logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

enquête

REPENSER LE DIF ET SA PORTABILITÉ

enquête | publié le : 24.05.2011 | LAURENT GÉRARD, VALÉRIE GRASSET-MOREL

Image

REPENSER LE DIF ET SA PORTABILITÉ

Crédit photo LAURENT GÉRARD, VALÉRIE GRASSET-MOREL

Le nombre de DIF portables mobilisés par les demandeurs d’emploi connaît une croissance importante depuis le début de l’année. Une révision de son mode de financement semble nécessaire pour en faire un véritable droit personnel à la formation.

Où en est le DIF portable ? Qu’en disent les salariés bénéficiaires ? Quelles sont les analyses des experts sur les pratiques ? Une partie des réponses seront certainement dans le rapport sur le financement du DIF (prévu par la loi du 24 novembre 2009) que le gouvernement a récemment transmis aux parlementaires, mais qui n’a pas été rendu public à ce jour. Nadine Morano, ministre de la Formation professionnelle, en a néanmoins révélé quelques extraits récemment : « 6 % des personnes ont mobilisé leur DIF en 2009, contre 5 % en 2008. Son coût, de l’ordre de 276 millions d’euros pour l’ensemble du dispositif – DIF prioritaire et plan –, reste mesuré. La prise en charge des Opca évolue de plus de 34 %, pour un peu plus de 504 000 signataires en 2009, contre 377 000 en 2008. » Parallèlement, « la montée en charge du DIF portable est lente. Il faut cependant rester vigilant aux coûts potentiels qu’elle pourrait induire ». Le FPSPP a adopté un budget prévisionnel 2011 de 20 millions d’euros au titre de la péréquation du DIF portable, c’est-à-dire la même somme qu’en 2010, qui n’a pas été dépensée.

Une nette montée en charge

Le début de l’année 2011 semble donner raison à la précaution prise par la ministre, car, du côté des Opca, on note une nette montée en charge du DIF portable : « De janvier à avril 2011, nous avons doublé le nombre de dossiers instruits en 2010, soit 450 dossiers au total depuis la mise en place du process en mars 2010 », indique Fabien Roullet, sous-directeur de l’Opca PL (professions libérales). « En un trimestre, nous avons financé autant de DIF portables qu’en 2010, soit 405 dossiers », constate le Fafih, l’Opca de l’hôtellerie-restauration. Dans ces deux organismes, la part des demandeurs d’emploi est écrasante (plus de 95 %) et le niveau d’engagement financier moyen est similaire (630 euros).

De son côté, l’Afdas, Opca du spectacle et de l’audiovisuel, précise que le nombre de stages pris en charge est passé de 153 pour l’ensemble de l’année 2010, à 184 pour la seule période de janvier-mars 2011.

Comment expliquer cette croissance ? Par le fait que l’information passe bien. Et pour cause : les droits au DIF doivent être mentionnés par l’employeur dans la lettre de licenciement (sauf faute lourde) et dans le certificat de travail à l’expiration du contrat (le solde des heures acquises au titre du DIF et non utilisées, la somme correspondant à ce solde, l’Opca auquel l’entreprise verse sa contribution professionnalisation).

Deuxième explication : malgré la minceur de l’enveloppe financière dont disposent les salariés au titre de leur DIF portable, en moyenne 600 euros (1 098 euros en cas de compteur plein : 120 heures x 9,15 euros), ceux-ci n’hésitent pas à mobiliser ce capital pendant leur préavis ou après la rupture de leur contrat de travail, auprès de Pôle emploi ou plus rarement chez leur nouvel employeur. Ce pécule est souvent considéré comme un capital de départ pour une nouvelle vie professionnelle (lire les témoignages p. 24). Ce qui explique que, même lorsqu’ils sont au chômage, ils n’ont pas toujours le réflexe d’aller vers Pôle emploi, mais plutôt vers l’Opca de leur ancien employeur.

Une approche différente

Conséquence : pour les Opca, la gestion du DIF portable des demandeurs d’emploi marque une rupture dans leurs pratiques habituelles. « Les DIF portables correspondent souvent à des choix de vie, témoigne Fabien Roullet de l’Opca PL. Nos conseillers sont confrontés à une approche différente de la formation et à un public nouveau : des demandeurs d’emploi parfois angoissés. Nous avons formé une équipe dédiée au traitement par téléphone des DIF portables, mais nous ne recevons pas les personnes en direct. » Même constat chez Agefos-PME Nord-Picardie : « Tous les conseillers ont au moins une fois par semaine un demandeur d’emploi au téléphone pour une demande de DIF portable. Nous sommes passés d’une forte demande d’information à une forte demande de formation. » A l’Opca Transports, un numéro Azur au prix d’un appel local a été créé pour permettre au chômeur d’obtenir « de façon simple et rapide une information complète sur le DIF portable ». Il centralise et assure le suivi des dossiers de prise en charge de la formation, depuis la demande jusqu’à son règlement.

Reste que ces derniers rencontrent d’autres problèmes : sur le certificat de travail, l’entreprise ne mentionne pas toujours le bon Opca, c’est-à-dire, celui auquel elle a versé sa contribution “professionnalisation” ; et sur le compteur DIF, certains employeurs confondent le nombre d’heures avec le montant en euros. Enfin, les Opca reçoivent souvent des demandeurs d’emploi qui ont déjà payé leur formation et qui demandent a posteriori une prise en charge. « Dans ce cas, on bricole pour remettre les choses dans le bon ordre », confie un Opca.

Bien que le DIF portable se développe sous l’impulsion des demandeurs d’emploi, les experts sont unanimes à penser que l’outil n’est pas abouti et qu’il n’est que la première marche vers un droit réellement attaché à la personne : « Si le salarié bénéficie effectivement d’un droit d’information sur le DIF et sa portabilité, il n’est pas perçu comme un droit au sens littéral par les collaborateurs, car il reste soumis à l’approbation de l’employeur, aux restrictions des priorités de branche et aux disponibilités financières des Opca », constate Sakina Grzegorek, présidente d’Externalis Formation.

Nouveaux débats sur le financement

« Le DIF s’est banalisé, et la création du DIF portable a entériné le fait qu’il n’est plus un problème. L’entreprise se dit : si le salarié veut utiliser son DIF, il le fera en dehors et c’est l’Opca qui paiera. En conséquence, les entreprises qui n’ont pas encore développé le DIF ne le font pas », analyse Marc Dennery, directeur associé de C-Campus. « Le DIF portable n’est pas une solution suffisante et, du coup, il va être géré comme un cofinancement mécanique plus que comme un outil de coopération autour de la sécurisation des parcours », conclut Jean-Pierre Willems, consultant RH. D’où la nécessité, disent-ils, d’ouvrir de nouveaux débats sur le financement du DIF : autonomisation de son financement ? Rapprochement DIF-CIF ? Fusion DIF-Plan ? Création d’un compte personnel alimenté en partie par l’individu et fiscalement aidé (lire Entreprise & carrières n° 1048 p. 8) ?… Un vrai sujet pour une prochaine réforme.

L’essentiel

1 Les Opca témoignent que le nombre de demandes de DIF émanant de demandeurs d’emploi augmente fortement.

2 Le financement actuel de la portabilité du DIF atteint ses limites, selon les experts.

3 Une prise de position toute récente de la DGEFP prône de rendre les Opca obligatoirement redevables.

GÉRALD LEFÈVRE, PRÉSIDENT DU GARF

« 47 % des entreprises déclarent que les compteurs DIF sont encore pleins à plus de 75 %, mais ce chiffre passe à 21 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés. Globalement, on assiste donc à une stagnation des demandes de consommation du DIF dans les petites et moyennes entreprises, alors que dans les grandes, la consommation du DIF est beaucoup plus importante grâce à l’information faite auprès des salariés, à la réalisation des entretiens au cours desquels on parle de l’utilisation du DIF, ou encore à la mise en place d’un catalogue DIF dans certaines sociétés. Stratégiquement, les grandes entreprises ont entrepris de ne pas laisser les compteurs stagner à un haut niveau d’heures acquises, afin d’éviter les à-coups de consommation. Il y a donc toujours un effet taille.

Concernant les financements possibles auprès des Opca, on note qu’une majorité d’entreprises ne fait pas mention de difficultés, mais qu’une petite proportion d’entre elles commence à en faire part. On peut estimer que cette réponse est en lien avec les constats faits à la question précédente : peu d’entreprises, hormis les plus importantes, ont pleinement pris conscience du DIF et des financements possibles, et celles qui font appel aux fonds mutualisés au titre de la professionnalisation et du DIF prioritaire rencontrent peu d’obstacles. »

Auteur

  • LAURENT GÉRARD, VALÉRIE GRASSET-MOREL