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« La féminisation massive du travail ne s’accompagne pas d’un recul significatif des inégalités »

Enjeux | publié le : 17.05.2011 | PAULINE RABILLOUX

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« La féminisation massive du travail ne s’accompagne pas d’un recul significatif des inégalités »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

La crise a encore aggravé la situation des femmes au travail. Car, si elles sont moins au chômage que les hommes, les femmes sont majoritairement représentées dans le sous-emploi : temps partiel, contrats précaires, bas salaires… Alors qu’elles constituent aujourd’hui presque la moitié de la population active, les inégalités professionnelles persistent.

E & C : Quel impact la crise de l’emploi et les difficultés économiques récentes ont-elles eu sur l’emploi des femmes ?

Margaret Maruani : Après trente-cinq ans de crise de l’emploi, l’activité féminine n’a pas cessé de croître. Les femmes représentent aujourd’hui 48 % de la population active en France et 45,3 % en Europe, contre environ 30 % dans les années 1960. La crise de l’emploi n’a donc pas affecté le mouvement de rééquilibrage de la part des sexes sur le marché du travail amorcé depuis 1960. La France à cet égard, à côté de la Finlande, de la Suède, du Danemark et du Portugal, fait même partie du peloton de tête, celui des pays où elles représentent près de la moitié des actifs (entre 47 % et 49 %). Dans la période récente, ce sont elles qui ont assuré l’essentiel de l’augmentation des forces de travail. Cette féminisation de la population active est due dans une large mesure aux transformations des comportements d’activité des femmes en âge d’avoir des enfants. Aujourd’hui, elles restent actives, même avec 2 enfants ou plus. L’activité professionnelle continue est devenue la norme. Le taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans est de 80 %, contre 40 % au début des années 1960. Pour autant, ce rééquilibrage n’a pas cassé les mécanismes de production des inégalités de sexe dans la sphère professionnelle. A côté des inégalités anciennes – écarts de salaires, différences de carrières, ségrégations professionnelles –, de nouvelles disparités ont vu le jour, aggravées encore par la crise, notamment celles concernant le sous-emploi : 80 % des personnes à temps partiel sont des femmes. Dans les deux dernières années, elles ont plutôt moins pâti que les hommes de la recrudescence du chômage. En revanche, le sous-emploi, les bas salaires et la précarité des femmes se sont accrus.

E & C : Pour quelles raisons ?

M. M. : Depuis vingt-cinq ans, on constatait des taux de chômage féminin nettement plus élevés que ceux des hommes – 6,1 % d’hommes contre 10,5 % de femmes en 1983 –, mais les écarts se sont aujourd’hui resserrés – 9,7 % d’hommes en 2010 pour 9,8 % de femmes – sans que l’on puisse encore savoir, faute de recul, s’il s’agit d’un phénomène transitoire dû au fait que le secteur industriel, essentiellement masculin, a été parmi les plus touchés par la crise ou d’un vrai retournement de tendance. Mais ce qui semble très net et qui, cette fois, s’inscrit dans une tendance longue, est que les femmes ont pâti d’un sous-emploi plus fort. Alors qu’elles ont afflué sur le marché du travail à partir des années 1960 dans des postes à temps plein, le travail à temps partiel a fait irruption au début des années 1980 à la faveur de la crise de l’emploi et sous l’impulsion de politiques fortement incitatives : statut pour le travail à temps partiel, abattement de cotisations sociales patronales… Si les incitations financières pour ce type de travail ont été supprimées en 2000, l’habitude a cependant été prise par les entreprises, qui disposent ainsi d’une plus grande flexibilité : la plupart de ces femmes qui travaillent à temps partiel faute de mieux ont des horaires qui leur sont imposés et qui peuvent varier d’une semaine à l’autre, voire du jour au lendemain. Ce type de contrats à temps partiel – qui peuvent d’ailleurs être à durée indéterminée – est devenu la règle dans les secteurs très féminisés de la grande distribution, de l’hôtellerie-restauration et des services aux entreprises. En France en 2010, 4,6 millions de personnes travaillaient à temps partiel, dont 3,7 millions de femmes et 870 000 hommes (essentiellement des étudiants et des seniors avant le départ à la retraite). Ce dispositif destiné à favoriser la « conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale » s’est révélé une véritable trappe à sous-emploi pour les femmes, notamment pour les moins qualifiées : plus de la moitié travaillant à temps partiel sont des employées – le plus souvent vendeuses ou caissières – et une ouvrière sur deux travaillant à temps partiel est occupée à des travaux de ménage pour une entreprise de nettoyage.

E & C : L’égalité n’est donc pas au bout du chemin ?

M. M. : Non, et les inégalités sont devenues de plus en plus incompréhensibles. Les femmes sont aujourd’hui globalement mieux formées que les hommes. Elles sont plus diplômées au moment d’entrer sur le marché du travail. Depuis 1971, le nombre des bachelières est plus élevé que le nombre de bacheliers. A partir de 1975, le nombre d’étudiantes égale puis dépasse le nombre d’étudiants. Mais si certaines filières se sont féminisées, d’autres, notamment les filières scientifiques, continuent d’attirer moins de filles, tandis que les formations aux carrières réputées féminines font toujours fuir les garçons. Ces orientations féminines cependant ne sont pas seulement dues au fait que les filles se coulent dans les stéréotypes mais au fait qu’elles anticipent les possibilités qui leur seront par la suite offertes sur le marché du travail ainsi que les rôles sociaux qui les attendent dans la sphère familiale. Même à diplôme et poste équivalents à ceux des hommes, leurs salaires et leurs perspectives de carrière sont moindres et ce qu’elles aient ou n’aient pas d’enfants. Arrivées à l’âge de la retraite, elles pâtissent à la fois du fait qu’elles ont déjà été pénalisées dans l’emploi et, le cas échéant, du fait d’avoir interrompu leur carrière pour élever leurs enfants, d’avoir travaillé à temps partiel ou les deux. Plus encore que les différences de salaires, les différences de niveaux de pension sont vertigineuses. En 2004, la retraite globale moyenne des femmes était de 979 euros, quand elle était de 1 625 euros pour un homme, soit un différentiel de près de 66 %. La féminisation massive du monde du travail est une mutation sociale d’envergure, une vraie brèche. Mais elle ne s’est pas accompagnée d’un recul significatif des inégalités professionnelles. Et si l’on ne fait rien, il ne se passera rien : il n’y a pas de pente naturelle vers l’égalité.

PARCOURS

• Margaret Maruani est sociologue, directrice de recherche au CNRS, fondatrice du Mage (Marché du travail et genre), groupement de recherche du CNRS. Elle dirige également la revue Travail, genre et sociétés.

• Après avoir écrit une thèse sur le féminisme et les syndicats (Les Syndicats à l’épreuve du féminisme, Syros, 1979), ses recherches se sont portées sur les grèves et le syndicalisme ouvrier, puis sur le travail et l’emploi des femmes.

• Elle est l’auteure de nombreux ouvrages, dont Travail et emploi des femmes (réédition actualisée à La Découverte en avril 2011).

LECTURES

• Le Quai de Ouistreham, Florence Aubenas, Editions de l’Olivier, 2010.

• Histoire du travail des femmes, Françoise Battagliola, La Découverte, Paris, 3e éd. 2008.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX