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« S’aliéner les syndicats représentatifs serait néfaste pour le climat social »

Enjeux | publié le : 22.11.2011 | MARTINE ROSSARD

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« S’aliéner les syndicats représentatifs serait néfaste pour le climat social »

Crédit photo MARTINE ROSSARD

La réforme de la représentativité fait décliner les stratégies antisyndicales et oblige les directions à chercher des interlocuteurs tournés vers la négociation. Enjeux : trouver des signataires dégageant une majorité de 30 %.

→ E & C : Vous présentez ce 25 novembre à la Dares l’étude menée par le laboratoire Triangle sur la loi du 20 août 2008 et ses implications sur les pratiques syndicales. Cette loi a-t-elle renforcé la légitimité des acteurs syndicaux ?

Sophie Béroud : La position commune et la loi du 20 août 2008 visaient à rapprocher la légitimité syndicale de la légitimité électorale : nécessité pour un syndicat de recueillir 10 % des suffrages chez les titulaires au CE pour être représentatif et pour désigner un délégué syndical (DS) ; nécessité pour celui-ci de se présenter aux élections et de recueillir sur son nom 10 % des voix. Mais ces dispositions entraînent des biais et une certaine confusion ente l’activité du CE et celle du DS. Certains DS ne cachent pas qu’ils ne souhaitent pas siéger au CE, car il s’agit de réunions et d’activités qui s’ajoutent à leur mandat et aux négociations. À l’opposé, on voit des syndicats mener des campagnes de type “clientélistes” en s’appuyant sur la gestion des activités sociales et culturelles, ce qui ne clarifie pas le rôle essentiel du syndicat.

→ E & C : La réforme a-t-elle favorisé la simplification du paysage syndical, objectif affiché par ses promoteurs ?

S. B. : Nous avons constaté une simplification dans quelques entreprises monoétablissement, où certains syndicats n’ont pas atteint les 10 % nécessaires à la représentativité et ont donc disparu comme acteurs de la négociation. Mais, dans les grands groupes pluriétablissements, une représentativité plus complexe, à géométrie variable, est apparue. En effet, la configuration syndicale au niveau de l’entreprise varie au fur et à mesure des élections dans les différents établissements et de l’importance des différentes catégories socioprofessionnelles participant aux élections. Ces élections successives engendrent une forte instabilité, y compris pour les DRH, qui n’ont plus face à eux des négociateurs syndicaux assurés d’un mandat pérenne. Alors que, pour signer des accords, ces DRH doivent trouver des signataires représentant au moins 30 % des suffrages exprimés au niveau global.

→ E & C : Cette nécessité a-t-elle engendré des modifications dans l’attitude des directions ?

S. B. : Elle incite les directions à mieux intégrer le fait syndical et les dissuade de toute tentative de rejet. Les stratégies antisyndicales apparaissent en déclin, car elles ont perdu leur sens dans les entreprises où les directions misaient précédemment sur de petites organisations dont la signature était assurée. De même, le syndicat maison ne présente plus d’intérêt s’il n’est pas représentatif. Désormais, les directions doivent anticiper, car elles ont besoin, face à elles, de syndicats tournés vers la négociation et susceptibles de dégager cette majorité de 30 %. S’aliéner les syndicats représentatifs serait néfaste pour le climat social. Généralement, le DRH conclut des accords de droit syndical pour donner des moyens aux équipes et pour assurer, comme le veut la loi du 20 août 2008, que la carrière des syndicalistes ne sera pas pénalisée. Certains continuent même à donner accès à l’information aux représentants des sections syndicales qui, sinon, sont rapidement marginalisés et perdent toute chance de reconquérir leur représentativité. Par ailleurs, les différents niveaux hiérarchiques sont invités à adopter un discours plus positif à l’égard de l’action syndicale.

→ E & C : Ces accords de droit syndical permettent-ils une amélioration de l’exercice du droit syndical ?

S. B. : C’est un important terrain de bataille, car il s’agit de disposer de moyens notamment en heures, déplacements et communication, et donc de la possibilité de faire campagne, pas uniquement au moment des élections. Certaines entreprises profitent de la renégociation des accords de droit syndical pour modifier le périmètre ou la configuration des instances représentatives du personnel. D’autres entendent limiter le nombre des délégués du personnel en contrepartie d’une augmentation du nombre de sièges au CE. On constate souvent une concentration des moyens sur les délégués centraux. Avec une verticalisation et une professionnalisation de certains représentants syndicaux au détriment, regrettable, des élus de terrain, notamment des délégués du personnel.

→ E & C : Les menaces pesant sur la représentativité de certaines organisations syndicales sont-elles avérées ?

S. B. : La CFTC connaît une crise interne très forte. Là où elle perd sa représentativité, l’équipe éclate généralement avec des départs individuels ou collectifs vers d’autres syndicats, ou des scissions internes avec création d’un nouveau syndicat. La CGC est moins menacée dans l’immédiat. Quand elle est bien implantée dans la maîtrise et l’encadrement, elle cherche souvent à devenir intercatégorielle et à élargir son assise en présentant également des candidats dans le premier collège. Mais la CGC et les syndicats catégoriels pourraient être conduits à faire un choix qui deviendrait impératif pour toutes les entreprises où ils se présentent : rester catégoriel ou devenir intercatégoriel. Au niveau des entreprises, certains syndicats bien installés, voire en position dominante, ont été déstabilisés par les nouvelles règles. Des équipes fortement implantées chez les agents d’exécution mais pas dans la maîtrise et l’encadrement n’ont pas atteint les 10 % requis. Le nombre de collèges et la répartition des salariés dans les collèges deviennent des enjeux forts. Les contentieux se multiplient sur les protocoles préélectoraux.

→ E & C : Quels sont les résultats de l’enquête qui vous ont le plus surprise ?

S. B. : C’est le décalage entre les responsables confédéraux qui ont négocié et signé la position commune et des équipes syndicales qui tardent à intégrer les changements. Certaines restent dans la gestion de leurs acquis, éventuellement sur un seul collège, sans voir que, faute d’atteindre 10 % d’audience dans l’entreprise, elles vont perdre leur représentativité. Des délégués ne cachent pas leur incompréhension, voire leur opposition aux nouvelles règles. Alors que d’autres sont immédiatement entrés dans une logique de conquête de nouveaux adhérents et de nouvelles voix. L’autre surprise est de voir que les organisations les plus critiques comme Solidaires ou l’Unsa bénéficient finalement de la nouvelle loi, puisqu’elle leur permet de s’implanter via des représentants de section syndicale et d’accéder à la représentativité sans passer par une longue procédure en justice.

PARCOURS

• Sophie Béroud est maître de conférences en science politique à Lyon 2 et membre du laboratoire Triangle (UMR CNRS). Elle a dirigé à ce titre l’enquête commandée par la Dares sur la loi du 20 août 2008.

• Elle a coordonné, avec Paul Bouffartigue, Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ? (La Dispute, 2009) et coécrit La Lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine (Le Croquant, 2008).

SES LECTURES

• On bosse ici, on reste ici ! La grève des sans-papiers : une aventure inédite, collectif, La Découverte, 2011.

• Les Damnées de la caisse. Grève dans un hypermarché, Marlène Benquet, Le Croquant, 2011.

• Le Salaire, un enjeu pour l’euro-syndicalisme, Anne Dufresne, Presses universitaires de Nancy, 2011.

• Syndicats : lendemains de crise ?, Jean-Marie Pernot, Gallimard, 2010.

Auteur

  • MARTINE ROSSARD