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L’ÉPARGNE RETRAITE AU RALENTI

Enquête | publié le : 08.11.2011 | CAROLINE FORNIELES

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L’ÉPARGNE RETRAITE AU RALENTI

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

L’épargne retraite ne progresse que lentement dans les entreprises. Sa croissance n’a pas été dopée par la réforme des retraites, et les évolutions législatives ou jurisprudentielles maintiennent quelques incertitudes. Par ailleurs, la crise ne favorise pas la générosité de l’employeur, et l’adhésion des salariés implique un gros travail de pédagogie.

« En cette période de crise, les entreprises ne se précipitent pas massivement sur l’épargne retraite », analyse Hubert Clerbois, président d’EPS Partenaires, qui observe la stagnation des signatures d’accords sur le sujet. Une tendance que confirme l’enquête Focus C & B d’Adding présentée le 20 octobre : la moitié des entreprises interrogées se déclarent dotées d’un régime à cotisations définies (article 83), et seules 40 % d’un plan d’épargne retraite collectif (Perco). Des taux d’équipement quasi similaires à ceux de 2010. Les versements volontaires sur les articles 83, qui concernent plus de 3,5 millions de salariés, ont enregistré une croissance très modeste (+ 4 %) en 2010, note la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA). Certes, l’Association française de gestion financière (AFG) témoigne d’une croissance dynamique du Perco (+ 39 % entre juin 2010 et juin 2011), avec 20 % d’entreprises supplémentaires adhérentes. Néanmoins, le dispositif ouvert en 2004 ne concerne encore que 134 000 entreprises et 900 000 salariés. Et les encours du Perco restent modestes (4,8 milliards d’euros en juin 2010) comparés à ceux de l’article 83 évalués à plus de 39 milliards d’euros.

Versements individuels facultatifs

« La réforme des retraites a peu misé sur l’épargne retraite, un sujet potentiellement délicat pour un gouvernement qui prétendait maintenir la pérennité du régime par répartition », rappelle Bruno Chrétien, fondateur gérant de la société de conseil Factorielles. Néanmoins, les députés ont imposé quelques modifications qui devaient doper le marché, notamment la possibilité donnée aux salariés de faire des versements volontaires sur les articles 83. Au final, elle n’a été ouverte que dans 37 % des entreprises, indique l’enquête Focus C & B. « Ce n’est pas étonnant, les assureurs ont mis beaucoup de temps à modifier leur organisation pour permettre ces versements individuels facultatifs, commente Gilles Briens, du cabinet d’avocats Fromont Briens. Cela fait seulement quelques semaines qu’ils sont prêts. »

Cette modification législative ne produira donc des effets sur le marché qu’à partir de 2012. Mais Patrice Bonin, de la FFSA, se dit convaincu que « cette évolution va favoriser une croissance significative des articles 83 ». L’enquête Focus montre en tout cas que 41 % des entreprises déjà détentrices d’un article 83 ajouteront cette option.

L’autre nouveauté de la réforme des retraites en matière d’épargne d’entreprise est d’imposer aux sociétés disposant d’une “retraite chapeau” réservée à une catégorie de salariés, d’ouvrir un article 83 ou un Perco pour tous d’ici au 1er janvier 2013. En pratique, elles semblent plutôt s’orienter sur le Perco, moins coûteux qu’un article 83 où l’employeur participe aux cotisations. Hubert Clerbois prévient qu’il y aura inévitablement « un certain nombre de Perco “Canada Dry”, sans abondement réel, l’employeur se contentant d’en payer les frais de gestion ». Chez Renault, qui négocie un Perco pour respecter l’obligation légale, les syndicats dénonçaient précisément la très faible contribution prévue par le constructeur.

Abondement déterminant

Patrice Plouvier du cabinet Mercer est plus positif : « Mettre en place l’outil permet déjà aux salariés de verser de l’épargne et de bénéficier des conditions fiscales avantageuses. Rien n’empêche ensuite la mise en place d’abondements plus importants. » Il considère également que le fléchage auto­matique de 50 % de la participation dans le Perco, quand les salariés ne se prononcent pas, « devrait contribuer à doper les Perco ».

Actuellement, seuls 37 % des salariés se servent de leur Perco contre 67 % pour le PEE (plan d’épargne d’entreprise), montre l’enquête Focus C & B. « Pour inciter les salariés, qui ont un pouvoir d’achat limité, le niveau de l’abondement est déterminant », note Pierre Havet, de l’ANDRH. Chez Mersen (ex-Carbone Lorraine), le Perco favorise même plutôt les petits investissements : « L’abondement est de 300 % pour les versements de 100 euros et décroît progressivement à 25 % au-delà de 400 euros, commente Fabienne Lesca, responsable rémunération et avantages sociaux. Nous avons eu aussi recours au versement d’amorçage de 100 euros brut pour inciter les salariés à s’engager. » Selon Natixis Interépargne, l’abondement annuel moyen se situerait tout de même autour de 700 euros. Et de plus en plus de salariés alimenteraient aussi leur Perco avec l’intéressement, la participation, voire avec leurs congés non pris (lire encadré p. 26).

Reste qu’il n’est pas simple de s’engager sans moyens importants. En témoigne la négociation qui s’est déroulée à BNP Paribas en juin dernier, où l’on a tenté d’améliorer l’épargne retraite en rognant sur d’autres avantages : « La direction nous a proposé de créer un article 83 en supprimant certaines primes. Nous avons refusé en bloc », relate ainsi Hélio Alcamiz, de la CFDT. Mais il n’est pas forcément utile de vouloir mettre en place tous les dispositifs à la fois. « Chaque entreprise doit voir en fonction de sa situation quelle est la solution d’épargne retraite la plus adaptée à sa situation économique et aux besoins de ses salariés », rappelle Hubert Clerbois.

Aléas de la législation

En attendant, les DRH qui s’engagent « vont inévitablement se confronter aux aléas de la législation, souligne Gilles Briens. Le forfait social (qui pèse notamment sur l’intéressement, la participation et les abondements, NDLR) est passé depuis sa création de 4 % à 8 %. Et nous n’avons aucune assurance sur le fait que le taux n’augmentera pas encore ». Les critiques de la Cour des comptes vis-à-vis des avantages fiscaux de l’épargne retraite (4,1 milliards d’euros en 2011), qui bénéficient surtout aux plus aisés, font craindre une nouvelle hausse. « Qualifier l’épargne salariale de niche fiscale est une analyse trop rapide, regrette Dominique Coudert, directeur général délégué de Natixis Interépargne, les dispositifs bénéficient aussi aux plus modestes. Une taxation au même niveau que les salaires provoquerait nécessairement un ralentissement, voire un coup d’arrêt. »

Risque d’inégalité de traitement

Autre aléa juridique : les critères permettant d’être reconnu comme un contrat collectif donnant droit aux exonérations de charges. Le projet de décret, qui doit paraître très prochainement, ne lèvera pas, selon les juristes, toutes les incertitudes (lire Entreprise & Carrières n° 1 066). « Et le risque de se voir attaquer par un salarié mécontent pour inégalité de traitement persiste », souligne Stéphane Béal, du cabinet Fidal. « Qui pourra par exemple empêcher un assimilé cadre de considérer qu’il aurait pu bénéficier d’un article 83 réservé aux cadres ? », ajoute Xavier Pignaud, du cabinet Rigaud Avocats.

L’égalité homme-femme s’est également invitée dans le débat. Une jurisprudence de mars 2011 engage à supprimer les différences de montant entre les rentes perçues par les femmes et par les hommes. « Celles-ci perçoivent des rentes inférieures car elles vivent plus longtemps, souligne Norbert Gautron, actuaire chez Galea & Associés. Quand on convertit le capital en rente, méca­niquement, elles reçoivent moins, mais plus longtemps. Certains assureurs ont déjà modifié leurs contrats à la baisse pour les hommes, de façon à accorder le même niveau aux deux sexes. Cette évolution semble inéluctable. »

La question du montant du capital nécessaire pour bénéficier d’une rente correcte reste un point sensible : « DRH et salariés n’en ont généralement aucune idée précise. Pour obtenir 300 euros mensuels, il faudra 100 000 euros d’épargne, ce qui n’est pas rien ! », rappelle Norbert Gautron. Et sur ce sujet, la communication des gestionnaires de compte est souvent défaillante. « Les salariés reçoivent leurs premiers relevés de compte avec des montants de rente ridicule, commente Hubert Clerbois. Il faudrait plutôt communiquer sur les montants dans la durée, surtout si on veut inciter les plus jeunes à investir. »

Ces relevés de compte manquent souvent de clarté, avec des termes trop techniques qui brouillent la compréhension. « Parce que les outils sont complexes à appréhender, il faut développer des formations dans les entreprises. L’information doit être poursuivie tout au long de la carrière pour permettre au salarié de maîtriser son épargne », ajoute-t-il. Et en ces temps de remous boursiers, il convient aussi d’informer sur les risques financiers (lire p. 27).

Outre les problèmes de compréhension, l’épargne retraite reste un avantage social moins prisé des salariés que la mutuelle santé, voire les titres restaurants. « Il faut communiquer sur l’intérêt financier : pour un même montant versé par l’employeur, le salarié récupère une somme supérieure du fait des charges moindres. Ainsi 1 500 euros se convertiront en 1 303 euros d’épargne, contre 640 euros pour du salaire », rappelle Hubert Clerbois.

Mais attention, il n’est pas toujours astucieux de mettre en parallèle les avantages financiers de l’épargne retraite et le salaire dans un bulletin social individualisé : « Tout dépend du climat social dans l’entreprise, poursuit-il. Face à de faibles augmentations, les salariés risquent de considérer que cet avantage a été financé en rognant sur les salaires. »

Pour les DRH, l’intérêt apparaît surtout au moment des embauches : « Je présente toujours notre offre d’épargne retraite. Les salariés y sont de plus en plus sensibles », souligne Pierre Havet, également DRH à la RIVP. C’est un atout qui « permet parfois de convaincre un cadre convoité par la concurrence », précise Fabienne Lesca.

La responsable rémunération et avantages sociaux de Mersen constate en effet que les mentalités évoluent : « En 2007, les syndicats ont refusé de s’engager au motif que c’était une menace pour la retraite par répartition. Fin 2009, le débat était dépassionné et ils ont accepté la mise en place d’un Perco et d’un Plan d’épargne retraite d’entreprise (PERE). » Bruno Chrétien invite à aller plus loin en « utilisant l’épargne retraite comme un vrai outil de motivation ». Certaines entreprises, à l’image de CFAO (lire p. 28), prévoient déjà des abondements à leur Perco supérieurs en cas d’amélioration des bénéfices.

Un bel avenir

Au final, la dégradation des comptes sociaux promet, selon les différents experts, un bel avenir à l’épargne retraite d’entreprise. « Parce que les niveaux de la retraite obligatoire et complémentaire vont inévitablement diminuer, elle deviendra aussi courante que la mutuelle santé d’ici un à quinze ans », pronostique Gilles Briens. Une évolution que les jeunes salariés ont pris en compte, si on en croit l’étude BNP Parisbas/Altedia : 72 % considèrent que les entreprises « devraient obligatoirement les aider à préparer leur retraite ». D’ailleurs, en attendant la généralisation des outils d’épargne retraite, beaucoup de salariés conservent leur investissement dans le PEE jusqu’à leur départ.

L’ESSENTIEL

1 L’épargne retraite est freinée par la crise, et les quelques mesures de 2010 qui devaient la développer n’ont pas encore été traduites dans les faits.

2 Sa progression est pénalisée par une législation instable. Et la nouvelle hausse du forfait social inquiète.

3 L’information des épargnants doit être améliorée, surtout en période de remous sur les marchés financiers.

CET : moins de congés et plus de retraite

De plus en plus de salariés affectent sur leur article 83, Perco ou Pere, la valeur monétaire des jours de congés non pris. Près de 70 % des entreprises interrogées détentrices d’un Perco ont mis en place cette passerelle, selon l’enquête Focus B&C 2011 d’Adding. Cela concerne par exemple 27 % des entreprises détentrices d’article 83. " C’est avantageux pour l’entreprise qui dégonfle son passif social et paye des charges réduites, commente Dominique Coudert de Natixis Interépargne. Et pour le salarié, c’est un gain en termes de fiscalité. " Les sommes transférées bénéficient d’une exonération de cotisations patronales.

En l’absence de CET (compte épargne temps), le salarié peut épargner jusqu’à 5 jours par an, si un CET a été mis en place, la limite est de 10 jours par an. Natixis Interépargne a constaté en outre que l’abondement versé dans ce cadre par l’employeur était significatif (en moyenne de 305 euros).

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES