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« Les prud’homales pourraient être le cadre pertinent pour mesurer la représentativité patronale »

Enjeux | publié le : 07.02.2012 | MARTINE ROSSARD

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« Les prud’homales pourraient être le cadre pertinent pour mesurer la représentativité patronale »

Crédit photo MARTINE ROSSARD

La représentativité des organisations patronales peut-elle s’inspirer des critères définis pour les syndicats de salariés ? Les enjeux : la légitimité des organisations d’employeurs pour la signature d’accords, leur extension et la participation aux instances paritaires ou consultatives.

E & C : Les syndicats de salariés doivent être représentatifs pour négocier. Est-ce également nécessaire pour les organisations d’employeurs ?

Nicole Maggi-Germain : Depuis 1936, un accord ou une convention collective ne peut être étendu par le ministre du Travail que s’il a été signé par des organisations représentatives, y compris patronales. La loi du 20 août 2008 exige désormais des organisations syndicales de salariés qu’elles fassent la preuve de leur représentativité. On ne peut se contenter d’une présomption de représentativité pour les organisations patronales. Les partenaires sociaux devaient d’ailleurs négocier sur ce sujet avant le 30 juin 2010. Mais les organisations d’employeurs n’y semblent pas prêtes, sauf la CGPME. Et les syndicats de salariés demeurent en retrait sur la question.

E & C : Quels contours donner à la représentativité patronale ?

N. M.-G. : C’est la loi de 1936 qui, créant le mécanisme de l’extension, pose comme condition la nécessaire représentativité des organisations signataires. En rendant applicable un accord à des employeurs ou à des salariés ni signataires ni adhérents d’une organisation signataire, l’extension s’inscrit en porte-à-faux avec les principes du Code civil. Ce caractère exorbitant du droit commun est contrebalancé par l’exigence de représentativité dans le champ d’application de l’accord. Les critères énumérés par le Code du travail avant la loi de 2008 – effectifs, indépendance, cotisations, expérience ou ancienneté, attitude patriotique pendant l’Occupation – ont pu, sous le contrôle du juge administratif, être appréciés et appliqués de manière très souple par les services du ministère du Travail. D’un point de vue historique, la reconnaissance de représentativité est consubstantielle à la négociation collective, mais il existe aujourd’hui d’autres fonctions et usages, comme le fait de siéger dans des instances paritaires de branche, des commissions d’homologation, des organismes consultatifs.

E & C : Faudrait-il distinguer deux niveaux de représentativité ?

N. M.-G. : Aux côtés de la représentativité permettant de signer des accords susceptibles d’être étendus, on pourrait en avoir une autre, allégée. Déjà, l’UNAPL (Union nationale des professions libérales) et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), bien que non-représentatives au niveau national interprofessionnel, siègent notamment à la Commission nationale de la négociation collective.

Aujourd’hui, les employeurs de l’économie sociale ne bénéficient pas de cette représentativité alors qu’ils comptent 10 % des salariés et ont recueilli 19 % des suffrages aux dernières élections prud’homales. Faute de réponse de la part du ministère du Travail, l’Usgeres (Union des syndicats et groupements d’employeurs représentatifs dans l’économie sociale) a saisi le Conseil d’État en vue de siéger notamment à la Commission nationale de la négociation collective, au Conseil de la prud’homie et à l’Anact.

E & C : Quels critères seraient pertinents ?

N. M.-G. : La mesure de la représentativité des organisations d’employeurs incombe, aujourd’hui encore, à l’administration. Si elle s’appuie sur des critères cumulatifs définis à l’article L . 2121-1 du Code du travail, elle a aussi élaboré sa propre doctrine, faisant prévaloir le critère des effectifs avec beaucoup de souplesse. Il semble aujourd’hui nécessaire de fixer ces pratiques en retenant les critères de la loi de 2008 – effectifs, cotisations, influence, activité, expérience, ancienneté de deux ans, transparence financière, respect des valeurs républicaines. On pourrait ajouter le fonctionnement démocratique. Cette représentativité “allégée”, donc sans mesure de l’audience, permettrait de siéger dans des instances consultatives. Pour la représentativité pleine et entière, un seuil d’audience pourrait être requis.

E & C : Que préconisez-vous pour mesurer l’audience ?

N. M.-G. : Ce second niveau serait acquis par les élections en appliquant le principe “une entreprise = une voix”, sans chercher de pondération selon les effectifs ou le chiffre d’affaires. Au niveau national, les élections prud’homales, qui distinguent déjà les activités diverses, le commerce, l’industrie et l’agriculture, pourraient être le cadre pertinent. Seraient représentatives, toutes catégories confondues, les organisations ayant obtenu au moins 15 % des voix des inscrits (et non des votants), seuil permettant d’asseoir leur légitimité. À défaut, la représentation ne serait que sectorielle. Les organisations pourraient constituer des alliances et définir par accord la répartition des voix. Par ailleurs, des élections pourraient être organisées dans le cadre des commissions paritaires pour établir la représentativité – à partir de 15 % – au niveau des branches.

E & C : Quels seuils pour la validité ou l’extension d’accords ?

N. M.-G. : Quel que soit le niveau de négociation, un seuil de 30 % des suffrages exprimés pourrait être requis pour les conventions et accords collectifs ordinaires avec droit d’opposition reconnu aux non-signataires cumulant 50 % des voix. Pour les conventions et accords susceptibles d’être étendus, un seuil de 50 % des suffrages exprimés serait pertinent, tout en laissant la faculté à l’administration de s’opposer en cas de chevauchement de branches.

SON PARCOURS

• Nicole Maggi-Germain est maître de conférences en droit social à Paris 1 Panthéon-Sorbonne (institut des sciences sociales du travail), membre du laboratoire nantais Droit et changement social (GIP-MSH Ange-Guépin) et chargée d’enseignements en master 2 à la faculté de droit de Nantes et à Jean-Monnet (Paris-Sud 11).

• Elle a coordonné, avec Jean Pierre Le Crom, l’étude sur la construction de la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs (Dares, 2011).

• Elle a publié dans la revue Droit social un article sur “La représentativité des organisations professionnelles d’employeurs” (novembre 2011).

SES LECTURES

• Ce que travailler veut dire. Une sociologie des capacités et des parcours professionnels, Bénédicte Zimmermann, Économica, 2011.

• L’Esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Alain Supiot, Seuil, 2010.

• Ce que l’Occident ne voit pas de l’Occident. Conférences au Japon, Pierre Legendre, Mille et une nuits, 2004.

Auteur

  • MARTINE ROSSARD