salariés après 45 ans. « Pour éviter de créer des frustrations, l’entreprise doit prévoir des réponses, commente Nicole Raoult. Et on comprend que les DRH hésitent à secouer le cocotier de certains sujets comme la mobilité interne ou la charge de travail, pour lesquels ils n’ont pas toujours de solutions. »

Répondre aux aspirations et aux besoins

Dès lors qu’il aborde librement toutes les questions, l’entretien appelle nécessairement l’entreprise à formaliser des réponses aux besoins des seniors. « C’est pour cette raison qu’il tarde à se mettre en place, estime Laurent Berger, secrétaire national en charge de l’emploi de la CFDT. Les DRH savent que ce rendez-vous risque de révéler les carences des entreprises qui n’ont toujours pas imaginé les mesures permettant d’améliorer les conditions de travail en fin de carrière. »

La conduite d’entretiens de ce type, qui laissent la place aux aspirations des salariés, implique aussi de « quitter la vision essentiellement utilitaire de la main-d’œuvre pour investir dans de nouvelles pratiques d’échanges et de réflexion commune », ajoute-t-il.

Sylvain Niel, président du Cercle des DRH, est d’accord : « Ce rendez-vous implique que l’entreprise cherche des solutions sincères avec le senior pour assurer son maintien dans l’emploi. Cela voudra dire alléger la charge de travail, décliner la formation, prévenir les risques. Or, ce changement culturel n’a pas encore été opéré dans les entreprises où les plans seniors ont surtout relevé de l’affichage. »

Les sujets sensibles peu abordés

Dans ce contexte, on peut comprendre que les salariés hésitent à se rendre à ces entretiens qui, lorsqu’ils existent, relèvent parfois seulement d’une opération de communication, n’abordent pas les sujets les plus sensibles (conditions de travail, mobilité), ou ne sont pas suivis d’effet.

Mais surtout, de l’aveu de différents consultants, ces bilans sont parfois détournés de leur objectif initial : la commande de l’employeur est d’utiliser cet entretien pour aider certains salariés âgés à partir, en les encourageant, y compris financièrement, à se lancer dans des aventures personnelles. « Certains employeurs souhaitent clairement utiliser cet outil pour accompagner les salariés vers la sortie », précise Cyrille Pelegrin, directeur général d’Add’if, cabinet spécialisé en communication sociale.

Le développement des entretiens de seconde partie de carrière est-il condamné ? « Non, c’est juste une question de temps, commente Alexia Develay, d’Opcalia Rhône-Alpes. Nous en sommes aux balbutiements, il faudra peut-être encore quatre ou cinq ans, parce que les entreprises ont aussi d’autres urgences. »

Néanmoins, sur le terrain, les choses avancent doucement. Les Opca ont formé 300 managers RH de 170 entreprises sur le sujet en 2009. En Rhône-Alpes, Alexia Develay aide régulièrement des entreprises. Même écho à l’Anact, où Fabienne Caser constate que « les DRH sont de plus en plus nombreux à solliciter l’aide des Aract pour préparer l’entretien ». Chez Hominis et Add’if, les consultants confirment que l’entretien suscite des demandes et des questions.

« C’est aussi la responsabilité des syndicats que de faire connaître l’existence de ce droit », estime Jean-Luc Gueudet, à la CFDT, qui appelle à une remobilisation des salariés. « Ce sujet ancien n’a jamais été une priorité. L’urgence a été de conserver les emplois sur les différents sites. Mais il nous faudra aussi anticiper. Les questions liées aux fins de carrière seront essentielles pour l’avenir. »

Au final, ce sont sûrement les juges qui imposeront aux entreprises de se conformer à cette obligation. « Les entreprises doivent comprendre qu’elle courent un risque juridique, commente Alice Fages, juriste en droit social. Le salarié pourra, notamment lors de la rupture du contrat de travail, invoquer l’existence d’un préjudice. »

Discrimination par l’âge

Pour Sylvain Niel, également avocat au cabinet Fidal, cela ne fait aucun doute : « Les entreprises risquent demain de voir annuler leurs procédures de licenciement. Les griefs contre un salarié qui n’atteindrait pas ses objectifs seront balayés si l’entretien de mi-carrière ne lui a pas été proposé. Le juge estimera que cela a été néfaste à son employabilité, sanctionnera le licenciement abusif et exigera sa réintégration. » Il pourra même, face à un senior, considérer qu’il y a eu également une discrimination par l’âge.

L’ESSENTIEL

1 Les entretiens de seconde partie de carrière tardent à se mettre en place. Et, quand ils sont proposés, ils déçoivent les salariés.

2 Recueillir les aspirations des seniors est compliqué pour des entreprises qui ont rarement des réponses à leur proposer.

3 Quand ils sont organisés, ces bilans assurent pourtant une remotivation des seniors et incitent le management à envisager des stratégies d’avenir.

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES