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« La qualité des relations au travail est déterminante pour la performance »

Enjeux | publié le : 04.10.2011 | PAULINE RABILLOUX

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« La qualité des relations au travail est déterminante pour la performance »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

La reconnaissance de l’implication des salariés et de leur personne coûte peu en termes monétaires mais se révèle un levier puissant de motivation des équipes. Un certain nombre de blocages culturels y font cependant encore obstacle.

E & C : L’entreprise ne vous semble pas répondre aux attentes des collaborateurs en termes de reconnaissance. Quelle en est la raison ?

Sylvie Le Faucheur : Les exigences accrues de performance dans un contexte de mondialisation ont entraîné des changements profonds dans l’organisation du travail. L’émergence de la notion de compétence et l’individualisation des conditions de travail ont rendu le travail plus abstrait, moins humain, en ce que le résultat tend à prévaloir sur les aspects relationnels. La compétence se monnaie, elle fait l’objet d’une rétribution à partir à la fois de ce qui en constitue la promesse de départ, le diplôme ou la qualification, et de son résultat : la performance des individus appréciée en termes quantitatifs. Cette reconnaissance monétaire, alors qu’elle s’est individualisée, tend cependant à gommer les aspects existentiels en rapport avec la personne, ses efforts, sa bonne volonté. En employant le terme de « reconnaissance au travail », j’entends mettre l’accent sur ces aspects relationnels qui permettent aux individus de se sentir pris en compte au sein des équipes. Cette reconnaissance émanant des managers directs ou des collaborateurs, qui savent apprécier à sa juste valeur le travail réalisé, est la seule qui fasse véritablement sens. L’expérience montre que, même dans le cas d’une forte motivation financière, l’engagement de l’individu n’est acquis au long cours que si ces aspects humains ne sont pas négligés. Le salaire n’est pas tout, la qualité des relations au travail est également déterminante pour la performance.

E & C : Quels problèmes cette méconnaissance entraîne-t-elle ?

S. L. F. : Nous abordons là les questions liées aux conditions de travail ou de mal-être, qui alimentent aujourd’hui les inquiétudes relatives aux risques psychosociaux dans l’entreprise. Sans aller jusqu’aux souffrances au travail, le fait de braquer les projecteurs uniquement sur les aspects quantitatifs, sur la croissance des profits et des parts de marché, conduit à un désengagement des salariés, qui institue dans l’entreprise une sorte de morosité peu propice à la performance. La crise de 2008-2009 n’a fait qu’aggraver les choses, mais le problème préexistait. Un contexte de dépression économique et de menace sur l’emploi, en effet, renforce ce sentiment de déprime collective. Les salariés, obligés de s’accrocher à leur emploi, le font le plus souvent sans conviction. Au niveau RH, cela se mesure en termes d’absentéisme, de turnover, mais surtout dans les termes plus pervers du présentéisme. Le salarié reste bel et bien présent dans l’entreprise, mais il n’est plus motivé et ne se fatigue plus à remplir ses objectifs. Il n’a plus le cœur à l’ouvrage. Il va sans dire que le coût de ces comportements est d’autant plus préjudiciable que, justement, les temps sont durs et qu’il faudrait au contraire pouvoir compter sur l’engagement de tous les collaborateurs. À défaut d’avoir toujours les moyens de motiver financièrement les salariés, il est clair que les directions auraient d’autant plus intérêt à ne pas négliger ce levier de la motivation qu’il contribue à leur performance sociale et qu’il ne coûte rien ou pas grand-chose.

E & C : Pourquoi ne le font-elles pas ?

S. L. F. : Ce n’est pas par simple inadvertance que les entreprises ont oublié de se servir de ce formidable levier qu’est la reconnaissance du travail effectué. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette dérive utilitaire des relations de travail. La première d’entre elles est sans doute organisationnelle. Dans le temps même où on dégraissait l’encadrement intermédiaire pour faire des économies et accroître la productivité, on mobilisait l’essentiel de l’énergie des managers sur des tâches de contrôle et de reporting qui, certes, permettent théoriquement de mieux surveiller la performance, mais qui, de fait, éloignent les managers de leurs équipes. Le temps passé à collationner les chiffres n’est pas du temps de management des hommes et le responsable, plongé dans ses tableaux de bord, devient un manager lointain, qui se soucie davantage de ce que rapportent les collaborateurs que de savoir qui ils sont. Pris entre le marteau des directions générales et l’enclume du travail concret, les managers débordés paraissent aux salariés au mieux incapables de les prendre en compte, au pire, à la solde du patron sans considération pour les personnes.

Une seconde raison explique l’oubli de cette dimension essentielle de la reconnaissance : le fait que performer n’est plus aujourd’hui considéré comme une prouesse dont on devrait être remercié, mais comme une obligation. Comment serait-on reconnaissant à chacun de ce qu’il fait quand, par principe, il est censé faire toujours plus ? Dans un monde où tout s’accélère, le temps d’attention aux autres tend à être perçu comme du temps perdu : chacun, stressé par des exigences toujours plus nombreuses, prend d’autant moins le temps de reconnaître le travail d’autrui qu’il est lui-même pris par le temps et l’angoisse de ne pas parvenir à boucler ses propres objectifs.

Dernière raison, enfin : sur fond de lutte généralisée pour conserver sa place et son statut, tout se passe comme si ce qui était concédé à l’autre pouvait venir empiéter sur ses intérêts propres. Pour le manager, remercier le collaborateur pour ses efforts, voire tout simplement les reconnaître, peut être perçu comme une menace de perte d’autorité et de prestige.

E & C : Quelles seraient les conditions efficaces d’une politique de reconnaissance des collaborateurs ?

S. L. F. : L’individualisation des conditions de travail représente assez logiquement un encouragement à l’individualisme. Celui-ci se développe au détriment de l’esprit d’équipe, mais fait également obstacle à la connaissance de l’autre. Or reconnaître, c’est d’abord connaître, et il me semble qu’il convient aujourd’hui d’encourager ce rapport à l’autre par des espaces et des temps dédiés : temps de réunions mais aussi de partage des expériences professionnelles et temps de convivialité. Mais il me paraît aussi urgent d’insister explicitement auprès des managers sur l’importance de la reconnaissance, en introduisant dans le cadre de leur évaluation annuelle ou trimestrielle des critères prenant en compte les aspects sociaux du management d’équipe, par exemple le taux d’absentéisme, de turnover, etc. Certaines directions des ressources humaines commencent d’ailleurs à développer cet aspect social du management dans le cadre de démarches RSE, et l’on ne peut que souhaiter que cette prise de conscience se généralise.

PARCOURS

• Sylvie Le Faucheur est spécialiste des questions de formation et de gestion de carrières. Titulaire d’un DESS en droit social et d’un master 2 RH, elle est conseil en droit social et développement des ressources humaines.?

• Elle est l’auteure de Et si la reconnaissance au travail prenait sa place dans l’entreprise ? (Les éditions du Panthéon, juin 2011).

LECTURES

• Vers une nouvelle gouvernance des entreprises. L’entreprise face à ses parties prenantes, Jacques Igalens et Sébastien Point, Dunod, 2009.

• Quand les cadres se rebellent, David Courpasson et Jean-Claude Thoenig, Vuibert, 2008.

• RH et développement durable, Bernard Calisti et Francis Karolewicz, Éditions d’Organisation, 2005.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX