La colère gronde. La France qui se lève tôt supporte de plus en plus mal les rémunérations faramineuses des privilégiés. Il semble pourtant que ces rémunérations déjà considérées comme exorbitantes soient largement sous-estimées par le vulgum pecus. À titre d’exemple, les traders employés à Paris par des banques françaises s’apprêtent à toucher en mars prochain entre 900 millions et un milliard de primes, soit l’équivalent de ce que touchent 62 000 personnes payées au smic pendant un an, selon les estimations de l’auteur, Philippe Steiner, professeur de sociologie à Paris 4. Alors que les Français se montrent assez perspicaces quand il s’agit d’estimer les salaires des ouvriers, des instituteurs ou des médecins, ils ont tout faux quand il s’agit d’évaluer ceux des patrons des grandes entreprises. En fixant leurs revenus aux alentours de 70 000 euros mensuels, ils commettent une erreur qui oscille entre 300 % et 500 % selon que l’on tient compte ou non des stock-options et bonus différés. À cet aveuglement, une raison simple : ces rémunérations sont absolument inimaginables au double sens où on a du mal à se les représenter et où elles sont inconcevables d’un point de vue éthique. Les thuriféraires du néolibéralisme ont beau s’ingénier à inventer des arguments pour justifier de pareilles sommes à cause de la concurrence et des qualités personnelles des intéressés, qui pense raisonnablement que la valeur d’un individu puisse être à ce point incomparable à celle du quidam moyen ? Quand on sait que ces rémunérations ne sont pas affectées par les mauvais résultats des entreprises, voire qu’elles peuvent même s’accroître dans le cas des traders en spéculant sur la crise, on comprend qu’il vaille mieux ne pas y voir trop clair pour continuer à supporter la situation.

Les Rémunérations obscènes Philippe Steiner, La Découverte, … pages, 12 euros.